Algérie : ça branle dans le manche

mis en ligne le 14 juin 2012
Le pouvoir algérien, qui redoute tant une extension des révoltes tunisienne et égyptienne, n’a toujours pas l’intention de laisser contester sa « légitimité ». Le parti qui dirige le pays depuis son indépendance en 1962 s’est toujours employé à faire taire toute opposition, malgré le sous-titre de son organe de presse Le Moudjahid (« La révolution par le peuple et pour le peuple »). Jolie formule reniée dès le début en éliminant tout ce qui n’adhérait pas à ce parti unique. Depuis, grâce à l’armée, le pouvoir se maintient en utilisant l’arsenal des moyens mis à sa disposition : élections truquées, Constitution retoquée pour prolonger le mandat présidentiel, répression des mouvements de révolte (en Kabylie notamment), interdiction d’organisations syndicales véritablement indépendantes… Déjà quatre syndicats autonomes 1 avaient dénoncé dans une déclaration commune l’attitude du gouvernement qui bloque la légalisation de nouveaux syndicats, mais qui pour se donner une apparence plus démocratique en vue des élections législatives de mai, avait légalisé en toute hâte plusieurs partis politiques (sans doute moins dangereux pour le pouvoir qu’une organisation de classe, allez savoir…). Mais comme sous toutes les latitudes, rien n’y fait : les travailleurs, toujours aussi obtus, n’en finissent pas de réclamer une amélioration de leurs conditions de vie. Ainsi depuis la mi-avril un mouvement de grève à l’appel du Snapap 2 a démarré dans l’administration judiciaire, suivi par 95 % des travailleurs de ce secteur – qui s’est trouvé entièrement paralysé. D’après les informations qui nous parviennent 3, à Alger tous les tribunaux ont été paralysés (y compris le Tribunal suprême), et ce malgré les pressions et les menaces de licenciements ou de mutations forcées. Pour enrayer ce mouvement, on a pu voir des fonctionnaires enfermés dans leurs bureaux pour les empêcher de rejoindre les grévistes, et même la diffusion d’un faux communiqué à en-tête du syndicat, commençant par des versets coraniques et appelant à cesser la grève. Finalement l’État a réagi vigoureusement comme à son habitude, et les rassemblements ont tous été sauvagement réprimés par la police. Dernier recours pour ces travailleurs : la grève de la faim pour faire entendre leurs revendications aux dirigeants du pays. Réponse de ces derniers : licenciements, résiliations de contrats, arrestations et emprisonnement de syndicalistes.
Les revendications concernent le statut qui régit la profession, la précarité dont souffrent les travailleurs de ce secteur et l’application des accords signés le 22 février 2011 par le ministre de la Justice (augmentation des salaires et révision du statut). L’état des travailleurs en grève de la faim depuis le 6 mai se dégrade de jour en jour et met leur vie en danger. Dans le dernier communiqué du 26 mai publié à Alger, il est précisé que parmi eux se trouvent deux femmes dans un état très grave ayant nécessité leur évacuation vers l’hôpital de Rouiba, et ce malgré les pressions faites sur les médecins pour empêcher ce transfert.
Plus de deux cents travailleurs affiliés au Snapap ont été arrêtés alors qu’ils participaient à un rassemblement. Dans le même temps, la répression s’exerce aussi contre les réseaux sociaux. Tarik Memeri, jeune blogueur de 23 ans a été arrêté pour avoir envoyé sur le net un appel au boycott des élections algériennes, détruit des panneaux électoraux et brûlé sa carte d’électeur. Il a reconnu les faits et déclaré : « J’ai préféré faire ça plutôt que de m’immoler par le feu. »
Malgré les mesures d’intimidation, des syndicats nationaux autonomes se constituent dans les entreprises d’État : Sonelgaz (électricité et gaz), la Poste… De son côté, le Syndicat de l’enseignement supérieur Solidaires (SesS) participe à ce processus de construction d’une confédération autonome des syndicats. Des sections se sont créées dans dix-huit établissements universitaires bien que leur légalisation ait été rejetée.
Affaire à suivre donc.










1. SNCCOPEN (Éducation nationale), CLA (Conseil lycées d’Algérie), SNTFP (Syndicat national des travailleurs de la formation professionnelle), Snatna (Syndicat national autonome du nettoiement et de l’assainissement).
2. Snapap : Syndicat réunissant tous les fonctionnaires de la fonction publique.
3. Notamment par le biais de la Commission de travail pour l’Afrique du Nord – CGT espagnole.