La révolution est l’ennemie de tout homme politique

mis en ligne le 3 octobre 2013
1717EgypteIl y a près de deux ans, les gens sont descendus dans les rues par millions pour s’opposer à l’ancien président déchu, Moubarak, selon un scénario qui a surpris l’ensemble de la société car ce mouvement était spontané et antipolitique. Cette énorme vague a frappé les vieilles élites politiques pourries. Les gens ont senti, pour une fois, qu’ils avaient le pouvoir de faire quelque chose de plus que les simples revendications réformistes que ne cessaient de répéter, depuis des siècles, les élites et les libéraux, y compris les islamistes.
Les gens ont enfin brisé le cercle vicieux, qui consistait à s’opposer au système de l’intérieur, ce qui était impossible puisque le principal pilier de ce système est la corruption – comme dans tous les systèmes à travers le monde. La corruption dont nous parlons est celle que les capitalistes créent, basée sur l’exploitation des masses, qui consiste à appauvrir la population pour le plaisir de les asservir et contrôler leur vie, ces masses qui sont allées crier trois mots, pas plus : « Pain, liberté, justice sociale. » Cela n’a pas duré très longtemps, jusqu’à ce que le Scaf (Conseil suprême des forces armées) se présente avec son plan « démocratique », visant uniquement à mettre fin au soulèvement du peuple, qui commence par le référendum constitutionnel et se termine avec Morsi, le soi-disant « président révolutionnaire ».
Depuis le début, le Conseil suprême des forces armées travaille aussi dur qu’il peut avec un seul objectif, en finir la jeunesse la plus radicale pour mettre en avant son « projet démocratique », composé d’une série de procédures que l’on est tenu de suivre pour exiger un changement qui soit civilisé. Ce processus a commencé avec les partis politiques de la jeunesse et s’est terminé sur les écrans de télévision, et c’est ce qu’ils firent. Mais tout cela a un prix, il faut montrer une loyauté totale envers le système actuel, s’y opposer comme ils vous le disent et agir comme si vous vouliez le changer, mais jamais remettre en cause son existence.
Mais ils ont eu tort. Ce qui était un plan a mal fini lors des élections législatives. Le système qu’ils voulaient préserver n’est plus digne de confiance pour le peuple. Les gens ont appris la leçon ; au moins cette fois, ils comprennent qu’ils ne peuvent faire confiance à personne, à l’exception de leurs mobilisations de rues, et en leur puissance, en tant qu’ils sont organisés. Alors, au milieu et à la fin de 2011, ils ont occupé de nouveau ce qu’ils avaient laissé avant. Les travailleurs se sont levés, exigeant ce que les médias d’État ont appelé des « demandes de factions », dans une des plus grandes vagues de grève ayant frappé le pays depuis des décennies. L’administration militaire a été incapable de liquider cet esprit révolutionnaire, et les élections présidentielles sont venues témoigner de la faible participation des classes inférieures et des gens en général.
Le fossé entre le « processus démocratique » et la masse des gens continue à se creuser. Les élites politiques, l’islam politique et les élites libérales étaient incapables de répondre aux exigences du peuple qui espérait, deux ans auparavant, mettre à bas le régime et qui espérait en une nouvelle alternative. Le sang du peuple continue à couler dans les rues, ce qui prouve que le processus, prétendument démocratique, de Constitution est la première étape sur la voie de la dictature.
Dans l’arène politique, les élites politiciennes ont essayé de trouver des solutions pour contrôler les masses, entre les discours politiques et l’argent versé pour financer les campagnes de jeunes, derrière lesquelles ces vieilles élites se cachaient, craignant que les gens soient en mesure de s’organiser et de trouver une alternative pour se débarrasser d’elles, elles qui font partie du régime pour réprimer les mouvements révolutionnaires et pour assurer la stabilité du système. Elles ont monté un mouvement appelant à la prétendue rébellion, sous le nom de Tamarod, afin de garder à l’esprit les exigences des élites politiques. Leurs « réformes » retentissaient dans les médias d’opposition mais leurs exigences se limitaient à « renverser la tête du système, Morsi », qui n’est, en fait, pas la cause du problème. La cause du problème initial est l’ancien régime dont les élites politiques font partie. C’est ce système qui n’est pas tombé le 28 janvier, et que tout le monde est soucieux de ne pas remettre en cause, pour leurs propres intérêts.
La campagne de Tamarod reflète les exigences des diverses élites politiques qui travaillent dur pour convaincre le peuple qu’ils œuvrent pour améliorer ses conditions économiques et sociales. Mais, si nous examinons la performance de ces élites, depuis le 28 mars, il y a deux ans – ils avaient appelé à empêcher les masses de descendre dans les rues et à arrêter les protestations ; ensuite l’administration militaire est venue comme la dernière carte pour que le système se protège –, nous constatons que ces élites sont celles qui ont appelé à passer par le processus démocratique, dans l’espoir d’obtenir des gains. Elles n’ont pas réussi à le faire, et c’est ainsi qu’elles se lèvent maintenant, après le succès des Frères musulmans, qui a le contrôle d’une partie de l’État, et l’exclusion du reste des forces politiques, ce qui a conduit à la congestion et aux conflits entre les élites libérales et les élites politiques islamistes, ainsi qu’à rétablir la puissance des élites libérales. Elles ont soutenu la campagne de Tamarod, compte tenu des demandes de réformes de cette classe parasitaire. Elles l’ont soutenue dans les médias, jusqu’à ce que Tamarod se transforme en mouvement réformiste à la recherche de racines dans la société, pour liquéfier l’esprit révolutionnaire des masses à des fins politiques et au bénéfice des élites, sous le masque de la démocratie.

