La commune de San Juan Copala : histoire d’une autonomie saignée

mis en ligne le 9 février 2012
Un long passé de résistance triqui
En 1826, peu après la fin de la guerre d’indépendance mexicaine (1810-1821), les autorités officielles reconnaissent l’autonomie des peuples triqui de l’État d’Oaxaca en guise de récompense pour les efforts fournis par ces peuples dans le conflit. Toutefois, véritable épine dans le pied d’un gouvernement qui souhaite établir un contrôle effectif sur son territoire, cette autonomie se voit très rapidement contestée par ceux-là mêmes qui l’avaient accordée. Peu à peu remises en question au nom d’une unité politique territoriale, les « communes libres » des Triquis ne tardent pas à se révolter contre l’État. Un premier soulèvement est maté en 1832, suivi, en 1843, d’un second qui, malgré une ampleur bien plus importante, est également écrasé. En 1948, las de ces révoltes, le gouvernement de l’État supprime le statut d’autonomie et transforme les communes libres en agences municipales. Chaque commune autonome se voit ainsi rattachée à une municipalité (principalement celle de Juxtlahuaca, de Constancia del Rosario, de Putla de Guerrero ou de Tlaxiaco) contrôlée par des membres du parti au pouvoir (à cette date, le Parti révolutionnaire institutionnel – PRI). Le peuple triqui se retrouve ainsi divisé, et ce d’autant plus que les autorités s’efforcent de créer et d’entretenir des tensions entre les différentes communautés, en en favorisant certaines au détriment des autres.
Formellement dépossédés de leur autonomie, les Triquis entrent à nouveau en résistance. Dans les années soixante-dix, le Mouvement unifié de la lutte triqui (MULT) est créé et organise la contre-attaque. Si, dans un premier temps, le MULT se révèle assez combatif – sur des bases plus ou moins marxistes-léninistes –, il se met rapidement à flirter de près avec le gouvernement d’Oaxaca. Ce goût pour les sphères du pouvoir officiel conduit une partie de ses adhérents à fonder un parti politique – le Parti d’unité populaire (PUP) – pour finalement se présenter aux élections de 2004. Parallèlement au MULT, l’Union pour le bien-être social de la région triqui (Ubisort) est créé en 1994. Étroitement lié au PRI, il s’agit davantage d’un groupe paramilitaire particulièrement violent que d’un mouvement populaire triqui.
En 2003, pour contrebalancer ces tendances politiques et paramilitaires, le MULT-I (« I » pour « indépendant ») est créé, sous l’impulsion de membres dissidents du MULT. En 2006, la jeune organisation adhère à l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO), structure créée en juin 2006 pendant le soulèvement contre le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz.

La commune autonome de San Juan Copala
Le 1er janvier 2007, 20 communautés triqui (sur 36), toutes adhérentes à l’APPO, fondent la commune autonome de San Juan Copala. Par la proclamation de leur autonomie, ces indiens triqui entendent reprendre en main leur destin, à travers la mise en place – ou le rétablissement – de leurs propres institutions, avec leurs propres règles, définies par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Comme le dit le Conseil autonome de la commune en août 2006, l’objectif est de « cesser d’être des numéros dans une organisation clientéliste dont les dirigeants sont les soutiers des mauvais gouvernements et des riches de ce pays, uniquement préoccupés de piller les richesses naturelles de nos peuples ». S’émanciper des lois qui les rattachent à des municipalités inféodées à un pouvoir central qui ne se préoccupe pas d’eux, tel est l’ambition des compañeros de la commune autonome de San Juan Copala.
Voyant d’un mauvais œil cette autonomie qui les dépossède enfin de leur pouvoir illégitime, les autorités de l’État d’Oaxaca et les dirigeants du MULT et de l’Ubisort répondent à cette création par la répression brutale. Ne pouvant directement engager les forces de l’ordre dans une sale besogne, les paramilitaires de l’Ubisort et du MULT se chargent de rétablir l’« ordre », non sans la complicité des gouvernements de l’État d’Oaxaca et fédéral. En novembre 2008, les nervis encerclent la commune et s’emparent du Palacio (centre administratif) dans un déchaînement de violence qui coûte la vie à 9 enfants, entre autres. C’est le début et la multiplication des agressions, des viols et des intimidations contre les partisans de l’autonomie. Encerclée, la commune subit un véritable siège, digne des opérations des armées officielles : l’eau et l’électricité sont coupés et des snipers sont placés pour empêcher les habitants de sortir.
En avril 2010, une caravane humanitaire est mise en place pour apporter aux « communards » des médicaments et de la nourriture. Le 27, à quelques kilomètres de la commune, les paramilitaires de l’Ubisort ouvrent le feu sur la caravane et assassinent Bety Carino Trujillo et le libertaire finlandais Jyri Antero Jaakkola…
Quelques mois plus tard, le 13 septembre, les paramilitaires de l’Ubisort et du MULT-PUP lancent un nouvel assaut contre la commune, s’emparent de la mairie et menacent d’exécuter les habitants s’ils ne quittent pas les lieux dans les plus brefs délais (24 heures). Le 17 septembre, la terreur s’amplifie et trois femmes sont tuées sur place. Les partisans de l’autonomie sont contraints de quitter le village. Le 19 septembre, il n’en reste plus un seul. Au sujet de cette répression sanglante, le conseil autonome communautaire de San Juan Copala écrivait, en mai 2011 : « Nous avons été attaqués de la façon la plus cruelle jusqu’à ce qu’ils réussissent à nous déplacer et à s’emparer de nos maisons. Plus de 22 compañeros ont été assassinés par les groupes paramilitaires et parapoliciers financés et encadrés par le gouvernement du néfaste Ulises Ruiz Ortiz, avec la complaisance du gouvernement fédéral. » Mais la longue liste des victimes de la répression étatique n’était pas encore terminée. Le 5 août 2011, à 17 heures, trois compañeros – Álvaro Jacinto Cruz (18 ans), Francisco Ramírez Moreno (37 ans), José Luis Ramírez (38 ans) – perdent à leur tour la vie sous les balles des paramilitaires.
Bien sûr, les paramilitaires, complices de l’État, n’encourent aucun risque, aucune poursuite judiciaire, aucune condamnation. Dans un communiqué du 6 août 2011, le conseil autonome communautaire dénonçait : « Nous voulons établir clairement que, bien qu’il existe des mandats d’arrêt contre les assassins de notre peuple, ils ne sont pas exécutés parce que le pouvoir de la direction du MULT est supérieur au gouvernement de l’État ; c’est pour cela qu’ils ont la permission de massacrer impunément, et encore qu’ils sont récompensés avec des petits bons de 50 millions de pesos accordés par le gouverneur lui-même, argent dont leur base sociale n’arrive jamais à voir la couleur. »

