Plaidoyer pour un espace privé

mis en ligne le 23 octobre 2005

Prison

Le mot «parloir» est prononcé par tout le monde. Mais il renvoie à un fonctionnement : on y parle ! Comme dans un crachoir, on crache. Dure définition pour un lieu. On n'y désigne que le lieu, d'ailleurs, pas l'objectif. Car que fait-on finalement dans ce lieu tant investi ?

Soyons simple, moins monacaux, laissons le parloir aux trappistes et soyons plus pragmatiques, plus concrets. Dans ce lieu, on rencontre les gens que l'on aime et qui nous aiment. Donc «visite familiale» ou visite privée. Mais il faut des siècles pour simplifier les administrations. Le drame est que l'on finit par trouver naturel ce qui est conventionnel et habituel. C'est vrai pour ces mots comme pour bien d'autres.

Les mots sont souvent plus piégeants qu'on ne le croit. Ils façonnent notre mentalité. Ainsi, parler de «parloirs intimes» est souvent choquant. Encore plus, «parloirs sexuels», à mon avis. Dans le dernier, on connaît le contenu. Dans le premier, cela pose problème. Alors... on coince. Pourtant, l'intimité est un droit pour tous. Partout, sauf en prison. Parlons plus simplement de «visites privées». Cela évitera de mettre le nez dans ces visites !

Cela permettra aussi de respecter cet espace en le privatisant. Ce serait un premier pas vers une normalisation ou, plutôt, une banalisation, car il ne peut y avoir trop d'écart entre le monde extérieur et la vie carcérale, sauf à manquer le coche d'une réinsertion sociale. Logique !

Quant à savoir s'il y a une sexualité ou pas, ce n'est guère le problème en prison. C'est déjà une question d'ordre tellement général dans notre société que nous pouvons la poser ainsi : une personne a-t-elle besoin de réaliser sa sexualité pour trouver son équilibre ?

Nous nous interrogerons longtemps, car la réponse est personnelle et dépend d'un libre arbitre, d'une histoire subjective. Il est aussi violent d'imposer que d'interdire. Mettre ce problème en exergue sur le plan de la prison, c'est en faire une obsession mentale ridicule et évacuer la question de fond : y est-il possible d'avoir des relations sexuelles ? La sexualité n'est pas une récompense. C'est un mode de vie possible à un moment de l'existence.

La sexualité, d'ailleurs, ne se réduit pas au seul sexe. Ce qui tracasse sans doute tout un chacun est d'imaginer qu'un couple peut s'adonner à des ébats derrière une porte. Et alors...

Or, l'intimité est tout à fait autre chose. Elle dépasse largement le seul sexe. L'acte sexuel n'est pas obligatoire. Il ne s'agit pas de conduire les prisonniers à la saillie, comme des étalons frustrés. Cela manquerait singulièrement de respect et d'humanité. Nous le savons, il y a souvent plus de sexualité dans certaines paroles que dans des actes sexuels. Il ne peut y avoir sexualité que dans un partage. Soyons clairs : il ne s'agit pas de dire : «Restons au niveau de la parole», mais, au contraire, d'affirmer : «Laissons à chacun le droit inaliénable à un espace privé. Tout homme en a besoin, pendant ces visites précisément privées. Le reste ne regarde personne d'autre !»

Il n'est pas question de dire que les rapports sexuels sont plus ou moins dignes que l'abstention. Les interdire à ceux qui souhaiteraient s'exprimer ainsi est certainement indigne et peu compréhensible d'un pays dit évolué.

Il ne s'agit même pas de moraliser un tel droit. Chacun a sa propre morale dans ce domaine, comme dans d'autres. L'État s'en mêle, d'ailleurs, trop souvent. Cela frise le ridicule, mais c'est un autre débat.

La prison doit permettre une approche humaine des relations matures. Ce serait donc un espace privé qui ne mettrait pas en cause la sécurité. Ce concept est, en fait, le fourre-tout des interdits de l'administration. Nous sommes en prison ? Oui, mais nous sommes aussi des êtres vivants. Les visites familiales sont le lieux et le moment de relations adultes naturelles. À quoi sert la prison, si elle ne permet pas aux prisonniers d'acquérir la maturité ?

Dimitri
Bois d'Arcy