Molly, reviens ! T’en as oublié un (au moins)

mis en ligne le 6 décembre 2012
Chère Molly Maguire *,

V’la que nous, travailleurs, on aimerait bien te voir revenir ici-bas, par chez nous. Le temps, du moins, d’une petite tournée, histoire de rattraper un peu le retard pris par cette noble croisade contre les affameurs et autres grands qui nous gouvernent et nous exploitent. En ton temps, tu eusses fait sauter quelques têtes, crever quelques bides, casser quelques gueules. Il est certain que liquider un bonhomme est plus catholique qu’anarchiste (tu étais d’ailleurs toi-même catholique – mais, une fois morte, sans doute t’es-tu rendu compte qu’il n’y a pas plus de dieu en ce monde que de patrons bienveillants ou de flics honnêtes), mais, parfois, à en écouter certains, à les regarder agir, on en vient à nourrir l’envie de les voir perdre leur tête. Pour de bon.
Ici-bas, dans notre France de 2012 (qui a renié les trois-quarts des nobles idéaux de la Grande Révolution), il y a justement un de ces bonshommes dont on aimerait bien que la caboche prenne le large. Son nom ? Lakshmi Mittal. Sa fortune ? 28,7 milliards de dollars américains (le sixième plus grand friqué de la planète). Petit retour sur un de ses (nombreux) méfaits.
En janvier 2006, tenté par la sidérurgie, il rachète Arcelor et affirme vouloir créer plus de 2000 emplois dans l’Hexagone. Concert d’éloges de la part du gouvernement d’alors, qui ne manque pas de nous ressortir son couplet mensonger sur les bienfaits des grands industriels. Mais la désillusion ne tarde pas… En décembre 2008, il annonce la suppression de 9 000 postes dans le monde, dont 1 400 en France, et ce malgré une hausse de 27 % des bénéfices du groupe. En mars 2009, il continue son sabrage général et promet, cette fois, la suppression de 10 000 emplois ! Courant 2011, les deux hauts-fourneaux belges de Liège mettent la clé sous la porte et ceux de Florange, en Moselle, sont stoppés pour une durée prétendument limitée. En octobre 2012, après avoir mis un terme à l’aciérie luxembourgeoise et après avoir raflé toutes les subventions françaises à tous les étages, il annonce la fermeture définitive des deux hauts-fourneaux de Florange, mettant ainsi 6 000 salariés au chômage…
Pour tenter de résoudre le merdier ainsi créé (promesses de campagne électorale obligent), le gouvernement socialiste, en la personne du ministre du Redressement productif, s’est tout récemment proposé de racheter l’intégralité du site de Florange, avant de le revendre à des repreneurs éventuels. (Tu te doutes bien, chère Molly, que, dans l’absolu, ce contrôle étatique de la production ne rencontre pas les faveurs anarchistes, mais, dans l’immédiat, ça sauverait des emplois, et il serait malvenu de rejeter cette solution avec la même véhémence.) Mais c’était compter sans la rapacité de Mittal, qui a écarté d’un revers de main l’idée de céder à l’État français l’intégralité du site mosellois. Celui qui pèse déjà près de 30 milliards de dollars américains ne souhaite pas se séparer ainsi des secteurs très rentables de Florange. Face à ce refus, le ministre Montebourg, dépourvu de sa chouette marinière – délaissée au profit d’un impeccable costard (français ?) –, s’est quelque peu emporté (c’est déjà beaucoup dire) en affirmant que le milliardaire indien n’était plus le bienvenu en territoire français. Bien que les OQTF ne soient délivrées qu’aux pauvres, le maire de Londres, le cynique imbécile Boris Johnson, s’est inquiété du bien-être de ce grand patron et lui a proposé l’asile en le mettant en garde contre les « sans-culottes » qui se seraient emparés du gouvernement français ! (Malheureusement, chère Molly, les sans-culottes ne se sont emparés de rien du tout. Les Girondins et le Marais ne le laisseraient pas faire.)
Finalement, vendredi 30 décembre, dernier jour avant le mois des fêtes, Mittal, peut-être un peu inquiet (ou peut-être pas), a promis un investissement de 180 millions d’euros sur cinq ans pour le site de Florange. Dans la foulée, Jean-Marc Ayrault, qui semble plus enclin à exproprier des petits paysans bretons qu’un grand baron de l’industrie, a affirmé qu’il n’y aurait donc pas de nationalisation, saluant de fait l’accord conclu. « Ouf », a-t-on sans doute soufflé dans les bureaux du Medef. « Ouf », aussi, du côté du gouvernement. Mais, pour l’heure, rien ne garantit que le richissime Mittal ne tienne parole. Et quand on repense aux déclarations qu’il tenait quelques années auparavant lorsqu’il acquérait Arcelor, on est en droit de ne pas mettre le moindre espoir dans ses promesses. Et l’on peut parier que, dans quelques semaines, les salariés de Florange se mettent à nouveau à redouter un plan social.
Voilà, chère Molly, l’affaire qui, pour l’heure, nous occupe. Tu sais tout, ou presque, de l’infâme entreprise de celui qui, comme bien d’autres avant lui, s’était présenté en sauveur. Alors sache que tu nous comblerais si, lors d’un de tes passages ici-bas, tu pouvais repartir avec, dans ton baluchon, la tête de ce gros plein de fric qui incarne à la perfection l’impudence de ce monde.





* : Pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler de ce grand personnage de l’histoire de la lutte des classes, l’Irlandaise Molly Maguire a, de son vivant (les années 1840), mené la vie dure aux propriétaires terriens de son pays. Leader du Parti de la terre libre, elle liquidait, avec l’aide de ses fils, les propriétaires qui expulsaient de leur terre les petits paysans. Elle s’en prenait également aux agents réclamant l’impôt et autres huissiers. Dans les années 1850, traquée par les autorités, elle s’exila aux États-Unis avec ses camarades de lutte, qui trouvèrent du travail dans les mines de charbon de l’Oncle Sam. À nouveau confrontés à l’exploitation capitaliste, ils reprirent leurs méthodes radicales pour protéger leurs intérêts en tant que travailleurs. Et ce ne fut pas inutile.