Un avantage politique
Le danger de Tamarod est qu’il s’efforce de convaincre les gens que le problème n’est pas vraiment dans le système, qui repose sur l’exploitation, mais qu’il est à la tête du système – ce qui est inexact, puisque le changement à la tête du système, avant et après la révolution, est seulement un changement de nom, alors que les politiques répressives d’exploitation et les conditions sociales et économiques restent les mêmes. Ainsi, Tamarod est simplement une comédie politique qui ne change pas des autres et qui tente de politiser la révolution. Les élites n’ont pas d’objection à la politique actuelle ou antérieure du système ; la seule objection, c’est qu’ils veulent faire partie du système, ils veulent faire partie du pouvoir. Ils regardent la révolution comme un avantage politique, ils ne la voient pas comme un mouvement populaire qui veut détruire le système actuel afin que le peuple puisse construire une alternative pour plus d’égalité et de justice.
Et maintenant, après le 30 juin, quel est le résultat de cette « révolution » qu’ils ont affirmé être la suite de l’insurrection du 25 janvier – qui était en fait le 28 janvier ? Nous sommes immobiles face aux résultats du 30 juin et nous sommes maintenant pleinement sous un coup d’État militaire et, le plus remarquable, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un coup d’État militaire, mais bien d’une tentative de reproduire un système qui était mort en janvier mais qui est depuis remis à l’ordre du jour par les membres de l’arrière-garde.
Nous assistons au retour de la police d’État, assurant la protection du coup d’État militaire qui a ouvert ses bras à tous les membres de la société – pas seulement en tant qu’adversaire des islamistes – et qui veille à museler les opposants au régime actuel avec l’aide de l’armée et des forces de police, et qui arrête aussi des citoyens qui sont accusés d’avoir insulté le général Sissi. La junte militaire permet à la police d’arrêter des citoyens où qu’ils se trouvent, en ajustant leur droit à la mobilité afin d’être en mesure d’effectuer ces excès d’autorité répressive. Mais ce n’était pas assez pour eux. Il y a eu aussi des citoyens non armés abattus en raison du couvre-feu pour imposer la nouvelle loi et montrer que ceux qui enfreignent leurs lois vont être victimes de la violence et du terrorisme d’État.
Même si Sissi a essayé de couvrir le coup d’une couverture civile libérale, par la nomination du président Adli Mansour, un ancien président de la Cour constitutionnelle ; de son chef de cabinet, le libéral Hazem el-Beblawi – qui est en fait l’un des partisans de l’héritage et qui fut également ministre des Transports, lequel qui a sur ses mains le sang des Égyptiens, en particulier les catastrophes de chemin de fer en 2001 – ; de Kamal Abou Eita – syndicaliste jaune – qui dirige l’Union des syndicats indépendants, qui été établie avec l’aide de l’État avec pour objectif d’infiltrer le mouvement ouvrier et de le contenir ; et de Adel Labib, en tant que ministre des Finances, et d’autres hommes d’affaires qui ont grandi durant les années de Moubarak. Maintenant Sissi tente de convaincre les puissances étrangères que ce coup de force est en leur faveur. Maintenant Sissi a perdu la possibilité de cacher le coup d’État lorsqu’il est sorti pour demander aux gens de terminer la « révolution » du 30 juin et de lui donner le mandat de faire couler le sang et d’utiliser le pouvoir contre tous ; d’autant plus qu’il sentait à ce moment un chavirement de sa popularité. Il a alors voulu créer une affaire de terrorisme afin de gagner le soutien des gens au terrorisme d’État, et ce, bien sûr, avec l’aide du mouvement Tamarod, qui a appelé à soutenir l’armée. Après que Tamarod a mobilisé pour la « révolution » de l’ancien régime, maintenant, ils se mobilisent pour l’armée en essayant de contrôler et de contenir la rage du peuple contre le système, de la limiter et de l’orienter contre la seule tête du système Morsi, pas contre l’ensemble du régime, et de diriger la rage des gens dans une voie particulière et, désormais, les résultats du mouvement de masse dans les rues sont accaparés par les libéraux et les militaires.
Désormais, les caractéristiques du gouvernement libéral ont été établies, ce qui revient à la même vieille façon de penser d’avant janvier 2011, avec le retour des services de sécurité, après s’être arrêtés pendant un certain temps, et le retour à des relations de nature avec les hommes d’affaires de l’ancien régime qui ont également travaillé à la réconciliation avec le régime Morsi, après des tentatives diverses. Mais, après le retour complet de l’ancien régime, avec un nouveau format et les mêmes personnes, il n’est plus nécessaire maintenant de réconciliation, ce sont eux qui sont en charge.
La manière de traiter les gens des Frères musulmans ne se distingue pas de leurs prédécesseurs, et c’est ce à quoi nous nous attendions puisque le pouvoir est un outil pour la répression des masses et non pour préserver leurs droits. Là où la garantie de base, pour l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir, est de continuer à assurer le service des capitalistes, et d’éliminer la révolution par les moyens de l’autoritarisme oppressif, qui allait de l’emprisonnement de travailleurs et d’étudiants à l’enlèvement collectif ou au meurtre, sous la protection de l’armée et de la police. C’est ce que la Fraternité a mis en place durant toute l’année de leur règne et sitôt après le 28 janvier mais, suite au conflit de pouvoir entre élites cultivées, qui ont grandi sous Moubarak, et les élites musulmanes conservatrices (en prenant en compte que leurs idées économiques – le capitalisme – est le trait commun entre ces élites) la confrérie a été évincée du pouvoir. La voie était ouverte pour les élites du temps de Moubarak pour reprendre le pouvoir. Et n’oubliez pas que la Fraternité, et leur ascension au pouvoir, était sous la supervision du Conseil militaire, qui a estimé qu’il était nécessaire que la confrérie prenne le pouvoir pour être en mesure de contrôler les foules de gens qui occupaient les rues et les champs. Maintenant, les anciennes élites politiques collaborent avec les élites libérales et nationales pour mobiliser les partisans de la classe bourgeoise et la classe moyenne, et la présence de la Fraternité était marginale. Donc, les Frères musulmans ont été sacrifiés au milieu d’un conflit de pouvoir dans ce jeu ridicule de la soi-disant « révolution » du 30 juin.

