Pas de pitié pour les égorgeurs

mis en ligne le 16 juin 2003

Contre le silence

Benoist Rey est rentré d'Algérie en octobre 1960. Les éditions de Minuit publient aujourd'hui dans leur collection « Documents » son journal de marche sous le titre Les Égorgeurs [rééd. en 1999 aux éditions du Monde libertaire]. Pas de littérature. Depuis septembre 1959, Benoist Rey raconte comment, venant d'Allemagne, il s'est retrouvé avec ses camarades en commando de chasse dans le Nord-Constantinois. Témoin lucide, il n'a pas pu fermer les yeux sur la systématisation des tortures, sur l'inconduite de certains militaires et leurs crimes. Mais il a su aussi rendre hommage, par exemple, aux médecins dont le « dévouement est sans limites. Leur travail servira à nous garder quelques amis, là-bas, après la guerre » [Page 90].

Hélas, sans explication, son livre a été saisi au moment de la mise en vente. Fait particulièrement grave quand il s'agit du témoignage d'un « ancien ». Car nous avons payé le droit de parler.

Depuis le temps des « rappelés » nous avions pu lire :
*Une Demi-campagne par Olivier Todd (Julliard, 1957)
*Jours kabyles par G. M. Mattéi (Les Temps modernes, juillet-aout 1957)
*Un an dans les Aurès par Jacques Pucheu (Les Temps modernes, septembre 1957)
*Le Gâchis par Jacques Tissier (Éditeurs français réunis, 1960)
*L'Algérie à vingt ans par Alain Manévy (Grasset, 1960)
*Officiers en Algérie par Darboise, Heynaud et Martel (Maspéro, 1960)
*L'Algérie mal enchaînée par Pierre Boudot (Gallimard, 1961).

À notre connaissance, aucun de ces livres ou revues n'a été saisi. Pas plus qu'on ne saisira la Nouvelle revue française du 1er avril pour le témoignage de Roger Quesnoy intitulé « L'Observateur » (« La providence m'avait confié le poste d'un observateur planqué ».)

Ainsi pour la première fois on saisirait le témoignage d'un « ancien ». Alors ? Reprocherait-on à Benoist Rey d'avoir menti ou romancé ?

Pour ma part, je suis persuadé que Benoist Rey n'a pas menti, qu'il n'a rien inventé. Je suis prêt à témoigner de faits similaires.

Anciens d'Algérie, est-ce à dire que nous devons nous taire ? Nos copains, nos frères sont-ils morts pour rien ?

Jean-Louis Gérard (en Algérie de novembre 1957 à février 1960)