Un Afghanistan français ?

mis en ligne le 30 janvier 2013
1695AntiwarL’opinion française avait accueilli avec soulagement le départ des troupes françaises d’Afghanistan. L’inutilité de cet engagement dans ce pays lointain était partagée par la majorité des Français rejoignant le sentiment de nombre de familles de soldats mort là-bas. Ce répit n’a pas duré. Le 10 janvier, Hollande a enfilé son uniforme de chef des armées. Nous sommes en guerre. Cette fois encore, la France se bat contre des terroristes, contre des islamistes radicaux, la France, au nom des droits de l’homme, s’engage pour défendre un pays agressé. Aujourd’hui, ces populations aux abois accueillent la belle armée française comme des libérateurs. Demain s’apercevront-elles qu’elles ont changé de maîtres ? Frontières, peuples, intérêts divers et variés, complicités, nous allons tenter d’y voir un petit peu plus clair.

L’union sacrée
Il a suffi que retentisse le clairon dans les sables chauds du Grand Sud pour que dans un ensemble étonnant la société française, à quelques exceptions près, se mette au garde-à-vous. Il faut dire que le piège a bien fonctionné. Une de ses mâchoires est le spectre islamiste radical. Il hante la conscience occidentale. C’est à la fois un fantasme et une réalité. L’un nourrit l’autre, et inversement. Depuis la fin des communismes il est le repoussoir idéal pour une société engagée dans un consumérisme exacerbé. C’est aussi une réalité, de nombreux individus s’en prévalent et, les armes à la main, veulent établir leur royaume de Dieu sur terre. Notre société tout entière refuse de voir derrière ces revendications, ces actions mortifères, sa propre, immense, injustice. Après avoir soutenu les printemps arabes de façon très particulière, après avoir pris le parti de Benghazi contre Tripoli en promouvant une guerre propre, après avoir pratiquement ignoré les manifestations de rue en Syrie qui portaient en elles une possible solution pacifique, la presse française comme les autres remplit ses colonnes de la barbarie militariste, syrienne cette fois, des deux côtés. Si la situation en Syrie tourne à l’avantage des rebelles c’est grâce, en bonne partie, à ces gens au drapeau noir et inscriptions blanches. Mais il ne faut surtout pas que les mêmes ou leur clones viennent jouer dans notre pré carré. Tant que dans les confins du Sahara ces groupes aux noms exotiques s’occupaient à détruire quelques joyaux de notre patrimoine universel, c’était scandaleux, mais bon, c’était loin. Quand, ivres de leurs succès sans combat, ces mêmes groupes lancèrent leur offensive sur le sud du Mali, c’est-à-dire franchissant la ligne imaginaire coupant ce pays en deux, sortirent de ce que l’on voulait bien leur concéder comme leur territoire, la machine militaro-médiatique française se mit en marche au nom de la défense des droits de l’homme. Il serait possible de s’arrêter là et de dénoncer le retour de la politique de la canonnière.
Dans le concert unanimiste, parler comme le fit le député maire de Bègles, Noël Mamère, demande un certain courage : « Quand on dit qu’on a répondu à l’urgence, on a d’abord répondu à l’appel du président malien qui n’est que la marionnette des militaires, lesquels militaires s’apprêtaient à le déposer dans la semaine, Alors qui a-t-on sauvé ? Le président du Mali ou le peuple malien ? » En disant cela il ne faisait qu’aborder un bout du problème et c’est l’autre mâchoire du piège.

La question du Mali
Toute cette histoire commence à la fin du xixe siècle, fort loin de l’Afrique, à Berlin. Là en 1885, des hommes, sous l’influence de Bismarck, armés d’un crayon et d’une règle, se partagent un continent. Ce qui fera dire au géographe Henri Schirmer, dans les Annales de géographie, en 1895, « c’est là un effet de ce petit jeu de hasard auquel s’est tant complu la diplomatie européenne et qui consiste à se partager un morceau d’Afrique avant de savoir ce qu’il contient ». Ce territoire qui confirme les appétits colonialistes français comporte deux régions antinomiques dès le départ, une partie désertique, morceau du Sahara, au nord, et au sud une région de savane. Le Nord est peuplé essentiellement de Touaregs, blancs, islamisés, nomades ou sédentarisés, le Sud, lui, a une population noire sédentaire, dont la religion musulmane est fortement teintée d’animisme, comme les Dogons qui ont fait les grandes heures de nombre d’ethnologues français. En plus de ces antagonismes, la mémoire de l’esclavage des Noirs par les Touaregs reste prégnante dans la conscience des populations du sud. Tout comme le souvenir de l’importance des différents empires maliens qui régnèrent sur cette région pendant des siècles jusqu’à la colonisation.
Le territoire des Touaregs, pour certains d’entre eux leur nation, recouvre le sud de l’Algérie, cette partie du Mali, la plus grande partie du Niger et le sud-est de la Libye. Au nombre d’un million trois cent mille individus ils occupent un territoire désertique plusieurs fois grand comme la France. L’existence autonome de cette population a été niée depuis la fin de la colonisation, au début des années soixante, par tous les pays qui entourent le Sahara. Il ne faut pas s’étonner si année après année, révoltes après révoltes, les Touaregs ont gardé cette réputation d’insoumis perpétuels. De la même façon, en conséquence ils inspirent à la fois un certain mépris et une grande frayeur aux populations noires sédentaires. Ces dernières, plus nombreuses, maîtresses du pouvoir politique, n’ont pas investi d’une façon ou d’une autre dans la résolution de ce problème. Ce qui fait que, le 10 janvier, quand la coalition de djihadistes et de Touaregs franchit la frontière virtuelle entre Nord et Sud, du Mali, la population noire, avec raison, a peur.

