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par Eleonora Meo le 18 mars 2018

Pas une de moins, un an après

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Non Una Di Meno

Article extrait du « Monde libertaire » n° 1791 de janvier 2018
Le premier appel national à toutes les femmes, à toutes les réalités féminines et féministes nationales, collectives, Maisons des femmes, associations, centres anti-violences, a été celui du 8 octobre 2016 à Rome. Plus de 500 femmes se sont retrouvées en assemblée dans les locaux de l’université romaine de La Sapienza pour un Parcours national contre la violence masculine envers les femmes : « Non Una Di Meno ». L’étincelle qui a rallumé chez beaucoup de nous, les femmes, la rage et la volonté de nous recomposer en tant que sujets opprimés, a été la mort horrible de Sara Di Pietrantonio, une étudiante romaine de 22 ans, étranglée et brûlée vive dans la nuit du 28 mai 2016 via Della Magliana par son fiancé, Vincenzo Paduano, un vigile de 28 ans. Le corps à demi-carbonisé de la jeune femme a été retrouvé dans une rue du quartier de banlieue de Magliana. Sa voiture incendiée non loin de là. Quelques personnes étaient passées cette nuit-là devant eux, sans s’arrêter, tandis qu’ils se querellaient. Certains se sont ensuite souvenus avoir vu la jeune fille faire des signes avec ses bras, mais apparemment cela n’a pas suffi à attirer l’attention sur la brutalité de ce qui était en train de se passer. La mort de Sara a été notre étincelle, l’énième féminicide dans un pays où, tous les deux jours, une femme est tuée de la main d’un compagnon, père, frère, parent, fiancé, ami, voisin, connaissance, inconnu. 120 assassinées en 2016, selon les données de l’Istituto Nazionale Di Statistica (Istat) et du ministère de la Justice. Sans compter les cas de violences sexuelles, physiques, psychologiques et les innombrables cas de micro-violences : en Italie, plus de 6 millions de femmes ont subi au moins une fois dans leur vie un épisode de violence.

A l’époque, nous n’étions pas encore un mouvement, mais nous savions déjà que cette très forte participation à Rome pouvait se transformer en quelque chose d’irrésistible. Une marée qui se serait frayée un passage partout, sur les lieux de travail, dans les rues, les espaces politiques, les écoles, les foyers domestiques, attaquant cette mentalité patriarcale qui, jusqu’au jour d’aujourd’hui, structure l’économie, la société, la culture, le bon sens, la façon dont nous habitons nos corps, rendant systémique la violence contre les femmes et les personnes qui ne sont pas dans la norme. C’est avec la manifestation nationale du 26 novembre que nous avons compris que nous étions vraiment devenues un mouvement, lorsque 150 000 d’entre nous avons littéralement inondé les rues de Rome, reprenant nos espaces, notre autonomie de parole et d’action politique au cri de « Non Una Di Meno » (« Pas une de moins ») !

Après une année d’assemblées nationales itinérantes et la multiplication des assemblées territoriales, grèves, assemblées plénières, commissions thématiques, sit-in, parcours nocturnes, manifestations et un plan antiviolence féministe écrit « d’en bas », nous nous sommes retrouvées le 25 novembre 2017 une nouvelle fois dans les rues de Rome. Nous nous attendions à une légère diminution de la participation, ce qui n’a pas entamé notre détermination en une journée qui, cette année encore, continue à se distinguer par la masse de personnes s’étant mobilisées. Les mouvements de femmes, historiquement, ont toujours connu une trajectoire en dents de scie, non linéaire, qui alterne des moments de grande visibilité politique et de diffusion et des moments de repli et de latence, pendant lesquels le mouvement ne s’épuise cependant pas car certains de ses rhizomes continuent à diffuser de façon souterraine, moléculaire, continuant à se transformer et à suivre des voies inédites. Cela dit, le niveau de mobilisation que connaît le mouvement Non Una Di Meno en Italie reste incomparable par rapport à d’autres appels nationaux à des luttes nationales et territoriales.





Pour la première fois en Italie, à la différence de ce qui s’est passé dans les années 1970, on assiste à un changement dans la dynamique des manifestations politiques. Cette fois, ce sont les femmes qui sont le moteur du changement social, c’est nous qui dans l’actuelle conjoncture politique italienne — mais aussi globale — sommes en train de réussir à mobiliser dans les rues, comme cela n’était pas arrivé depuis pas mal d’années. Les mouvements politiques traditionnels se bornent à suivre et, pour le moment, il ne leur reste qu’à se joindre à nous ou à être de simples spectateurs. La tête du cortège était non-mixte, constituée de femmes ensemble, issues des « parcours de sortie de la violence » et de toutes les femmes seules ou en collectif qui avaient le souhait et la nécessité de défiler dans un espace protégé. Immédiatement derrière, la marée qui s’unissait derrière le slogan de cette année #wetogether, femmes, hommes, familles, enfants, collectifs de femmes handicapées, Maisons des femmes, mouvements queer et lgbtqia+, les anarcho-féministes et anarcho-queer avec banderoles et drapeaux, les associations culturelles, les librairies de femmes, les collectifs étudiants, les mouvements de femmes migrantes, les soi-disant sex workers, les associations et parents des victimes de féminicide, les collectifs d’auto-défense lesbienne, collectifs antispécistes transféministes, ainsi que beaucoup d’autres. Des pancartes et des banderoles en plusieurs langues marquaient la présence même dans une modeste mesure, de femmes d’ethnies, de religions et d’origine géographique variées.

Parmi les sujets brûlants des derniers mois, portés dans la rue cette année, il y avait l’injonction criminelle d’expulsion prononcée envers la Maison internationale des femmes par la municipalité de Rome qui, pour assainir les comptes publics, exige le paiement d’un arriéré de loyer de 800 000 euros ; de même que la présence de slogans et de pancartes en souvenirs des 26 femmes nigérianes mortes en Méditerranée le 5 novembre, contre la loi Minniti-Orlando et contre les accords italiens et européennes avec la Libye, pour le droit du sol et pour un système de droits de citoyenneté, non liés au travail et aux frontières.





Malgré les habituelles différences de position sur certains sujets, ce qui n’est certainement pas une nouveauté pour le féminisme (par exemple le « sex work », les parcours « code rose », ou les dangers d’« institutionnalisation » du mouvement) et bien que certains collectifs aient décidé de décrocher justement par incompatibilité par rapport à de telles positions (d’ailleurs, même cela n’est pas un phénomène inédit), le mouvement réussit encore à contenir ensemble des réalités hétérogènes et afférentes à diverses branches du féminisme et du transféminisme, qui continuent à vouloir se mesurer à un défi commun. Le cortège du 25 novembre a été en partie traversé par ces différences, mais cela ne nous a pas empêchées de descendre toutes ensembles dans la rue pour manifester notre force, comme moteur du changement politique et social. Comme l’a écrit Luce Fabbri : « Voilà le chemin, ou bien il n’est nul chemin. »


Texte inédit, écrit pour Le Monde libertaire et traduit par Monica Jornet (Gruppo Errico Malatesta - FAI - Napoli et Groupe Gaston Couté - FA)
PAR : Eleonora Meo
Non Una Di Meno Napoli - Gruppo Errico Malatesta - FAI - Napoli
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