Diviser pour mieux régner…
Nous voyons comme il est maintenant clair que le régime veut garder les islamistes comme adversaires, afin de dissoudre les frontières entre ceux qui se battent pour des droits économiques et sociaux et ceux qui veulent juste une chaise à l’intérieur du système, et qui veulent devenir l’opposition au sein du cadre de l’État et du système existant. Et maintenant, après une vague de contre-révolution qui a réussi à revenir au pouvoir, il faut noter que les Frères musulmans non plus n’ont pas su répondre aux demandes et aux exigences sociales, économiques et politiques du peuple, tout comme le régime déchu de Moubarak, et ont prouvé que l’armée est un élément clé dans l’équation de la politique égyptienne puisqu’on retrouve en son sein toutes les parties qui assurent en tout temps, non pas les exigences de la société mais plutôt la stabilité économique. D’autant plus que l’armée détient plus de 30 % de l’économie égyptienne et que, sans stabilité, il n’est pas possible pour les hommes d’affaires, avec des grades militaires, de gagner leurs énormes profits dans la paix. Ils ont prouvé que l’armée intervient toujours quand ils sentent un danger pour la stabilité de l’État, qui est directement liée aux gains politiques et économiques qui lui permettent de contrôler l’État sous l’autorité d’une faction, parce que cette faction ne peut accéder au pouvoir uniquement que sous la supervision de l’armée.
La révolution ne deviendra pas, en un jour, un mouvement permettant aux politiciens de différents partis d’assurer eux-mêmes une partie de l’autorité ou de pouvoir, parce que la révolution est toujours en cours et ne s’éteindra pas jusqu’à ce que les revendications du peuple soient satisfaites. La révolution est l’ennemie de tous politiciens, et de chaque militaire, de chaque homme d’affaires, de chaque prêtre. La révolution n’est pas et ne sera pas contrôlée par une personne, de sorte que Tamarod, comme tous les autres partis qui servent à liquéfier l’esprit révolutionnaire, deviendra à la fin une blague ridicule pour les gens qui se battent pour abattre le régime. Oui, les Frères musulmans sont les ennemis de la révolution, mais les ennemis de la révolution sont aussi ceux qui s’efforcent d’éteindre et mettre des limites à cela. La révolution est l’ennemie de tous les systèmes, la révolution est l’ennemie de tout homme politique, l’ennemie de toute autorité, même si la bourgeoisie a réussi à abattre les Frères musulmans et à revenir au pouvoir avec un nouveau président. La révolution se tiendra debout contre lui. La révolution est contre le régime et non contre des individus ou des personnes.


Mouvement socialiste libertaire égyptien








1. Tamarod (arabe : تمرد tamarrud, « rébellion ») est un mouvement populaire égyptien fondé pour rassembler l’opposition au président Mohamed Morsi et l’obliger à convoquer une élection présidentielle anticipée. Tamarod visait à recueillir 15 millions de signatures d’ici le 30 juin 2013, le premier anniversaire de l’investiture de Morsi. Le mouvement a contribué à lancer les protestations de juillet 2013, qui ont précédé le coup d’État.