Ne nous trompons pas de combat

mis en ligne le 14 novembre 2013
Le projet de loi contre le système prostitutionnel, déposé par Maud Olivier et Catherine Coutelle, se compose de vingt et un articles visant à renforcer une lutte globale à plusieurs niveaux contre la prostitution. Nous connaissons le volet principal : la pénalisation des clients, mais il est accompagné également d’une lutte sur Internet, d’une éducation et sensibilisation à l’école, et enfin d’un encadrement de sortie de prostitution par des associations habilitées par l’État, sous contrôle des autorités administratives, qui comprennent l’appareil policier. Cette proposition s’ouvre sur une citation : « La prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté. »
Il s’agit ainsi de s’appuyer sur une prédication du préambule de la Convention des Nations unies de 1949 qui, outre les amalgames entre prostitution et esclavage, énonce l’enjeu de la préservation d’un ordre moral, reposant sur la famille, fondement principal de la société française. Sous couvert d’une action providentielle luttant contre un système d’exploitation, l’État propose un monopole dans cette lutte où les associations abolitionnistes sont soutenues par un appareil répressif qui nous achemine vers un prohibitionnisme (voir article 8).
Si l’on s’intéresse au détail des articles, un premier constat nous frappe : l’absence totale des problèmes cruciaux qui concernent directement les prostitués hommes ou femmes. Aucune mesure concernant l’accès au soin et les risques accrus d’exposition aux MST et au Sida 1, rien sur la prostitution des transsexuels, rien sur la prostitution masculine, rien sur la retraite des prostituées, mais, surtout, aucune mesure solide et crédible de lutte contre la précarité. On se souvient pourtant des déclarations vertueuses de « sorties de prostitution », promettant des aides sociales et un accompagnement sérieux.
L’article 7 en précise les modalités : à savoir, l’allocation temporaire d’attente (336 euros par mois), dont les candidats et candidates à davantage de précarité seront sélectionnés selon les desiderata des associations abolitionnistes. La régularisation des personnes immigrées ne se fera que dans ces conditions, en interdisant de délivrer l’ATA aux autres personnes victimes d’exploitation dans d’autres secteurs, créant ainsi une division entre les exploités.
L’article 6 accorde, sous condition, l’accès au titre de séjour, soit en dénonçant son proxénète, soit en acceptant d’arrêter la prostitution en échange de l’ATA et du chapeautage d’une association agréée par l’État.
L’article 8, qui ne reconnaît que les associations respectant la ligne de la loi comme légitimes à s’occuper des personnes se prostituant, va mettre hors jeu, voire hors la loi, le travail de toutes les associations de santé et de lutte contre le Sida, ainsi que des organisations pour une auto-émancipation et organisation des travailleuses et travailleurs du sexe.
La loi précise d’ailleurs, dans l’article 13, que les outils nécessaires pour lutter contre le trouble à la tranquillité publique seront toujours en application. Dormez paisiblement, honnêtes gens, pas de vide juridique en vue, ces gens de mauvaise vie n’importuneront pas vos ballades dominicales. L’article 15, lui, souhaite lutter contre la prostitution étudiante, non pas en agissant contre la précarité, mais en apprenant à l’école que la prostitution, c’est mal, et qu’il vaut mieux aller voir Pôle emploi et manger dans des poubelles, plutôt que de s’abaisser à cette besogne ignoble.
Nous pouvons d’ores et déjà conclure que le gouvernement socialiste libéral nous propose un avenir radieux, où l’on ne verra plus dans nos rues de prostituées, puisqu’elles seront reléguées dans les poubelles de l’histoire, au fin fond de la clandestinité où on les précipite, sans honte, au nom des droits des femmes.
Rappelons, alors, que l’on ne peut pas toucher à un maillon du « système » sans faire des prostituées les premières victimes. Si les clients risqueront, de temps à autre, une amende, en face, ce qui attend les prostituées, c’est l’isolement, le sabotage des solidarités, le renforcement de la stigmatisation, la précarisation et l’exposition aggravée aux violences. Si l’on se préoccupait de la parole des premiers concernés, l’évidence crierait avec force que, si cette loi passe, sans bataille, nous aurons fermé les yeux sur le sacrifice de générations de prostituées.
Aussi, en tant que militants et militantes anarchistes et féministes, nous devons ne pas être dupes d’un discours de principe continuant aveuglément d’ignorer les conditions de travail et de vie des concernés. Cessons là l’hypocrisie qui fait croire que l’État peut abolir la prostitution, comme il a aboli l’esclavage, sans abolir le salariat, le patriarcat, enfin, la société capitaliste. Le néolibéralisme a tout intérêt que l’on s’agite sur ces écrans de fumée de volonté d’en finir avec la prostitution. En sauver quelques poignées, pour redorer son blason républicain, saborder les initiatives permettant d’avoir le choix et de lutter ensemble contre l’exploitation et la moralisation : voici le credo étatique. La force des luttes ne se fera qu’en solidarité avec les exploités, hommes ou femmes, en leur donnant les moyens de se défendre et de choisir, en donnant un accès aux droits sociaux dont ces personnes sont exclues ; enfin, en cessant de nier leurs volontés. Nous ne sommes pas les bons pasteurs, nous n’aliénons pas nos luttes à des considérations uniquement théoriques, nous luttons aussi pour que les gens vivent en reconnaissant leur liberté même dans leur domination. À renvoyer toujours les prostituées à leur statut de victime, en les infantilisant, en leur niant les choix éclairés et le consentement, on les déshumanise, on les cantonne à un rôle passif : c’est du mépris de classe. Des luttes restent à mener contre la domination du patriarcat et du capitalisme, trouvons nos alliés du bon côté de la barricade.

Marine
Groupe Étoile noire de la Fédération anarchiste




1. On consultera notamment l’article d’Act Up (se trouvant sur leur site) « Associations abolitionnistes : du déni du Sida à l’appât du gain », daté du 7 novembre 2013.