Les luttes du peuple mapuche. Chili : état des lieux, état des luttes (3/3)

mis en ligne le 3 mai 2012
Les Mapuches sont le seul peuple indigène à avoir forcé les colonisateurs espagnols à signer un traité, en 1803, reconnaissant l’indépendance de leur territoire. Mais, entre 1880 et 1886, après l’indépendance, les gouvernements d’Argentine et du Chili ont mené et gagné une guerre d’occupation du Wallmapu, le territoire mapuche.
Dans les manuels d’histoire, cette guerre est nommée, en Argentine, « conquête du désert » et, au Chili, « pacification de l’Araucanie ». Les deux États ont ensuite redistribué des terres aux survivants mapuches, des terres si petites qu’on les a appelées des « réductions ».
C’est sur ces terres que vivent aujourd’hui les 2 200 communautés mapuches du Chili, elles sont réparties au sud du fleuve Bio-Bio. Les Mapuches chiliens sont environ 800 000 et 30 % d’entre eux ont émigré pour vivre dans la misère et la précarité des grandes villes du pays.
Les Mapuches n’ont jamais cessé de réclamer la restitution de leurs terres ancestrales, aujourd’hui occupées par des propriétaires terriens et des entreprises minières, forestières, agricoles et touristiques appartenant à de grands groupes économiques qui contrôlent plus de 50 % du PIB chilien.
Du 12 juillet au 8 octobre 2010, 37 prisonniers mapuches se sont sacrifiés en faisant la grève de la faim pour dénoncer la criminalisation de leur lutte politique et l’application contre eux de la loi antiterroriste promulguée par la dictature d’Augusto Pinochet et maintenue de façon inaltérable par les quatre présidents de la Concertation démocratique de centre-gauche qui se sont succédés au pouvoir : Patricio Aylwin, Eduardo Frei, Ricardo Lagos, Michelle Bachelet et Sebastian Piñera.
Cette loi rend les suspects passibles d’un double jugement civil et militaire, permet leur détention sans limites de temps, multiplie par trois les peines encourues et empêche les avocats d’avoir accès aux preuves.
Le 7 septembre, le président de droite, Sebastian Piñera, digne héritier de Pinochet a proposé d’améliorer la loi, mais le texte final encadre l’une des pratiques les plus inquiétantes, c’est-à-dire l’emploi de délateurs dans les communautés mapuches et de témoins protégés masqués dans les procès intentés aux suspects.
La loi Piñera accorde l’immunité à ces « témoins » que les accusés ne peuvent ni voir, ni confronter. Au Chili, ne connaissant pas l’identité de ces personnes, on ne peut vérifier ni leur crédibilité ni leur connaissance des faits évoqués. Plus grave encore, la police et les pouvoirs publics sont soupçonnés d’inciter ces témoins à mentir moyennant argent, menaces ou chantage. Il faut signaler le cas d’un homme qui aurait reçu des sommes mensuelles de 100 000 pesos en plus d’un prêt de 12 millions de pesos pour l’acquisition d’un terrain. Ce témoin aurait déjà participé à cinq procès de militants mapuches. Plusieurs autres témoins sont des criminels repentis qui bénéficient mystérieusement de l’abandon des poursuites à leur endroit. Les Mapuches dénoncent de nombreuses violations de domiciles accompagnées de violences souvent commises contre des vieillards et des enfants, ainsi que des arrestations préventives dont la durée excessive permet des montages politico-judiciaires menant à d’autres arrestation.
Ce climat s’est renforcé à la veille de l’application du Plan Araucanie qui vise à inclure les communautés mapuches dans les projets de développement néolibéraux du gouvernement Piñera et de la droite chilienne sensés apporter la prospérité dans la région. Comme préalable, le plan prétend devoir combattre la délinquance mapuche en augmentant les effectifs policiers et militaires sans toutefois toucher aux causes de cette délinquance : précarité du travail, absence d’alternative pour les jeunes et coupures dans les dépenses sociales.
Dans une centaine de villages et de quartiers populaires dont plusieurs en Wallmapu ont été nommés des chargés de quartiers, des fonctionnaires dépendant du ministère de l’Intérieur et dont le mandat est de coordonner les agents secrets, les délateurs et les autres composantes du réseau répressif.
La perversité du Plan Araucanie consiste à mêler habilement affaires policières de délinquance commune et de trafic de drogue avec la violence familiale et les mauvais traitements des enfants pour gagner l’appui des classes moyennes à la démagogie gouverne•mentale anti-Mapuches. Les Mapuches, bien sûr, rejettent un plan qui fait d’eux des criminels et des alcooliques, mais aussi des « pauvres » qu’il faut aider, alors que le vrai problème est l’occupation et la dépossession de leurs terres. Plan Araucanie et loi antiterroriste se complètent pour discréditer et réprimer les militants mapuches « qui affrontent la guerre d’extermination que leur a déclaré l’État chilien ».
Accusés de terrorisme, ces militants n’ont pourtant tué personne, n’ont posé aucune bombe et agissent sans même utiliser d’armes à feu. Hector Llatul, par exemple, est passible de 103 ans de prison pour avoir allumé un incendie et agressé physiquement un procureur, infiniment plus que les trois années de travaux communautaires infligées au brigadier de carabineros, Walter Ramirez, qui, en 2008, tuait par balles l’étudiant mapuche, Matias Catrileo.
Aujourd’hui les étudiants, les habitants d’Aysén, de Magallanes ou encore les Mapuches d’Araucanie sont des symboles pour le reste du pays, leurs luttes montrent qu’il existe des moyens concrets d’organisation des luttes populaires sur des bases autogestionnaires, hors de l’influence des partis traditionnels, pour tous ceux qui n’acceptent pas la capitulation face à un système capitaliste qui opprime et qui exploite.