Des nuages comme des champignons

mis en ligne le 4 février 2010
Soudain il se leva un coup de vent tiède et terrifiant, à la suite l’avion vola très bas. Presque en même temps, on a été couverts de rayons comme du magnésium. Tous étaient frissonnants, effrayés du bruit terrible des bombes à chaque instant. Moi qui faisais la dînette avec mon petit frère et ma petite sœur, j’offrais le repas à un visiteur que mon père m’avait présenté comme son ami. C’était dans une salle au plafond haut. Notre invité visiteur plaqua les trois enfants contre le mur dès que l’éclair se fit voir. Après cinq ou six minutes seulement, quand je m’étais levée, les vitres se brisèrent sans bruit, les meubles se perdirent quelque part. C’était le vent de la bombe atomique, cause de tous ces événements subits.
Bientôt ma grand-mère et ma mère, qui étaient dans leurs chambres, voulurent accourir dans la grande salle avec inquiétude pour sauver les trois enfants, mais le vent horrible les renversa à mi-chemin dans le vestibule. Toutes les deux se trouvèrent sous le porte-parapluies contenant quelques sabres auxquels mon père tenait beaucoup. Par-dessus le marché, des petits morceaux de verre frappèrent le front de ma grand-mère. Bientôt, elle fut couverte de sang. Le vent cessa peu après. Ma mère a mis sous ses bras ses trois enfants et a essayé de sortir dehors, mais on ne trouvait nulle part de chaussures qui avaient été éparpillées partout à cause du vent mauvais. Donc les uns se sont enfuis au loin en mettant des chaussures depareillées, ramassées dans les environs, et les autres pieds nus.
Ma famille s’est calmée dans la préfecture pendant quelque temps. Des millions de blessés y ont été transportés et on a soigné leurs blessures. Je me rappelle en cet instant d’un homme qui avait perdu connaissance à cause de la pression sur sa poitrine. Les membres de sa famille, ai-je cru, continuaient à l’appeler par son nom car s’il était resté endormi à ce moment-là, il ne se serait plus jamais reveillé. Ma grand-mère aussi souffrait de sa blessure au front, mais, on n’avait rien pour faire des pansements, puisque le sac bourré de médicaments et d’instruments de premier secours avait été perdu avec les autres meubles. On désinfecta donc sa blessure avec de l’eau-de-vie en guise d’alcool. Elle gémissait de douleur plus que jamais parce que l’eau-de-vie pénétrait dans sa blessure.
Autour de moi, les grandes personnes sanglotaient longuement. Moi aussi je pleurais de peur frénétiquement. La flamme obscure de la bougie faisait davantage ressortir notre état misérable.
Tout est devenu bientôt très silencieux dans les environs. J’ai pu respirer l’air du dehors après neuf heures. Je l’ai respiré profondément. Juste alors, dans le ciel du soir lointain, j’ai vu les nuages en forme de champignon. Ils étaient précisément de cette forme de champignon que l’on pense souvent être le symbole de la bombe atomique. Tout le long de la rue, des vieillards et des enfants continuaient a les regarder avec une sorte de haine. Quelques vieilles s’essuyaient les yeux. Et les champignons ne disparaissaient point avant la nuit.
À ce moment-là, il se déclara dans la ville un grand incendie. Le feu s’étendit rapidement et enfin il brûla la préfecture elle-même, qui était au centre de la ville.
Je me suis enfuie en voiture avec mes parents dans une auberge de la banlieue de Nagasaki. À mi-chemin, j’ai vu de nouveau, bien des fois, de nombreux blessés qui avaient reçu directement la radiation sur leur corps. Sans doute, personne ne pourra imaginer maintenant ces scènes. La rue était pleine de blessés qui attendaient seulement la mort. Leurs corps brûlaient, tout rouges, et leurs yeux semblaient implorer de l’eau, mais personne ne leur en donnait pour les faire vivre plus longtemps. Les appels au secours ne cessaient jamais. Il y avait encore des gens malheureux : des enfants boiteux, de jeunes hommes qui perdaient leur sang.
Ces misérables se battaient et essayaient de s’avancer vite, mais c’était impossible de se tenir debout ni de marcher rapidement. Quelle grande douleur, la guerre fit au Japon ce jour-là ! Le Japon, notre beau Japon, fut changé en un instant en un pays vaincu. Ces horribles spectacles sont restés comme un grand souvenir gravé dans mon cœur enfantin ; j’avais alors 6 ans.
La nuit tomba. Dans la petite auberge, les grandes personnes faisaient la conversation sur les événements du jour. J’étais couchée auprès de ma grand-mère, mais je ne pouvais m’endormir du tout, emplie de terreur, bien qu’elle me consolât très tendrement. Je désire maintenant faire connaître aux hommes du monde entier cet événement tragique qui se passa le 9 août 1945. Puissent ces millions de tués et de blessés nous inspirer l’horreur de la guerre !

Sachiko Sakurai
Texte d’une rescapée de Nagasaki, communiqué, « dans son jus », par l’ami Nestor Potkine