L’armée malienne, armes et influences
Une question taraude tous les observateurs, ce capitaine qui a fait tomber le précédent président du Mali, qui est-il ou plutôt quel rôle joue-t-il ? Il détient peut-être une des raisons de l’intervention française. Ce militaire a été formé aux États-Unis. Il incarne en fait l’intérêt des États-Unis pour l’Afrique subsaharienne. Le Pentagone a investi plusieurs millions de dollars dans cette région de l’Afrique, conscient que l’endroit pouvait être un repaire pour Al Quaïda et un fabuleux terrain d’exercice pour ses propres spécialistes. Les choses ne se sont pas passées comme souhaitées, le capitaine a fait un putsch, ce qui pour la façade démocratique américaine n’est pas très porteur, et trois bataillons de l’armée tchadienne équipée par les Américains sont passés du côté des rebelles, c’étaient des Touaregs. Ils sont équipés de 4x4 Land Cruiser (100 000 dollars pièce) complètement neufs et de moyens de communication de dernière génération. Après le « Pan-Sahel Initiative » remplacé par le « Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership », c’est aujourd’hui de l’« US Africa Command » qu’il s’agit. Tout cela montre à quel point cette région du monde intéresse autant et le fait que les armées locales soient efficaces ou pas est secondaire. C’est d’abord un formidable marché pour les armes. Pour le Groupement des industries françaises de défense terrestre, « l’industrie de l’armement en France représente 15 milliards d’euros, dont 32 % à l’export (quatrième rang mondial). L’armement terrestre y compte pour 5,69 milliards d’euros, dont 2,3 milliards à l’export, soit 20 000 emplois directs, et autant d’indirects, l’État récupérant sous forme d’impôt autant qu’il met dans les entreprises d’armement (sous la forme du plan de relance) ».

Un nouvel Afghanistan ?
Il ne faut pas exagérer et pourtant il ne faut pas l’évacuer. Il semble que des groupes touaregs indépendantistes se disent « prêts à aider » l’armée française en faisant « le travail au sol ». Il faudra en payer le prix. C’est-à-dire prendre en compte leurs revendications, ce qui reviendrait à déséquilibrer toute la région, les Touaregs du Niger, de Libye ou d’Algérie voudront en profiter. Si les populations noires sédentaires semblent soulagées, elles vont rapidement se rendre compte que les sommes gigantesques dépensées dans cette histoire ne sont pas pour elles, ni peu ni prou.
L’intérêt économique de la région ne peut que prendre le pas sur d’éventuelles revendications de justice sociale. Il n’y a pas seulement le pétrole et le gaz du nord du Sahara et l’uranium du sud, au Niger. Pour les spécialistes, de nouveaux domaines de recherche s’ouvrent dans les sables, en particulier dans le domaine des terres rares, de plus en plus recherchées. L’exploitation de ces minerais, à quelques exceptions près, ne se fera pas d’une manière acceptable. Il y a malheureusement trop de facteurs convergeant vers un « mal développement ». Le risque est fort pour que, sous la triple pression d’une demande forte des investisseurs étrangers, de perspectives de rentes (le nom poli de la corruption) et d’une faible capacité des agences environnementales, cette exploitation se fasse selon un modèle « Far West ». Cela se fera, inévitablement, au détriment des équilibres naturels déjà fragiles, comme à celui des populations locales, qui seront déplacées et prolétarisées.

Choisir son camp ?
La situation n’est pas simple. il y a d’un côté la glorieuse armée française avec ses acolytes africains. C’est clair que ce n’est pas notre tasse de thé. De l’autre il y a les agresseurs venus du désert, une coalition d’islamistes radicaux, suicidaires, et de Touaregs rejetés. Faut-il choisir ? Je ne le crois pas. Ce que je sais c’est que les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis. Les populations, que nous connaissons à travers leurs membres immigrés dans notre pays, sont les victimes de ces combats. Notre solidarité ne peut aller que vers elles tout en reconnaissant que pour l’instant elles accueillent les bidasses tricolores avec soulagement. De loin, nous ne pouvons que servir de caisse de résonance à ceux qui luttent sur place pour plus de justice sociale. Voilà notre tâche.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


camarade

le 22 janvier 2015
texte bien écris ça me plais bien il y en faut plus des écris comme celui la