Inondations en Thaïlande : entre colère et consternation

mis en ligne le 17 novembre 2011
Depuis deux mois, la Thaïlande est victime d’inondations catastrophiques. à l’heure actuelle, plus de cinq cents morts, le tiers du pays sous les eaux, le cinquième de la capitale Bangkok sous une hauteur d’eau plus ou moins importante mais pouvant aller jusqu’à deux mètres. Les touristes, les tour operators et les investisseurs financiers s’affolent. La fréquentation touristique a chuté de 25 %, les prévisions de croissance devraient passer de 5 à 2 points. Le coût de la crise pourrait s’élever à environ cinq milliards d’euros. La Thaïlande n’est pas seule à souffrir des inondations, ses voisins le Laos et le Cambodge également, mais c’est elle la plus touchée. Les informations contenues dans cet article sont tirées du Bangkok Post, journal anglophone paraissant en Thaïlande et proche des milieux « démocrates » et libéraux, a priori opposé au gouvernement en place. Les évaluations des causes et des conséquences possibles, qui se trouvent pour certaines confirmées par des médias locaux, relèvent de ma propre responsabilité.

Un historique des inondations
Fin septembre 2011, d’importantes inondations commandent l’évacuation par hélicoptère de touristes, d’un site proche de celui d’Angkor Vat (Cambodge). En Thaïlande, la mousson est particulièrement longue et intense dans le nord du pays, commençant à provoquer des inondations. On entend déjà murmurer que la capitale pourrait être aussi inondée. Les autorités, puisqu’elles sont responsables, avaient sans doute le temps de prévoir un plan de protection et d’évacuation efficace à proposer. Il n’en est rien et il n’en sera jamais rien ; cette impréparation sera un facteur aggravant. Dans les barrages, les volumes d’eau retenus paraissant avoir atteint la capacité maximale, on relâche de l’eau. Aujourd’hui, certains prétendent que ce n’était pas utile. Va savoir ! Les volumes relâchés sont tels qu’ils débordent largement des cours d’eau du réseau hydrographique, notamment du fleuve Chao Phraya qui va vers la mer en traversant Bangkok et son estuaire. Les inondations envahissent les plaines du centre, dont la ville d’Ayutthaya. Cette ancienne capitale située à une centaine de kilomètres de Bangkok possède de magnifiques vestiges historiques inscrits au patrimoine mondial de l’humanité mais aussi des usines et des zones industrielles importantes. Les constructeurs automobiles qui y sont installés arriveront-ils à reconvertir leur production en véhicules amphibies ? Aucune certitude, mais il est certain que la note qu’ils présenteront devrait être salée. Vers la mi-octobre, l’inondation de certains quartiers de la capitale semble inévitable, reste à savoir combien de quartiers seront touchés et lesquels. La tension augmente, moins vite toutefois que la hauteur des flots de la Chao Phraya. Bangkok ou plutôt le Greater Bangkok (sorte de grand Paris avant la lettre) est une métropole de 12 millions d’habitants, incluse elle-même dans une mégapole de 20 millions d’habitants. Cette ville qui a subi une très forte croissance au cours des cinquante dernières années, est le poumon économique thaïlandais, peut être plus encore que l’Île-de-France l’est pour la France, l’enjeu est donc d’importance. Elle est constituée d’un hypercentre comme dit mon agence immobilière, grand comme plusieurs arrondissements de Paris, qui regroupe quartiers d’affaires, touristiques, historiques et religieux. C’est là aussi qu’habite ou qu’est soigné le roi. Et le roi… il déclare qu’après tout s’il est nécessaire de noyer ses palais pour sauver son peuple, allons-y. Quel chic type ce roi !
Le gouverneur de Bangkok organise une procession afin de prier la déesse du fleuve pour qu’elle protège la ville. Le résultat n’est pas convaincant. La Première ministre, Yingluck Shinawatra, entre deux balades en hélicoptère (pour évaluer la situation !), demande un peu d’indulgence aux médias et rappelle qu’élue en juillet, elle ne peut être comptable de tout. Elle ne peut quand même pas être exonérée de tout… elle l’a voulu son pouvoir.
Quel parti l’emportera ? Deux options sont proposées, elles seront influencées par des stratégies électoralistes… La première préférerait inonder Bangkok même l’hypercentre pour soulager les populations déjà inondées et permettre à l’eau de s’écouler. C’est la solution retenue par le gouvernement nouvellement élu des Chemises rouges (de tendance populiste) ; leur base électorale est composée de paysans, d’une population de salariés pauvres, de ruraux habitant plutôt la province et des villes comme Ayutthaya, ainsi que de banlieusards du Greater Bangkok. La deuxième option, défendue par le gouverneur de Bangkok, « démocrate », serait de sauvegarder Bangkok même si certains quartiers devraient être inondés au moins en partie, mais en contrepartie, contraindraient à retarder la décrue dans les plaines du centre dont les populations sont sous l’eau depuis de nombreuses semaines déjà. Les démocrates (qui viennent de perdre les élections) ont un électorat issu de la classe moyenne, habitant plutôt les villes, dont Bangkok. Ce clientélisme électoral retarde la prise de décision, augmentant ainsi l’impact de la catastrophe. On a beau acheminer des sacs de sable (certains de plus de deux tonnes) pour consolider ou rehausser les digues de terre entourant certains endroits stratégiques, mobiliser des bateaux pour faire refluer l’eau vers la mer, utiliser des pompes pour refouler l’eau, cela n’a que peu d’effet sur le niveau de l’eau qui continue à monter inexorablement. Mauvaise limonade, c’est une période de fortes marées, ce qui implique que les flots soient refoulés vers la capitale au lieu de se jeter dans la mer. Du coup, les experts qui expertisent annoncent que le pire surviendra à la mi-octobre, avant de reporter cette période à fin octobre puis à mi-novembre. Quoiqu’il en soit, le pire est permanent. Les canaux de la ville n’apparaissent plus suffisants pour évacuer l’eau, pour dégager les masses bloquées jusque-là. Dans le nord du pays la pluie redouble et s’installe également dans le sud du pays qui était épargné jusque-là. Les pires inondations que le pays ait connu depuis 1942.
Une partie de plus en plus importante de la banlieue de la capitale est noyée (entre 50 cm et 2 mètres selon les endroits) ; l’hyper-centre reste aujourd’hui encore épargné à cause de son côté vitrine du pays, de même que l’aéroport international. Mais pour combien de temps ?

