Deux raisons de s'en faire

mis en ligne le 24 novembre 2006

Fernand Oury est mort et Claude Allègre n'arrête plus de causer...

L'un des pères de la pédagogie institutionnelle, Fernand Oury, est mort le 19 février. Critiquant l'école comme disciplinaire et stérile, il avait très vite décrit l'idéal de notre belle école républicaine, encore rêvé par l'actuel mammouth du ministère de l'Éducation nationale : « [...] ne suffit-il pas de former des techniciens apolitiques, adaptables et réadaptables à merci, de vaillants consommateurs d'autos, d'Omo, de mots et de culture de masse ? Il s'agit toujours de former des hommes spécifiés, des hommes pour...[[A. Vasquez, F. Oury, Vers une Pédagogie institutionnelle. Maspero 1966.]] »

La pédagogie institutionnelle est difficilement dissociable de la psychothérapie institutionnelle, dans laquelle s'est également investi Jean Oury, psychiatre, frère de Fernand. Elles se sont toutes deux ouvertes aux apports de la psychanalyse (EFP)[[EFP (École Freudienne créée par Lacan).]], aux nouvelles théories psychiatriques (que certain(e)s qualifieront de libertaires, même si Tosquelles ou Guattari n'étaient pas anarchistes) ; mais la pédagogie institutionnelle, influencée par la pensée « marxiste critique », était d'abord issue des travaux de Célestin Freinet[[Pédagogue, créateur de l'École moderne, préconisant (et mettant en pratique) une « école du peuple », où les enfants ne sont plus de passifs « enseignés », mais des personnes à part entière, gérant leurs apprentissages et la vie quotidienne de leurs classes (conseils d'élèves, coopérative scolaire, apprentissages individualisés...).]].

La rencontre, en 1949, de Freinet et de Fernand Oury, fut un peu celle du rat des champs et du rat des villes... Militant communiste de base (même si son parti finira par trouver ses théories un peu trop révolutionnaires...), « artisan pédagogue », persuadé de la prédominance du matériel et du savoir-faire dans les relations d'enseignement, Freinet n'a d'autres soucis, quant aux relations intergroupe, au sein de la classe, que celui d'instaurer un climat de « camaraderie »...

Enseignant spécialisé, Fernand Oury (qui adhère à I'ICEM* dès 1949) va rester pendant plusieurs années un simple et « fidèle » instituteur « freinetique »... Mais si les partisans de la pédagogie institutionnelle sont d'accord avec Freinet pour dire que « L'école actuelle est fille et servante du capitalisme », ils veulent enrichir leur approche des relations de pouvoir et d'autorité au sein de la classe, notamment en prenant en compte les enjeux qui ne sont pas revendiqués, parce que souvent inconscients : « Reconnu ou nié, l'inconscient est dans la classe et parle... Mieux vaut l'entendre que le subir ». Cette réflexion ne portait pas simplement sur le groupe-classe : rapports « maître-élève », élèves-élèves, mais aussi sur la société elle-même, dont cette classe fait partie (pathoplastie, « influence des entours » selon Jean Oury).

Après avoir été « exclu » de l'ICEM, (Freinet voyait d'un très mauvais œil ceux qui, avec Fonvieille, estimait que les techniques Freinet étaient un moyen d'interroger l'institution, et non un idéal à institutionnaliser), Fernand Oury s'investira donc dans une pédagogie institutionnelle qui a bien cerné de sérieuses limites au fonctionnement « paritaire » des « classes Freinet » : on peut ainsi citer sa réflexion sur les conseils de classes, où peut régner la peur de « mal penser ». On sait ce qu'il faut dire et ce qu'il ne faut pas dire ! Il s'interrogera également sur la possible incarnation, dans ces classes modernes, d'un « maitre-copain », qui demande à « se faire aimer »...

De manière générale, « [...] ce qui rapproche psychothérapie et pédagogie institutionnelle, c'est d'abord leur position de contestation des structures concentrationnaires et hiérarchisées », c'est pourquoi le journal imprimé, le conseil d'élèves, le partage des tâches et de responsabilités sont considérés comme des médiations, à savoir ce qui relie, sépare, interdit les affrontements sans recours, permet les actions sur quelque chose. On essaye dès lors d'éviter les « faces à faces meurtriers » (toi ou moi), pour retrouver des « corps à corps émouvants » (toi et moi).

Freinet s'était toujours méfié des théoriciens de l'éducation... et si, on l'a vu, ce parti pris n'était pas sans mauvaise foi, il avait, aussi, bien su anticiper le possible côté « laboratoire permanent » des classes où l'on peut facilement se sentir en perpétuelle évaluation ou même auto-évaluation... Dans des classes se revendiquant de cette pédagogie, acquis scolaires et comportements personnels sont rituellement et quotidiennement commentés par le groupe. On cherche souvent à équilibrer les rapports de pouvoir au sein du groupe, mais l'individu n'a pas d'issue pour échapper au regard, au jugement du groupe, puisque tout conflit, toute déviance se retrouve toujours pris en charge par le collectif...

Une école qui ne sera pas au service de la société capitaliste, où l'on saura prendre en compte l'inconscient, où les relations de pouvoir au sein du groupe seront « médiatisées », mais où on préservera l'individu(e) au maximum, du poids du collectif. C'est peut-être l'école à construire, le cauchemar d'un Claude Allègre.

Nestor
groupe de Nantes