Tentative de convergence des luttes à Rouen

mis en ligne le 23 février 2012
1661RouenVoilà une tâche difficile quand, dans les entreprises comme dans la fonction publique, la mainmise de centrales syndicales est omniprésente. Avec ces organisations majoritaires et réformistes, difficile de rassembler, de monter une lutte dans l’autonomie et dans la convergence ou de donner la parole à chacun. C’est pourtant ce qui est en passe de se réaliser autour notamment d’une lutte du Dal (Droit au logement). Il est vrai que le récent conflit contre la réforme des retraites, même s’il a été un échec, avait permis un premier rapprochement entre différents secteurs. Piquets communs, blocages, assemblées générales interprofessionnelles (avec cependant des difficultés) durant lesquelles travailleurs des raffineries, cheminots, enseignant, étudiants, travailleurs du social, chômeurs, etc., s’étaient retrouvés sur des revendications communes. On ne part pas de rien et la lutte apprend. Aujourd’hui, on assiste à une multiplication des luttes.

Travail social
Dans le secteur du travail social d’urgence et du soin, depuis près de trois mois, les salariés se mobilisent. En effet, alors que le besoin en nombre de places se fait sentir toujours plus avec la paupérisation de toute une partie de la société et la vague de froid qui s’est installée, les coupes franches dans les budgets ont pour conséquence directe la fermeture de plusieurs centres d’accueil à Rouen et la fin d’associations qui accompagnent les personnes précaires. Les financeurs de l’État, par le biais des préfectures, le conseil général et la mairie (socialiste) se partagent cette responsabilité. Un collectif autogéré de salariés du social en lutte mène des grèves reconductibles et a installé un piquet de grève jour et nuit devant le conseil général. Ces salariés du social se sont heurtés à l’immobilisme, voire aux freins mis par les unions départementales des centrales syndicales (les salariés de la CFDT sont confrontés à la même chose !). Occupations, perturbations de la cérémonie des vœux au conseil régional et à la préfecture, diverses manifestations ont été organisées en collaboration avec le Dal, notamment l’organisation de la réquisition d’un immeuble et l’occupation du conseil municipal de la ville de Rouen pour exiger le relogement des familles. Des assemblées générales communes ont également été organisées avec les infirmiers du CHRS. Au bout du compte, ils n’ont obtenu que des promesses non écrites, mais la lutte continue.

Éducation nationale
Les travailleurs du social ont été rejoints par les enseignants en lutte contre les nombreuses fermetures de classe (130 dans le primaire dans l’académie de Rouen) et les dotations horaires catastrophiques dans le secondaire. Pour le premier degré, la moitié des fermetures de postes sont celles que le public voit le moins, les fameux Rased (réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), déjà très touchés l’an dernier. Les postes, s’ils ne sont pas pourvus par un enseignant formé, disparaissent, sans se soucier du fait qu’il y a un réel besoin dans les secteurs où de nombreux enfants sont en difficulté. C’est la logique comptable qui s’applique. Or, si ces postes sont occupés par des gens sans formation, c’est qu’il n’y a plus de formation depuis des années. CQFD. Dans le secondaire, ce sont des sections entières qui ferment, notamment dans l’enseignement professionnel, voué à disparaître au profit de l’enseignement privé, au service du patronat local. Dans le même temps, l’Observatoire de la laïcité, créé depuis un an à Rouen, a repéré que 250 000 euros étaient versés par la mairie, de façon complètement abusive, aux écoles maternelles privées – ce que ne prévoit pas la loi Debré sur le financement des écoles privées en France. Qu’elle soit patronale ou confessionnelle, c’est la privatisation de l’enseignement qui est en marche. Toutes les mesures prises ces dix dernières années convergent vers la libéralisation de l’école publique et la mise au pas des enseignants. La journée de mobilisation du 31 janvier (avec une manif de près de 500 personnes à Rouen) a été un succès, en dépit du départ de nombreux enseignants à la manif de Paris. L’AG de 120 grévistes a décidé de rejoindre les travailleurs sociaux dans la rue, accompagnés du Dal, mobilisé pour reloger six familles actuellement à la rue.

Droit au logement
Obliger les pouvoirs publics, État et mairie, à appliquer la loi de réquisition, c’est l’objectif que s’est fixé le Dal de Rouen, en réquisitionnant le 15 janvier un ancien foyer de marins appartenant à la marine marchande, autrefois très présente à Rouen. Malgré les conditions précaires, l’électricité arrive à être rétablie. Manque toujours l’eau ; de petits chauffages d’appoint permettent aux familles et aux militants de se loger tant bien que mal. Comme ailleurs, la situation est désespérée pour nombre de personnes à la rue. Un SDF est mort de froid près de Rouen au mois de janvier. Qu’il y ait des enfants, dont un bébé de deux mois, que ces familles aient gagné leur procès au vu de la loi Dalo, rien n’émeut le préfet, qui a même fait placer une famille avec enfants en centre de rétention. La loi, encore, est celle des plus forts. Les plus pauvres n’ont qu’à crever, les étrangers n’ont qu’à partir. Là encore, la solidarité d’autres secteurs a joué et c’est dans une ambiance joyeuse et revendicative que de nombreux soutiens se sont retrouvés en manifestation, pour de nouvelles réquisitions.

Squats
Et en termes de réquisitions, il y a ceux qui savent faire, les squatteurs renvoyés d’un bâtiment à l’autre, mais qui ont toujours la pêche. Pour la plupart des jeunes, jusqu’ici un peu enfermés dans une lutte qu’ils veulent pourtant politique. Leur volonté, plus ou moins affichée, de vivre autrement, ne pas être soumis à un loyer, à un travail salarié, les a un peu enfermés sur eux-mêmes. Eux aussi menacés d’expulsion, ils s’intéressent à la lutte du Dal, se solidarisent, montrent leur savoir-faire.
On ne peut finir cet inventaire sans parler de la raffinerie de Pétroplus de Petit-Couronne, vouée à la fermeture et dont parlent les médias actuellement. Là, de nombreux rassemblements de soutien ont également eu lieu, même si on comprendra que l’omniprésence de la CGT rend la convergence et l’autonomie plus difficiles.
Qu’est-ce qui rassemble toutes ces luttes ?
Le constat que c’est la population la plus en difficulté qui trinque encore et toujours. Que cette population va devenir de plus en plus nombreuse et de plus en plus précarisée. Une école publique a minima pour les enfants des familles populaires, des logements insalubres ou pas de logements du tout pour les plus pauvres. Toujours plus de profits, la prétendue crise et la dette publique permettant de justifier toutes les atteintes à l’emploi, aux droits et aux services publics.
C’est également, et les anarchistes ne peuvent que s’en réjouir, cette manière de renouer avec l’action directe, la réappropriation, la solidarité et l’autonomie des luttes. Par exemple, l’idée de créer une « maison des résistances » est lancée.
Bien sûr, il y a des freins, l’espoir de certains de voir changer les choses par les urnes, par la négociation et la volonté de tout dominer de quelques bureaucraties. Mais comme je le disais plus haut, les luttes nous enseignent bien des choses. Il y a de plus en plus de gens qui veulent militer autrement et donner de la voix, même s’ils ne représentent qu’eux-mêmes, des individus libres. Encore un petit effort vers cette convergence !



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


julien bézy

le 2 mars 2012
Le DAL est souvent dans la convergence des luttes.