Couacs en pagaille
L’aéroport de Don Muang, sorte d’Orly local, est lui inondé et hors service pour de longues semaines. Ironie du sort, il hébergeait le centre de gestion de crise et de secours, le Froc, qui y laisse sa chemise ; en effet, il doit déménager ; cela n’augmente pas la confiance portée à sa nouvelle équipe dirigeante accusée d’incompétence (gestion de la crise) et de favoritisme (distribution des secours).
Dans l’affolement, mais aussi semble-t-il pour soigner son image, un ministre décrète l’évacuation de certains quartiers ; il est désavoué dans les heures suivantes par un de ses collègues du gouvernement. Les habitants seront finalement évacués… Le gouverneur de Bangkok proclame que les habitants devraient se fier à lui seul sur ces sujets. à qui se fier alors que les informations d’évacuation peuvent engager la vie des gens ? Les discours officiels presque lénifiants virent au catastrophisme. On sent bien que les soi-disant élites ne maîtrisent plus rien. Les digues protégeant certaines avenues se rompent les unes après les autres, la télévision thaï montre des réfugiés climatiques pris en charge dans le calme et montrant une sérénité qui n’est peut-être que de façade, mais qui surprend toujours l’étranger que je suis. Le gouvernement accorde cinq jours de congés, afin que la ville se vide et que les équipes de secours soient plus efficaces. Dans certains endroits du pays, les habitants vivent depuis plusieurs semaines les pieds, la taille ou les épaules dans l’eau. Ils ont été embarqués ou dirigés vers des centres de secours. ça dépanne, certes, mais deux mois de colo dans un centre d’accueil…

