La Casse continue

mis en ligne le 26 décembre 2003

Privatisation de France Télécom

Printemps 1990 : la loi Quilès divise l'administration des PTT en deux entreprises, La Poste et France Télécom.

Novembre 1991 : signature du premier contrat de plan à La Poste et à FT.

Avril 1996 : le gouvernement Juppé annonce un projet de loi sur la privatisation de FT.

Mai 1996 : adoption de la loi de déréglementation du secteur des télécoms. Ouverture totale à la concurrence.

Juillet-août 1996 : adoption de la loi sur l'ouverture du capital de France Télécom.

Septembre 1997 : le gouvernement Jospin met en œuvre « l'ouverture de capital » de FT, c'est-à-dire l'introduction d'une partie du capital de l'entreprise en Bourse.

Entre-temps, différents rapports et autres livres blancs rédigés par la gauche ou par la droite auront « recommandé » la privatisation de FT. À noter que la gauche (François Hollande, Dominique Strauss-Kahn en 1997) s'est élevée contre la privatisation de FT. Jospin a signé en 1995 une pétition de SUD-PTT contre la privatisation. C'était avant que ces messieurs reviennent « aux affaires ».

La déréglementation des PTT

Les bureaux de poste ferment les uns après les autres en campagne, de plus en plus de tournées de facteur se font « à découvert » (c'est-à-dire que l'usager ne reçoit pas son courrier du jour), les boîtes aux lettres et les cabines téléphoniques disparaissent, les délais d'ouverture d'une ligne téléphonique et le prix du forfait téléphone explosent, les points paiement (qui permettent aux clients les plus précaires de régler leur facture) ferment, les « clients » - on ne parle plus d'usager, ça fait Jurassic Park, paraît-il - sont sommés de régler leur facture dans les quinze jours, sinon leur ligne est coupée...

Les nouveaux opérateurs de téléphonie fixe et mobile sont des concurrents sur des parts de marché à prendre. La direction de FT veut faire du chiffre à l'international, et donc achète Orange au prix le plus fort du marché (50 milliards d'euros !) et Equant (3,5 milliards d'euros), filialise à tour de bras (il existe plus d'une centaine de filiales de France Télécom en France et à l'étranger), et est cotée en Bourse. Le personnel est pressuré, subit des mutations, des changements de grades et de statuts, etc. Des plans sociaux plus ou moins déguisés ont lieu, en priorité dans les filiales. France Télécom est maintenant une société anonyme. Pendant ce temps, le chiffre d'affaires augmente, et le nombre de salariés (plus de 200 000 avec l'international) diminue.

La dette « record » de 70 milliards d'euros de France Télécom n'est que la suite logique de la gestion capitaliste d'une entreprise qui se veut à vocation internationale, dans un marché supposé effervescent, et qui se casse la figure comme n'importe quelle start-up de vente de chaussettes en ligne sur le Web. L'ex-PDG est Michel Bon. C'était « le PDG le plus mal payé » de France avec 1,2 million de francs par an. Pauvre, mais quand même ancien PDG de Carrefour (qu'il a quitté avec 20 millions d'indemnités et des stocks-options) et de l'ANPE, « pote de virée » avec Alain Juppé, et élu par l'ordre des dominicains à la présidence des Éditions du Cerf fondées en 1929 par le pape Pie XI. Il a surtout une « sainte » horreur des étrangers, des « gens à problèmes », bref les pauvres. Il est maintenant chargé de mission dans un placard doré jusqu'à sa retraite... cette année, à 60 ans. Thierry Breton, le tueur de Thomson, est le nouveau PDG en charge du plan Top (!) : dégager 45 milliards d'euros en trois ans. Les contribuables sont ainsi passés à la caisse : recapitalisation de France Télécom à hauteur de 9 milliards d'euros en 2002 (après avoir engraissé les actionnaires, socialisons les pertes), nouveaux emprunts et surtout économies sur le dos du personnel, par exemple, voire cession de parts rentables du groupe...

La privatisation de France Télécom

Quelle nouveauté apporte le projet de loi de privatisation de France Télécom adopté en conseil des ministres le 31 juillet dernier[[ous trouverez le projet de loi complet sur : [- http://cgtptt.free.fr/ft/dossiers/Avenir/projetloi.pdf].]] ?

