Les dominés seront-ils toujours soumis ?

mis en ligne le 2 février 2012
Les dominés : des « verrues posées sur le corps social »
Dans ce dernier ouvrage de Maurice Rajsfus, qui vient de paraître aux Éditions du Monde libertaire, l’auteur pose la question essentielle de notre siècle de l’ombre : « Pourquoi les relations humaines se sont-elles autant dégradées ? » La réponse est simple : tout simplement parce que le meilleur des mondes n’est pas d’actualité, en témoignent, avant tout, la prévalence du besoin matériel de posséder, ou la jalousie qui prend le pas sur la chaleur des contacts, ou bien encore l’abandon des gestes naturels de convivialité et de solidarité. Toujours est-il qu’au final, ce sont les SDF, les chômeurs ou encore les sans-papiers qui sont les premiers exclus de ce système inhumain et arbitraire. Ces derniers font partie d’un autre univers, celui de la « France d’en bas », rejetés du circuit des gens « normaux », considérés comme des verrues sur un corps qui « devrait être sain ». Et Maurice n’a pas tort, car, pour l’anecdote, lors d’une conférence de presse, j’avais entendu Denis Kessler (président de la Scor, entreprise française de réassurance, c’est-à-dire l’assurance des sociétés d’assurances) comparer les chômeurs « à une maladie incurable, dont il fallait éradiquer les boutons un par un ». Une bonne partie des journalistes présents l’avait insulté avant de quitter bruyamment la salle. Et, aujourd’hui, son rêve est devenu réalité puisque certaines villes du sud de la France, mais aussi Paris, prétendent se débarrasser des SDF et des personnes trouvant leur pitance dans les poubelles sous prétexte que leur air de misère fait mauvais effet sur les touristes.

Les dominants : des « Fregoli modernes »
Et Maurice Rajsfus de nous rappeler, à ce sujet, que nous ne sommes que les rescapés d’un monde parfaitement inégalitaire. Il y a d’un côté les dominants, et de l’autre les dominés : les privilégiés et les autres… Le dominant est persuadé d’être constamment dans son droit. Il a plusieurs facettes, tout comme Leopoldo Fregoli (artiste italien, ventriloque et musicien, réputé pour ses changements de costumes très rapides) ; il peut jouer les meneurs d’hommes ou se montrer doucereux, si la situation l’exige. Dans tous les cas, il excelle dans le rôle de directeur de conscience : le dominant ne se trompe jamais ! Tellement imbus de son importance qu’il en vient à se croire immortel, d’où cette haine viscérale portée contre les jeunes générations. Le dominant a besoin de surveiller les dominés qui ont pour fonction d’assurer son pouvoir. Même s’il n’utilise pas les mots, le dominant ne connaît que des domestiques ou des serviteurs.

La dépendance salariale a remplacé le servage
Il ne reste plus au dominé, habitué à obéir à la consigne, que la résistance passive et la docilité, pour ne pas se faire remarquer. Dans la nouvelle organisation du monde moderne, la hiérarchie a pris la place de la féodalité. N’ayant que ponctuellement la possibilité de se rebeller, le dominé doit laisser croire qu’il est toujours possible de compter sur lui. Et ainsi dans cet ouvrage, Maurice passe au peigne fin tous ces nouveaux rapports de force sociaux. Bien sûr la domination salariale, mais aussi celle du banquier par rapport au prolétaire, du policier face au pékin lambda. Mais, en conclusion l’auteur rappelle que pour autant le dominant ne doit pas oublier ses classiques et doit « prendre garde à l’eau qui dort ». Car, étant à ce point persuadé de ne jamais être en danger, il arrive au dominant de négliger le fait que les dominés ne sont pas nécessairement voués à l’obéissance absolue jusqu’à la fin des temps !