Et côté nucléaire ?
L’OAP (le bureau de l’atome pour la paix) dément des rumeurs qui courent depuis peu, le réacteur nucléaire thaïlandais serait touché par les inondations, des fuites radioactives. La porte-parole dément que la population soit menacée. On nous dit que la piscine dans laquelle le réacteur nucléaire était plongé est situé à une hauteur de 8 mètres, c’est hautement improbable. Le bâtiment n’est même pas inondé, qu’elle ajoute la porte-parole. C’est pas comme chez ces nuls de Japonais de Fukushima.
Quelques slogans et préceptes efficaces
Yingluck Shinawatra (la Première ministre) déclare que tous les Thaïlandais sont unis et que les questions de couleur politique s’effacent devant la crise. Ben tiens ! Une façon de jouer sur l’obéissance et l’esprit de sacrifice pour le bien de la collectivité qui figurent parmi les composantes de l’éducation dispensée en Thaïlande. En parfaite pédagogue, et non sans un certain humour (volontaire ?) elle assène : « Le gouvernement maîtrise la situation », puis « Ayons confiance » et enfin « Si l’eau monte, mettez vos affaires en hauteur et grimpez sur les toits ». Elle va gagner un prix ?
Des crocodiles et des serpents mortels en profitent pour se balader. Le journal rapporte qu’on indique que les crocos n’attaquent pas l’homme et qu’un bâton suffit à les chasser. Je n’ose pas le croire. Le nombre de décès par électrocution est en passe de devenir la première cause de mortalité du royaume, preuve que le « progrès » pénètre le pays dans son entier. Le temps de transport pour se rendre à son travail double, son prix aussi. Les entreprises autorisent les inondés reconnus à… « sécher », mais ce sera pris sur leurs jours de congés. Les risques de maladies, d’eau impropre à la consommation, de pénurie (promis, les prix ne bougeront pas) et de pillage s’annoncent. Il est pronostiqué deux puis quatre semaines au moins pour que la situation soit rétablie. à moins qu’elle empire…

La colère monte avec l’eau
Au bord des larmes et fortement contestée, Yingluck lance un dernier « Ayez confiance » puis telle une mère Noël avant l’heure, elle se rend sur un camion pour distribuer des vivres à des bénéficiaires qui comptent souvent parmi ses électeurs ; hélas pour elle, mêmes eux finissent pas laisser éclater leur colère, d’autant que certains repartent les mains vides. Il paraît même que quelques jets de pierre…
Les habitants de certains quartiers de la capitale voyant que leur sort importait peu, ont décidé d’agir. Ils ont détruit une partie des digues et ouvert des écluses de façon à ce que les flots s’écoulent autrement qu’en passant par leurs maisons. Quelques coups de feu sont tirés en l’air par des habitants pour faire fuir les travailleurs chargés – de facto – de les inonder. Selon les autorités (mais sont-elles crédibles ?), ces destructions devraient retarder le plan d’évacuation de l’eau. Un général comprend les sinistrés, un chef de la police déclare que lui les mettra en prison ; il faut dire qu’armée et police n’ont jamais fait très bon ménage, que l’armée soutiendrait plutôt le gouvernement et qu’en mai 2010, la police avait tué quatre vingt manifestants de son parti lors de l’occupation prolongée de la ville… En fin de compte, après un marchandage sur la largeur des ouvertures et leur nombre, ces habitants auront gain de cause. Comme quoi… Dernière difficulté, la capitale risque d’être entièrement coupée du reste du pays, situation qui risque d’aggraver très rapidement le manque d’eau potable et les risques de pénurie, pas seulement pour Bangkok.

