Les punks dans le collimateur de la police en Indonésie

mis en ligne le 2 février 2012
En décembre, la police de la province d’Aceh, en Indonésie, a organisé une descente, comme savent si bien le faire les autorités, pour combattre un fléau qui « perturbait » visiblement la « communauté ». Un concert de punk. Un concert caritatif de punk, pour venir en aide aux orphelins.
Plus de soixante punks ont été arrêtés, frappés et emmenés de force dans une école située à soixante kilomètres de la ville d’Aceh pour y être « rééduqués ». Juste avant, la Wilayatul Hisbah, la police religieuse, a voulu mettre en scène sa « victoire » contre la déviance : des jeunes gens alignés pour avoir leur crête rasée et leur t-shirt arraché.
L’histoire a fait pas mal de bruit. Des médias occidentaux, dont Le Monde et la BBC, ont relayé l’information. Les communautés punks sur le web peut-être encore plus. Les consulats allemand et français ont demandé des explications sur le traitement infligé par les policiers, en particulier sur le fait de plonger la tête d’adolescents dans un lac sans aucune raison. « Je leur ai dit que c’était une tradition locale », a répondu le chef de la police.
Choirul Anam, de l’ONG Human Rights Watch, rappelle que cette intervention policière n’était qu’une attaque contre la liberté d’expression et n’avait aucun fondement juridique : « Les gamins punks n’avaient pas troublé l’ordre public. » Il estime que le traitement des jeunes, une fois incarcérés, violait la convention de l’ONU sur la torture, signée par l’Indonésie en 1985.
Plus d’un mois après les faits, on ne sait pas si les 64 jeunes hommes et femmes sont toujours aux mains des policiers, s’ils ont été libérés, s’ils ont pu récupérer leurs t-shirts et leurs boucles d’oreilles. Au-delà de la rééducation, la police n’a formellement inculpé aucun d’entre eux.
On peut médiatiser ce genre de situation, en parler le plus possible pour susciter l’indignation ou même la colère. On peut aussi s’organiser et tenter de défendre ce qui a été concrètement bafoué ce jour-là : le droit d’écouter une musique qui ne plaît pas à tout le monde. Si tu as envie d’aider les punks d’Aceh, ne leur envoie pas d’argent. Envoie-leur des disques. C’est bien sûr l’idée qu’ont eue plusieurs structures de la communauté punk.
Le label Aborted Society a demandé aux internautes de faire des mixtapes – « un élément crucial de notre sous-culture, responsable à elle toute seule de la dissémination du punk dans le monde » – et vient d’envoyer une caisse entière de K7 à Aceh. Movement Records a lancé un appel au don pour produire des exemplaires de la compil Punk Aid 2012Aceh Calling, avec tout un tas de groupes de punks, pour l’envoyer aux gamins indonésiens.
La région d’Aceh est une ancienne terre de punk. « Il existe une communauté punk depuis les années 1980 », rappelle le Jakarta Globe. « Des concerts et des rassemblements ont eu régulièrement lieu jusqu’aux conflits armés entre les indépendantistes et l’armée pendant toutes les années 1990 et jusqu’à 2004 », date de l’armistice et du tsunami qui a dévasté l’Asie du Sud-Est.
Ce serait facile de dire que la guerre, les désastres naturels et le fanatisme religieux n’ont pas réussi à venir à bout de l’envie de vivre sa vie différemment en se faisant mal aux oreilles. Ce serait sûrement un raccourci, mais en regardant des gosses de 11 ans slammer en 2009, on se dit que quand même…

Blog « À la recherche des sons perdus »