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par Alain Éludut le 14 mars 2016

« Celles de 14 : La situation des femmes au temps de la grande boucherie »

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d’ Hélène Hernandez, aux éditions Libertaires

De la guerre de 1914, que retient-on aujourd’hui, alors que sonne l’heure des commémorations ? La boucherie vaine et inhumaine qui coûta la vie à des millions d’hommes, certes... mais la leçon de la der des ders n’a visiblement pas porté ses fruits. Et ce sont d’autres leçons, méconnues, qui ont retenu l’attention d’Hélène Hernandez, militante anarchiste, anarcha-syndicaliste et féministe : celles portées par les femmes durant cette guerre atroce.


Comptes et décomptes


Les femmes ont toujours travaillé sans pour autant que leur travail ait été reconnu. Bien que la part des femmes dans la population active ait été plus importante durant la guerre qu’elle ne l’était auparavant, elle reviendra ensuite à son niveau de départ. C’est une première leçon.
Les métiers se féminisent peu à peu ; apparaissent les premières femmes médecins, avocates, et des nouveaux métiers se font connaître : factrice, garde champêtre, cochère, ramoneuse, etc. Elles sont bien souvent moquées ou ridiculisées, tant est grande la peur de la confusion des sexes qui révèle surtout la résistance des hommes à lâcher des métiers qui leur sont réservés. Mais les femmes qui acquièrent ces nouveaux métiers ne perçoivent pas pour autant le même salaire que les hommes. En 1902, elles gagnent 57 à 68 % du salaire des hommes - rappelons qu’en France aujourd’hui, le salaire moyen des femmes est inférieur de 27 %.
Ainsi à l’aube de la Première Guerre mondiale, les conditions de vie des femmes révèlent surtout pauvreté et soumission pour une grande partie d’entre elles.


L’engagement politique et social des femmes.


Au début du XXe siècle, l’engagement des femmes dans le féminisme bénéficie de la culture républicaine née des Lumières et de la Révolution française. Ces femmes sont les héritières d’Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ou de Flora Tristan. Cet engagement est lié tant à l’effectif croissant de la main-d’œuvre féminine qu’aux scandaleuses inégalités dont elles sont victimes. Les féministes revendiquent autant le droit de vote que le droit de s’associer, le droit à l’instruction, au travail. Bref, leur engagement prend des formes diverses alliant politique, féminisme, syndicalisme et pacifisme. La loi de 1901 sur le droit d’association va notamment servir aux associations féministes dont l’une des principales, le Conseil national des femmes françaises, va défendre un féminisme réformiste œuvrant pour les droits des femmes. Elles revendiquent l’obtention de droits politiques, dénoncent l’exploitation du travail féminin et la prostitution. Quelques personnalités plus radicales, voire anarchistes, sont particulièrement marquantes, comme Madeleine Pelletier, première femme psychiatre, Nelly Roussel qui revendique le droit des femmes à disposer de leur corps, ou Marguerite Durand qui va créer le quotidien féministe La Fronde.
Malgré le développement syndical et la forte mobilisation sociale d’avant-guerre, le salaire des femmes ne bouge pas. La CGT affirme même que c’est à l’homme de nourrir la femme et qu’elle doit rester au foyer pour ne pas lui faire concurrence ! Parallèlement, certaines femmes vont créer des syndicats féminins afin de participer aux grèves auprès des hommes, à qui elles s’allient face au patronat, affichant une solidarité de classe, accompagnées de voix féministes et pacifistes, dont celle d’Hélène Brion.


Résister et survivre.


La guerre déclenchée début août emporte les engagements pacifistes d’avant-guerre. De nombreuses féministes se reconvertissent dans des œuvres d’utilité publique et soutiennent l’Union sacrée. Dès le début du conflit, elles se retrouvent nombreuses au chômage à la suite des fermetures d’usines. Le président du Conseil exhorte alors les femmes à remplacer ceux qui sont partis sur les champs de bataille. Des milliers de femmes quittent leur emploi pour rejoindre l’industrie de l’armement. En quatre ans, elles fabriqueront 300 millions d’obus et 6 milliards de cartouches. Les métiers autrefois réservés aux hommes s’ouvrent ainsi aux femmes. Elles sont également recrutées pour des emplois qui deviendront alors exclusivement féminins, comme celui d’infirmière. Les conditions de travail vont en se dégradant, et bien que l’opposition à la guerre soit au départ minoritaire, elle s’amplifie peu à peu, comme dans le mouvement anarchiste où les antimilitaristes tels Errico Malatesta, Emma Goldman ou Sébastien Faure sont majoritaires.


Mutineries et grèves.


Après l’hiver 1916-1917, des mutineries éclatent dans l’armée. À l’arrière, les conditions de travail demeurent particulièrement difficiles avec une pénurie alimentaire générale. Les femmes représentent plus de 39 % de la main-d’œuvre ; les féministes revendiquent alors une meilleure formation professionnelle tandis que des grèves débouchent parfois sur des accords, comme l’instauration de la semaine de cinq jours et demi de travail.


Une dynamique d’émancipation.


Au lendemain de la guerre, le déficit d’hommes oblige les femmes (600 000 veuves en France) à continuer de travailler, mais rapidement, l’activité féminine diminue jusqu’à la culpabilisation des mères qui travaillent ! La maternité devient fonction sociale, il s’agit désormais contrôler le ventre des femmes et non d’en faire des citoyennes. Suivront primes de natalité et médailles. L’après-guerre aura remis chaque sexe à sa place ; avortement et contraception sont interdits dès 1920, et les femmes devront attendre 1945 avant d’obtenir le droit de vote.
Les progrès d’émancipation engrangés avant la guerre vont cependant germer peu à peu, et le mouvement féministe s’engager dans divers courants dont l’un, pacifiste, revendique et la fin des guerres et la fin du patriarcat, « un combat jamais achevé ». C’est la seconde leçon.

L’ouvrage d’Hélène Hernandez, particulièrement riche par ses références, croise réflexions et témoignages issus de ses lectures afin de mettre en lumière ces femmes qui ont été porteuses d’un idéal égalitaire.

Alain Éludut

« Celles de 14, la situation des femmes au temps de la grande boucherie »
Hélène Hernandez
Les Éditions libertaires, 2015, 132 pages, iconographie & documents, 11 €





PAR : Alain Éludut
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