Quelques explications à la catastrophe
Bien que n’étant pas scientifique et encore moins climatologue, je retiendrai cependant l’hypothèse communément admise du réchauffement climatique comme étant la cause d’une mousson aussi importante.
D’autant que j’entends à la radio des nouvelles du sud de la France et de l’Italie qui cherchent à copier la Thaïlande.
L’imprévoyance érigée en habitude. Je ne voudrais pas tomber dans des formules un peu clichés, mais il existe ici un comportement répandu, s’apparentant a quelque chose comme « après moi – et autour de moi – le déluge ». Ce qui peut expliquer pour partie qu’aucun gouvernement n’ait jamais envisagé que la Thaïlande puisse être victime de catastrophes climatiques fréquentes et dévastatrices ; sans doute aussi pour ne pas effrayer les touristes et investisseurs (c’est perdu !). Pourtant, en mars déjà, les bateaux de la marine avaient dû évacuer par centaines des touristes bloqués dans le sud du pays. Rien n’était prêt pour faire face à une telle situation. Un ministre vient cependant d’annoncer que la Thaïlande doit se préparer à endurer des saisons des pluies plus longues et plus intenses. Un pas dans la bonne direction ? Rien n’est moins sûr.
Une Première ministre et son gouvernement complètement pris de court. Certes la Première ministre a beau avoir été élue il y a peu, on la désigne comme responsable de n’avoir pas pris en compte suffisamment tôt les alertes aux inondations lancées depuis plusieurs semaines ; elle n’a pas non plus réussi à coordonner les actions de trois organismes concernés par la gestion de la crise (et de couleurs politique différentes), ni les communications hâtives et erronées des ministres, pas plus qu’elle n’aura réussi à mobiliser suffisamment les différents acteurs pour empêcher ou réduire cette catastrophe.
Des modifications liées à l’urbanisme.
Bangkok est passée en cinquante ans de 1 à 12 millions d’habitants. Bâtie sur un sol argileux, la ville a accueilli cet accroissement de population en construisant immeubles et cités et a bétonné les sols à l’extrême, ce qui a diminué d’autant la capacité régulatrice déjà limitée des sols, en cas de nécessaire et fréquent besoin d’évacuation des eaux. Cette remarque vaut pour l’ensemble du pays, victime de l’affairisme, de la voracité et du manque de scrupules des promoteurs immobiliers et des opérateurs touristiques, locaux ou étrangers.
Venise de l’Orient ? La grande majorité de ses canaux a été transformée en artères. Ayant été comblés et couverts pour faire des rues et permettre à la circulation automobile d’être plus fluide (Bangkok est la capitale quasi-mondiale des embouteillages), ils sont beaucoup moins nombreux à pouvoir servir de voies d’évacuation. Ces derniers jours, il a été envisagé de creuser certaines artères pour évacuer les flots ; c’est-à-dire, à nouveau creuser des canaux. Comme quoi… Puis on s’est rendu compte que le niveau de l’eau était bien trop haut pour que cette solution soit efficace.
Les fortes marées. Elles ont fait refluer les eaux venues du nord du pays vers l’intérieur des terres, retardant leur évacuation.
L’abandon d’une forme traditionnelle d’architecture. Si elles n’empêchaient pas les inondations, les maisons surélevées gardaient leurs habitants au sec, évitant le grand nombre de réfugiés climatiques qu’on a vus ; dont certains sont morts. Elles ont été remplacées par des maisons et des immeubles avec rez-de- chaussée immédiatement envahissables.
Des conséquences heureuses. Davantage de marchés flottants seront offerts à mes yeux ébahis, avec moins de touristes pour les admirer puisqu’annulations et départs anticipés se multiplient.
Les affaires devraient reprendre pour les marchands de tee-shirts : ce matin, j’ai vu apparaître le premier tee-shirt spécial inondations : « We never give it up – The floods » (nous ne renoncerons jamais – Les inondations).
Les cours de natation seront obligatoires à l’école primaire (c’est une galéjade).
Une fois de plus, la religion a fait la preuve de son inutilité. Il n’est pourtant pas certain que le nombre de libres penseurs augmente dans le pays. Au fait, les musulmans vivent ces inondations comme un test que leur dieu leur envoie. Que disent les chrétiens ?
Des conséquences moins heureuses ou dramatiques. Cinq cents morts ou un peu plus, leur nombre augmente tous les jours, des réfugiés climatiques par milliers, le risque d’épidémies qui peut s’accroître si la situation perdure. Des pénuries alimentaires, le manque d’eau potable avec des augmentations de prix à la clef, sans compter la récolte de riz qui va diminuer dramatiquement. Or le pays en est le premier exportateur mondial. Comme toujours les plus atteints par cette catastrophe seront les plus pauvres, ceux qui sont déjà les plus démunis, les plus fragilisés.

Quelles perspectives ?
Dans le Bangkok Post du 28 octobre, la une et les premières pages montrent des photos impressionnantes sur les inondations. Dans les pages intérieures, une maquette de l’encore plus grand Bangkok qu’actuel, qui mobilisera davantage de sols, donc moins de possibilité d’évacuation des eaux. Les officiels au garde à vous, le sourire fier.
Et si la Thaïlande venait à se doter d’une centrale nucléaire ainsi que certains bruits en font état ? Là comme ailleurs, on vantera les mesures de sécurité prises. Pour mesurer la qualité des politiques de prévention, il convient d’avoir à l’esprit les mesures prises après le tsunami de 2005 : des sentiers balisés pour se rendre à des points de rassemblement, quelques haut-parleurs disséminés pour lancer l’alerte, une fréquence dédiée sur la bande hertzienne. Quelques cérémonies religieuses en prime. En revanche, certains promoteurs sont venus reconstruire les infrastructures touristiques au même endroit qu’avant. Alors pour ce qui est de la sécurité nucléaire… Comme le répète inlassablement la Première ministre : « Ayons confiance ». Bonne chance les Thaïs, les autres également. Les Français eux ne craignent rien, protégés qu’ils sont par leurs frontières.
Loy Khratong arrive… Cette fête religieuse aura lieu le 10 novembre ; on y rendra hommage à la déesse des eaux en mettant sur l’eau des embarcations (une demi-noix de coco, par exemple, avec quelques bougies ou bâtonnets d’encens), l’occasion de la remercier d’avoir alimenté les cours d’eau et de s’excuser de les avoir souillés… Cette année, ce sera amplement justifié.

François L.