Le retour des déplacés
Pour cette année 2012, les déplacés de San Juan Copala se sont juré de retourner chez eux, de reprendre leur commune et de poursuivre la construction de l’autonomie proclamée il y a cinq ans. Le 26 janvier, une première partie des déplacés doit rejoindre les autres au village de Yosoyuxi, avant la dernière ligne droite vers San Juan Copala. Au total, ce n’est pas moins de 250 compañeros et compañeras, essentiellement des femmes, qui s’apprêtent à reprendre pacifiquement possession de leurs terres. Avant leur départ, ils demandent aux autorités de l’État d’Oaxaca d’assurer leur sécurité contre la présence des paramilitaires qui ont déjà prouvé, à moult reprises, de quoi ils étaient capables. Mais le gouverneur actuel, Gabino Cué Monteagudo, leur a signalé son refus et les a assurés qu’il ne prendrait pas la responsabilité de leur sécurité. Déterminés malgré les très probables dangers, les « communards » n’abandonnent ni ne modifient leur projet de retour.
Le 26 janvier, date à laquelle tous les déplacés devaient se réunir à Yosoyuxi, la première partie de la « caravane » est bloquée, à quelques kilomètres du village, par un important dispositif policier déployé par le gouvernement. Les déplacés sont alors informés d’un accord passé entre l’État et le MULT et qui stipule que les déplacés pourront revenir à San Juan Copala, famille par famille, « graduellement », pour peu qu’elles renoncent au projet d’autonomie collective et qu’elles acceptent l’autorité de ceux-là même qui les ont chassé de chez eux et tué leurs proches.
Le 29 janvier au matin, la caravane parvient enfin jusqu’au village de Yosoyuxi où elle rejoint les autres déplacés qui l’attendent. Sur le chemin vers San Juan Copala, 200 policiers antiémeutes leur barrent la route pour les empêcher d’atteindre leur village. Adelfo Regino, le secrétaire aux Affaires indigènes de l’État d’Oaxaca, les informe que l’ensemble des déplacés ne pourront aller plus loin. Il les autorise, en revanche, à envoyer une délégation de 10 personnes à l’assemblée communautaire de San Juan Copala qui doit se tenir ce jour dans la commune. D’abord révoltés contre cette fausse proposition, les déplacés acceptent finalement d’envoyer une délégation, non sans obtenir au préalable que leur sécurité soit garantie et que seuls des habitants de San Juan Copala soient présents à l’assemblée communautaire.
Tout se passait dans un calme relatif jusqu’à ce que la police reçoive l’ordre d’arrêter le compañero David Venegas Reyes, membre de l’APPO et de Vocal (Voix d’Oaxaca construisant l’autonomie et la liberté), venu soutenir les déplacés dans leur difficile et périlleux retour chez eux. Éternels serviles, les flics obtempèrent et, avec force coups, arrêtent le compañero. Plusieurs procédures ont été engagées, y compris sur Oaxaca, pour obtenir plus de renseignements sur cette arrestation subite. On sait désormais, aux dernières nouvelles, qu’il est incarcéré à la caserne de la police de l’État à San Bartolo Coyotepec et qu’il est inculpé pour « dommages, agressions et menaces contre des fonctionnaires publics »… Ce qu’il nie. Le 31 janvier, dans l’après-midi, il est finalement libéré et les charges à son encontre sont abandonnées.
Cette arrestation brutale a sans aucun doute été conçue pour provoquer la caravane et ralentir, si ce n’est empêcher, le retour immédiat des déplacés. La répression ne semble donc pas avoir fini de s’abattre sur la commune autonome de San Juan Copala. Mais ces indiens triquis épris de liberté n’entendent pas pour autant abandonner la lutte et, malgré les morts, les enlèvements et les agressions, ils restent déterminés. Albino, le porte-parole de la commune, déclarait il y a quelques jours : « Nous y allons seuls, mais prêts à récupérer nos maisons de façon pacifique. »
D’après les dernières informations reçues, les déplacés seraient toujours immobilisés par les barrages de la police antiémeute. Au vu de la situation, le retour définitif des déplacés semble plus que compromis, et leur détermination implacable pourrait bien se révéler insuffisante. Les jours qui suivent nous dirons probablement ce qu’il en est…



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


portobello

le 1 mars 2012
article interessant sur l'oppression que subit cettre region du mexique
belle ecriture;
Amicalement