Il est de notoriété publique que les patrons français (ou bretons par chez nous !) sont gentils, ce sont les autres les méchants. En l'occurrence, le gouvernement dit que la directive européenne[[Vous trouverez sur [- http ://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2002/l108/l10820020424fr00510077.pdf].]] sur l'attribution du service universel ne lui laisserait pas le choix quant à la redéfinition du service universel : C'est faux, car la directive européenne n'indique pas que les gouvernements des États membres doivent dessaisir l'opérateur historique de ces missions de service universel. Seules les missions de service public requièrent l'emploi de personnel fonctionnaire avec un État actionnaire majoritaire. L'État serait donc « le dos au mur » avec l'obligation de privatiser totalement l'entreprise. Ainsi, le 21 octobre, le projet de loi est passé directement devant les sénateurs sans être préalablement discuté à l'Assemblée nationale. Il permet à l'État actuellement actionnaire à 56% de FT, de passer sous la barre des 50%.

Le projet de loi va continuer et renforcer la casse des statuts du personnel. Pour les fonctionnaires, FT aurait la possibilité de niveler par le bas les grades en créant des grades proches de la convention collective des Télécoms. FT n'a plus embauché de fonctionnaires depuis 1995 alors que les textes indiquaient qu'elle avait la possibilité d'organiser des concours de recrutement jusqu'à cette date. Chaque fonctionnaire aurait la possibilité de « demander » un contrat de travail de droit privé, moyennant démission de son emploi de fonctionnaire. Super choix quand on sait la précarité qui se généralise et les plans sociaux plus ou moins rampants dans le groupe FT. Les fonctionnaires dérogeront au statut de la Fonction publique pour tout ce qui concerne le droit du travail (représentativité, hygiène et sécurité, médecine du travail, service social) et les règles du privé s'appliqueront pour les institutions représentatives du personnel. Le ministre en charge des Télécoms ne garantirait plus l'unité de la situation statutaire et sociale des personnels de La Poste et de France Télécom. Concernant la rémunération, les indemnités spécifiques seront modulées, entérinant ainsi avec de l'avance la mise en œuvre de la rémunération globale (« au mérite ») pour les fonctionnaires. Elle est déjà en place pour les droits privés, qu'on appelle aussi « privés de droit » par boutade. C'est pour la direction un formidable outil de compression de la masse salariale et d'individualisation de la rémunération. France Télécom est son propre assureur chômage pour les fonctionnaires placés hors position d'activité. FT SA devenant une entreprise privée en tant que telle, la garantie d'emploi liée au statut des fonctionnaires pourrait être menacée. Pour les salariés de droit privé, c'est le régime général d'assurance chômage qui paierait les indemnités. Cela représenterait pour les agents une cotisation supplémentaire. Ce serait un outil supplémentaire de précarisation et de multiplication des recours abusifs aux CDD, les licenciements de CDI, etc.

La casse du service public

Le projet de loi remplace la notion de service public par celle de service « universel », qui s'apparente en fait à un service minimum de la communication. FT n'apparaît plus comme un exploitant public ou une entreprise nationale, mais est mentionnée comme une « entreprise ». France Télécom n'est plus soumise au contrat de plan avec l'État. Cela ouvre la porte au démantèlement de FT. Le service public serait fractionné en trois parties : l'abonnement ; le service de renseignements et l'annuaire ; les cabines téléphoniques. Chaque partie serait proposée par appel d'offre auprès d'opérateurs de télécommunications privés (dont FT). FT est à ce jour chargée d'assurer certains services obligatoires (liaison Rnis, liaisons louées, commutation de données par paquet, services avancés de téléphonie vocale et télex). Cela ne sera plus le cas. Il n'y aura désormais plus de consultation publique via la commission supérieure du service public des Postes et Télécommunications ni de rapport quadri annuel qui, lui, sera remis sur les évolutions technologiques et les besoins en service public. France Télécom avait obligation d'assurer l'accès au téléphone à toute personne en ayant fait la demande. Ce n'est plus le cas. Le réseau de FT appartient aujourd'hui à l'État, il appartiendrait dorénavant à la compagnie privée France Télécom, sans qu'elle ait d'obligation de le mettre à disposition. Il s'agit bien d'un vol de bien public au profit d'un propriétaire privé. FT ne serait plus conviée aux instances chargées de l'aménagement du territoire. Cela induira encore plus de différenciation entre les régions riches et les régions pauvres. L'État perdrait la maîtrise des bandes de fréquence de télécommunications, des infrastructures et des réseaux de télécommunications.

