Trois petits tours et puis s’en vont ?

mis en ligne le 3 mai 2012
Je ne vais pas vous abreuver de pourcentages, je ne fais pas de politique avec des pourcents. (Des pourceaux parfois, mais mon absence de religion ne m’interdit pas de les côtoyer.) Je vais donc m’appuyer sur des nombres de voix. Cela traduit bien mieux la réalité et permet d’affiner l’analyse, gangrenée médiatique-ment par les « parts de marché » et les reports au second tour.
Un exemple, Eva Joly. Son score, s’il n’atteint pas les sommets des années 1980, ni celui de Mamère en 2002 (1 495 724 voix) est de 806 504 voix. Voynet avait fait 576 758 voix en 2007. On ne peut pas parler d’échec cuisant. Bon nombre d’écolos, même de longue date, ont « voté utile ». Cela ne signifie pas que les idées portées par le mouvement écologiste depuis des décennies ne font pas leur chemin. On aurait tort de limiter l’évolution des sociétés, des consciences, à des pourcentages.
En 2002, l’extrême gauche (et le Parti communiste réduit à 960 480 voix), cela donnait 3 933 773 voix. Mélenchon a fait 3 951 795 voix en 2012. On a changé de têtes, mais on ne peut guère parler d’une radicalisation à gauche. Lutte ouvrière et NPA n’incarnent plus un réel espoir. L’absence de personnalités connues joue un rôle, évidemment, dans une présidentielle, mais surtout, je pense, ces deux organisations ont perdu en crédibilité électorale. Leur incapacité à se regrouper, à mettre en place un front commun, une unité, a permis à Mélenchon de le faire et au PCF de regonfler son score. (707327 voix en 2007…). Les électeurs n’ont pas compté sur eux pour incarner le vote antisystème. La dégringolade est flagrante pour LO qui passe, en dix ans, de 1 630 045 voix à 488 119 en 2007, puis 201 425 aujourd’hui. Pour le NPA, nous sommes loin du 1 210 562 voix de 2002, mais, en 2007, il faisait 498 835 voix, et 408 335 en 2012. La casse est moindre.
Ceci est surtout la preuve, pour ces organisations, des contradictions liées à ce jeu difficile : se présenter aux élections, y chercher une représentativité, mais ne pas jouer le jeu jusqu’au bout et tenter de garder son âme, son « indépendance » idéologique. Cela ne marche pas sur la durée, du moins pas dans une période sans réelle remontée des luttes.
Pourtant, en politique, ces calculs ne suffisent pas à traduire l’air du temps. Même si c’est un ancien ministre, sénateur, qui a porté cette parole, et si nous savons à quel point elle est, dans sa bouche, calcul, elle est apparue pour beaucoup, chez ses électeurs, mais aussi chez ceux qu’elle a effrayés, comme une critique virulente du capitalisme et de la finance. Illusions, certes, mais ce scrutin n’est presque que cela.
Le score de Le Pen en témoigne. 2,5 millions de voix en plus qu’en 2002. Et, là aussi, un discours prioritairement axé sur le social, la misère, la faillite des élites, les multinationales et la finance. Bien sûr, l’habileté de ce discours est de présenter « l’étranger » (travailleur immigré, demandeur d’asile ou milliardaire spéculateur) comme la cause de la ruine de la France et de la misère sociale.Tout est mixé, luttes de classes et patriotisme, comme ont su le faire les fascismes des années vingt et trente. Jamais le FN n’avait à ce point joué cette carte-là ; lui aussi surfe sur les effets de l’austérité, sur la casse des services publics, sur la précarité croissante. Et les tracts ou prospectus des syndicats, qui sentaient venir le vent mauvais, n’y ont rien fait. Comme serait illusoire toute mobilisation « antifasciste » ! Celle-ci peut être utile face à des groupes d’extrême droite cherchant à s’imposer par la force. Mais la seule alternative est à la base, dans le travail de terrain (pas celui des cercles militants déjà existants), dans l’organisation de luttes, même modestes, qui redonneront confiance dans les capacités de mobilisation collective, dans la solidarité effective, pas celle affichée par un politicien ou un ministère « dédié à ». Ce que d’aucuns nomment un troisième tour social depuis des décennies, et qui n’est pas encore advenu.
Il n’est pas de sauveur (suprême ou non), producteurs, sauvons-nous nous mêmes! Sans luttes, cette prise de conscience ne se fera pas. Les millions d’électeurs, encore volatiles, ne sont pas encore des bataillons brun marine. Je les croise dans la rue, je vis et travaille avec eux. Notre travail militant est là. Je repense à certains intellectuels tunisiens ou égyptiens, qui, devant les résultats des élections et les scores des partis musulmans s’exclamèrent : « Nous avions oublié de nous adresser à eux [les pauvres] toutes ces années, il nous faut retourner sur ce terrain. »

Strugudule