Sortir de la guerre

mis en ligne le 1 octobre 2014
1750GuerreLa guerre est là. L’ennemi numéro un du moment, l’État islamique (EI) et ses exactions. Les États impérialistes, occidentaux ou pas, ont finalement trouvé le meilleur des prétextes à la guerre, la lutte contre le terrorisme. En son nom, l’Irak et la Syrie sont bombardés. Bien sûr, les attaques sont chirurgicales, elles ne tuent que les fous de Dieu et, bien sûr, la paix viendra après. En attendant, la guerre contre l’État islamique vient voler vedette à la courbe du chômage toujours en hausse, au Medef qui propose un retour au XIXe siècle, elle polarise encore plus le peuple autour de la question musulmane et elle impose de choisir un camp.

Combattre la propagande antiterroriste
Depuis maintenant presque quinze ans, la lutte contre le terrorisme sert d’arme antisociale de premier choix au patronat et aux puissants, pour maintenir le prolétariat dans un état de peur plus ou moins constante et le diviser un peu plus. D’autant plus que c’est l’islam qui est au centre de cette propagande antiterroriste. Les millions de musulmans de France et du reste de l’Occident sont encore un peu plus stigmatisés, à tel point qu’il paraît normal d’en voir s’afficher avec des pancartes « Pas en mon nom ». Comme si chaque musulman était intrinsèquement un terroriste en puissance. Force est de constater que l’islam fait donc bien l’objet d’un traitement spécifique par le pouvoir et qu’il entraîne une islamophobie croissante qui divise toujours plus les pauvres.
Pour la lutte contre le terrorisme donc, l’union sacrée est décrétée, la volonté de justice sociale est mise au placard et les victoires du patronat passent avec une facilité déconcertante.
En outre, ce sont les militants politiques, et a fortiori les révolutionnaires qui sont les premiers victimes des lois antiterroristes pendant que le peuple voit sa liberté une nouvelle fois attaquée par la dernière loi Cazeneuve, prétendument au profit de sa sécurité.
Il nous faut ne pas tomber dans les pièges de l’ennemi, combattre avec force toutes les lois liberticides et ne pas alimenter une islamophobie qui prend de jour en jour une tournure des plus inquiétantes.

Démasquer l’hypocrisie de la guerre « juste »
La guerre juste, nous dit-on. On montre les fous de Dieu de l’EI décapiter, tuer, pendre. On nous vend l’urgence de les mettre hors d’état de nuire. Mais qui est responsable de la situation ? Sûrement pas les civils qui se font tuer par les islamistes ou par les bombes censées les en protéger. Peu importe qui est derrière, ce sont les mêmes armes qui tuent toutes ces personnes. L’EI possède des armes dernier cri made in USA, prises aux mains de l’armée irakienne. Les 10 ans d’invasion occidentale en Irak auront donc, en plus d’avoir fait sombrer un peuple dans le chaos, donner le matériel militaire nécessaire aux terroristes et à leur œuvre. C’est donc ces armes qu’ils utilisent en Syrie contre les seuls qui les combattent réellement, les Kurdes, sous l’œil distant du régime de Bachar al-Assar, autrefois lui aussi ennemi numéro un.
Il n’y a donc aucune justice dans cette guerre, pas plus que dans les autres, il n’y a que l’impérialisme, le pouvoir et la cupidité.

Le piège de la guerre sainte
Cela étant dit, il ne faut pas minimiser la dangerosité et l’importance des islamistes. Sans fantasmer un djihad qui serait à nos portes (cette idée n’a pas de sens et ne sert que la xénophobie et le racisme de l’extrême droite), il se trouve que l’intégrisme musulman s’affirme particulièrement au Moyen-Orient, puis au Maghreb et en Afrique subsaharienne. L’EI est bien plus structuré qu’Al-Qaïda et a la volonté de créer un État pérenne, Aqmi n’est pas vaincu et, du côté chiite, le Hezbollah est l’organisation structurellement et politique fasciste la plus nombreuse et la plus armée du monde. Ce n’est donc pas une invention des impérialistes occidentaux que de dire que l’islamisme est un danger, et il nous faut ne pas tomber dans des pièges très présents dans notre camp. D’une part l’islamophobie, qui tend les bras à tous les non-musulmans français et qui n’est qu’un outil de division efficace pour la bourgeoisie. D’autre part, l’erreur affolante de voir les musulmans comme le sujet révolutionnaire du moment, et de revoir nos idéaux à la baisse pour les intégrer dans notre mouvement. C’est bien évidemment la tactique des résidus trotskistes et maoïstes, mais cela touche aussi le mouvement libertaire et le déstabilise quant à la façon de mener la lutte antireligieuse. Une seule solution dans ce contexte de guerre et de stigmatisation : débattre au sein de nos organisations et redéfinir nos méthodes luttes (mais certainement pas nos idées) pour qu’elles soient cohérentes et efficaces.

Choisir son camp
La position traditionnellement pacifiste des anarchistes est clairement insuffisante. La guerre, c’est mal, certes. Mais nous avons un projet, et il nous faut l’affirmer. Le fédéralisme libertaire est d’une pertinence incontestable dans une zone comme le Moyen-Orient où les conflits territoriaux et ethniques n’en finissent plus de déchirer les peuples. Il faut donc nouer des liens avec celles et ceux qui portent un projet progressiste. En l’occurrence, les révolutionnaires kurdes semblent être la lueur d’espoir pour un projet fédéraliste et pour la paix. L’expérience du confédéralisme démocratique à Rojava (Kurdistan syrien) et plus largement en Turquie et en Irak, est le seul projet qui pour le moment arrive à faire vivre plusieurs communautés bien différentes autour d’un fonctionnement politique égalitaire et laïque. Les unités de défense des femmes, qui ont joué un rôle combattant de premier ordre contre Bachaar al-Assad et aujourd’hui contre l’EI et qui organisent une autodéfense féminine contre les violences sexistes, ne peuvent que nous intéresser. Si nous devons choisir un camp, c’est donc celui-là, avec une prudence certaine sachant la réalité historique du Parti des travailleurs kurdes (PKK), son autoritarisme et son marxisme-léninisme. Mais sa transformation idéologique n’est pas une impossibilité. Les zapatistes du Chiapas (Mexique) avant eux ont opéré une réelle remise en cause de leurs fondamentaux pour s’approcher d’un projet et de pratiques sensiblement anarchistes. À nous d’ouvrir un dialogue avec les forces kurdes pour faire en sorte que cette transformation soit effective et totale.

Paul
Groupe Regard noir de la Fédération anarchiste