La multiplicité des réseaux privés entraîne l'abandon des « économies d'échelle », et donc le service coûte plus cher au client final. Il y a risque de remise en cause de la péréquation tarifaire géographique qui fait qu'un montagnard paye le téléphone le même prix qu'un citadin, en particulier dans le cadre de la régionalisation.

Quelles luttes, quelles perspectives ?

Sous la pression des bourgeoisies internationales, l'État français comme les autres continue et finit de se désengager des entreprises publiques historiques dont la bourgeoisie technocratique française assurait jusqu'à présent la gestion suite à l'après Deuxième Guerre mondiale. Il fallait alors selon les termes du PCF « reconstruire la France ». En échange de quelques miettes, la paix sociale était assurée pour les patrons. Les réseaux publics (gaz, électricité, assainissement, poste et télécoms, transports routiers, maritimes et ferroviaires, etc.) ayant été mis en place par les travailleurs et financés par les impôts de tous et de toutes, ils sont maintenant viables, rentables et donc sources de profits pour les actionnaires.

Ces dernières années, en Europe, quand les opérateurs « historiques » de télécommunications ont été privatisés (British Télécom ou Deutsche Telekom), ils ont aussitôt procédé à des vagues de suppression d'emplois se chiffrant par dizaine de milliers. Pour le groupe France Télécom, un accord cadre sur « l'emploi et la gestion prévisionnelle des compétences » a été signé par les habituels syndicats collabos de la boîte (CFDT, CFTC, CGC, FO) représentant moins de la moitié du personnel aux élections professionnelles. Il y est fait mention de « plan de sauvegarde de l'emploi » (au fait, on dit « PSE » maintenant, car « plans de licenciement », ça faisait décidément trop lutte de classe !) qui se contente de reprendre le Code du travail, donc la législation minimale. On y lit la mise en place de mutations forcées : si le salarié refuse le nouveau poste dans le cadre de la nouvelle mobilité FT, il se fait licencier. Vis-à-vis de l'opinion publique, l'État peut difficilement licencier du personnel alors que le gouvernement annonce qu'il souhaite diminuer le chômage. Thomson et ST Microelectronics sont des entreprises dont l'État était il y a quelque temps actionnaire majoritaire. À Rennes, ces entreprises largement bénéficiaires (373 millions d'euros en 2002 pour Thomson, STM dispose de 2 milliards d'euros de « cash » pour procéder à des acquisitions selon une interview donnée par le Financial Times allemand au PDG de STM) sont en train de connaître des plans sociaux. Avec la privatisation, les actionnaires se sentiront les mains libres de procéder à des « restructurations » qui feront monter le cours de leurs actions, et donc la rémunération de leur dividende, l'entreprise étant supposée plus rentable. Les salariés, eux, en connaissant le chômage et la précarité, auront une diminution de leur revenu, et parfois définitive. L'accord Unedic signé début 2003 a pour effet de radier ou diminuer les prestations sociales de 800 000 chômeurs, les spoliant d'en moyenne 8 000 euros : de l'argent pour lequel ils ont cotisé quand ils étaient salariés !

Dans l'immédiat, saisissons-nous de toutes les occasions de lutte qui nous sont offertes, même les plus pourries, et en l'occurrence, les préavis de grève déposés une semaine avant par la CGT et SUD-PTT pour la journée du 21 octobre en sont un bel exemple. À noter que ces fédérations appellent les postiers à l'action le 23 octobre...

Au-delà des privatisations et de la question des licenciements, le seul moyen pour mettre un frein à la barbarie capitaliste, c'est de lutter tous ensemble, de favoriser la convergence des luttes, de tisser des liens interprofessionnels dans les bassins d'emploi avec ou sans les confédérations qui, semble-t-il, n'en veulent pas. Pour ne pas rester entre convaincus de l'avant-garde éclairée, minoritaire et sectaire, il faut militer sans cesse auprès des travailleurs pour les convaincre de nous rejoindre et de s'organiser syndicalement et politiquement. Alors, peut-être, avec la conscience de classe, l'espoir renaîtra, et nous pourrons parler de révolution sans que cela paraisse un gros mot aux yeux de la majorité de la population.

Pierre Gérard