Les incontrôlés

mis en ligne le 1 juillet 1966
« Émeute à Amsterdam. » « 5000 jeunes déferlent sur la ville. » « Le sentiment qui prédomine dans cette affaire est un étonnement quasi général. Une brusque rupture est intervenue dans les habitudes… » (La Presse.)
Étonnement, rupture des habitudes… La presse bourgeoise n’a pas besoin de parler de la peur que lui inspirent les « provos », on la sent dans le ton des articles. En effet, si le mouvement « provo » a soudain éclaté comme une bombe à la face des autorités du monde trois ans à peine après que quelques jeunes anarchistes de Hollande l’aient lancé, c’est parce qu’il correspond aux préoccupations profondes de la jeunesse. Depuis le temps qu’elle se bat contre la classe ouvrière, la bourgeoisie a appris à connaître, à prévoir et à esquiver, du moins en partie, les coups que peut lui porter la lutte des travailleurs ; le système de défense qu’elle a établi pour assurer « son » ordre social (intégration des syndicats, télévision, organisation des loisirs, hiérarchie des salaires, course à la consommation, etc.) lui permet de diluer la lutte et la conscience de classe, rendant ainsi très difficile (ce qui ne veut pas du tout dire impossible) une offensive révolutionnaire généralisée des travailleurs. Par contre, la révolte dévastatrice et apparemment sans raison de la jeunesse qui remet en question, sans en avoir une conscience nette, les fondements et les valeurs de cette société, est un phénomène que la classe dirigeante connaît encore assez mal et contre lequel elle n’a pas encore élaboré un système d’encadrement vraiment efficace. De là vient sa peur que cette jeunesse comprenne grâce à des mouvements comme celui des « provos », les raisons profondes de sa propre révolte spontanée et qu’au lieu d’exploser de temps en temps dans un défoulement passager, elle ne déclare une guerre permanente et organisée à la société.
Dans leur appel au « provotariat international », les « provos » de Hollande déclaraient : « Nous vivons dans une société monolithique écœurante. L’individu créatif y est exception. Big bosses, capitalistes, communistes nous dictent ce que nous avons à faire, ce que nous devons consommer… Les autorités décident tout, nous, nous pouvons la boucler.
« …, Le provotariat est une foule d’éléments subversifs…
« La provocation avec ses petits coups d’épingles, est devenue notre seule arme, imposée par la force des choses.
« Tous les uniformes, bottes, képis, sabres, matraques, autopompes, chiens policiers, gaz lacrymogène et tous les moyens que les autorités tiennent encore en réserve, elles devront les employer contre nous…
« Elles se rendront de plus en plus impopulaires, ainsi la conscience des gens mûrira pour l’anarchie. Et viendra la « crise ».
« C’est notre dernière chance : « La crise des autorités provoquées. » Elle est la grande provocation à laquelle « Provo-Amsterdam » appelle le « provotariat international. »
« Provoquez, formez des groupes anarchistes ! »
La crise est effectivement venue à Amsterdam. Les PROVOS ont forcé les autorités à se manifester sous leur vrai visage, d’un côté les flics, les souteneurs, les partis politiques et les bonzes syndicaux, de l’autre les anarchistes, les blousons noirs, les travailleurs las des bureaucraties syndicales. D’un côté les représentants de l’ordre, de l’autre les éléments incontrôlés c’est-à-dire ceux qui refusant de se plier au contrôle et au dirigisme de tout état-major qu’il soit politique, religieux ou syndical, coupent ainsi tous les ponts entre eux et la bourgeoisie, qui ne peut alors désamorcer leurs luttes par des tractations entre états-majors.
Camarades d’Amsterdam, votre appel a été entendu en Angleterre, en Belgique, en France et partout, la crise des autorités provoquées répondra à Paris ou ailleurs à votre action.