Brisons le consensus

mis en ligne le 18 février 2010
Je dois l’avouer, j’ai l’impression parfois de radoter, tant il est difficile en effet de se renouveler dans l’analyse du mouvement social actuel : les mêmes doubles discours, les mêmes rideaux de fumée, la même propagande, la même machine à perdre depuis des années. Et on nous remet le couvert.
Sarko annonce un sommet social le 15 février. En fait de sommet, il s’agit plutôt d’un nouveau jeu de rôles que l’on nous concocte. Un président de la République égrenant les nouvelles contreréformes, des « partenaires sociaux » faisant mine de se fâcher tout rouge !
Mais dans les faits, ils sont tous d’accord ! Prenons par exemple la question des retraites, annoncée comme la grande réforme présidentielle de 2010, avec un scénario possible de passage en force cet été. Du PS à l’UMP, en passant bien sûr par la CFDT ou la CGT, tous s’accordent pour dire qu’il faut une nouvelle réforme, qu’il y aurait un problème de financement des retraites, que l’espérance de vie blabla…, que le calcul de la pension des fonctionnaires blabla…, que les statistiques prouvent…, que les experts disent…
Mais tous ces enfoirés mentent effrontément : il n’y a aucune raison de faire une réforme qui vise à travailler plus longtemps pour toucher moins au final.
Le mensonge éhonté du trou de la Sécurité sociale martelé à longueur de médias doit être combattu.
Si l’on n’a soi-disant plus d’argent pour les hôpitaux, pour les médicaments, pour les retraites, etc., c’est tout simplement parce que l’État est un voleur à la solde de la mafia patronale. L’argent de la sécu, c’est le nôtre ! C’est notre salaire « différé » mis en commun pour lutter contre les aléas de la vie (maladie, accident du travail, vieillesse, naissance). C’est l’idée originelle de la Sécurité sociale imposée dans l’après-guerre alors que le rapport de forces penchait un peu plus vers les salariés : chacun paye en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins.
Une idée totalement inacceptable pour le système capitaliste et que les patrons n’ont eu de cesse de combattre quand le rapport de forces leur était plus favorable comme c’est de toute évidence le cas en ce moment.
Les sommes détournées du financement de la Sécurité sociale (exonération pour les patrons du salaire différé appelé abusivement charges) ont atteint 24,3 milliards d’euros en 2006, 28,2 en 2007, 30,7 en 2008. Colossal ! De quoi revenir sans problème pour les salariés du public comme du privé aux 37,5 annuités, de quoi aussi augmenter de plus de 300 euros les 700 000 retraités qui vivent avec le minimum vieillesse (677 euros par mois). Avec cet argent, on rouvre les hôpitaux, les maternités, on rembourse à 100 % les médicaments.
Pas besoin d’être révolutionnaire pour dire cela ! Il n’est pas obligé non plus d’être militant anarchiste pour expliquer à ses collègues de boulot, à ses voisins, à ses amis que de l’argent, il en dégueule de partout quand le pouvoir le décide. Selon un rapport de la Cour des comptes, à la fin 2009, l’Etat aura déboursé 173 milliards d’euros pour les banques. Selon l’Insee, le montant moyen du salaire annuel des dirigeants des entreprises de plus de 250 salariés est de 189 000 euros et les revenus globaux des présidents exécutifs des groupes de CAC 40 s’élèvent en moyenne à 4,7 millions d’euros.
Crise, vous avez dit crise ? Pas pour tout le monde visiblement.
Alors qu’est ce qui peut autoriser Chérèque, le roquet en chef de la CFDT, a déclaré que la réforme est inévitable et qu’il faut du « courage politique au gouvernement » ! Et d’ajouter sur France Inter le 3 février : « Il existe des systèmes par points, des systèmes individuels. On met tout cela sur la table » !
Et Thibault, son compère de la CGT, d’expliquer qu’il faut aborder dans l’unité syndicale le fameux sommet social : unité avec la CFDT qui a déjà trahi les salariés en 2003 sur cette même question des retraites. Unité pour se faire baiser ! Et les mêmes d’invectiver la direction de Force ouvrière qui refuse à juste titre de s’inscrire dans cette mascarade, sans pour autant proposer une véritable perspective de bagarre et de grève générale (on verra ce qu’il sortira de son comité confédéral national, rassemblement de toutes les UD et fédérations à la fin mars).
Tout est blindé politiquement et syndicalement et c’est pour cette raison que le gouvernement sait qu’il peut taper comme un malade. Le projet de décret sur la mobilité des fonctionnaires en est un exemple frappant : les articles 3 et 10 notamment sont d’une netteté imparable, c’est bien de la fin de garantie d’emploi des fonctionnaires, socle des statuts dont il s’agit !
La révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a déjà abouti ces deux dernières années à la suppression de 100 000 postes, va pouvoir prendre une nouvelle ampleur et devenir comme dans le privé un véritable plan de licenciements. En toute logique, la loi dite de mobilité, votée en catimini l’été dernier, prévoit désormais le recours à l’intérim dans la Fonction publique. Tout va très très vite.
Dans l’éducation nationale, les décrets mettant en œuvre la réforme des lycées (qui s’intègre totalement dans la RGPP) et l’autonomie des établissements (logique de privatisation) ont été validés au Conseil supérieur de l’éducation du 10 décembre avec les voix de la CFDT et de l’Unsa.
Ces deux organisations ont pourtant appelé à la grève le 21 janvier dernier avec la FSU, la CGT et Sud… supposés opposés à ces réformes ! Vous avez dit confusion ? La mobilisation a été à la hauteur de ce jeu de dupes.
Et les mêmes aujourd’hui de refuser et de combattre obstinément, y compris Sud, malgré ses grands discours, la préparation de la grève, la vraie, celle qui n’annonce pas dès le début la date de la fin du mouvement. Ils opposent tout l’arsenal classique de diversion : des journées d’action programmées jusqu’à fin juin, des manifs le samedi, des multitudes de pseudo-actions à la con de type « Nuit des lycées » ou « Petit-déjeuner devant les rectorats ». Tout cela vise à occuper les personnels jusqu’à… épuisement.
Le seul petit grain de sable dans ce triste consensus fait de confusion entretenue et d’inaction organisée, ce sont les salariés. En Seine-Saint-Denis, malgré tous les obstacles, la grève commence à se développer dans les lycées et les collèges sur la base de revendications claires. Les collègues se réunissent en AG et cherchent une issue pour sortir de l’impasse, y compris en bousculant les appareils.
Il n’y a pas d’autre voie en effet que de briser ce consensus politico-syndical d’accompagnement des politiques de régression sociale.
Laissons aux politiciens, petits ou grands, leur marécage électoral, laissons aux bureaucraties syndicales leur sommet social, leurs « états généraux », leurs « grands débats nationaux ».
Reprenons en main, par contre, nos syndicats de base, impulsons des discussions partout, des AG, définissons des mandats, réapproprions-nous nos luttes, aidons à la jonction des salariés, des étudiants, des chômeurs, etc. bref, battons-nous et alors…

Fabrice, groupe la Sociale (Rennes)