Fin de grève au McDo Strasbourg-Saint-Denis

mis en ligne le 27 mai 2004

Après 363 jours de grève, un accord a mis fin le 9 mars au conflit du McDonald's de Strasbourg-Saint-Denis. Les grévistes ont obtenu :

 Le départ du franchisé Hamid Tryieh - qui avait essayé de couler le restaurant pour justifier l'élimination d'un groupe de salariés capables de se défendre - et l'arrivée d'un nouveau franchisé, que les salariés connaissaient déjà et qui semble correct.

 La réintégration de Tino Fortunat, vice-directeur du restaurant - dont le licenciement abusif avait déclenché la grève - dans un autre restaurant de la même franchise pendant huit mois puis de nouveau à Strasbourg-Saint-Denis.

 Le paiement des jours de grève à hauteur de 35 %.

 Des embauches supplémentaires dont le nombre reste indéterminé.

 Concernant les conditions de reprise du travail : il n'y aura pas de nouveau manager, et la progression interne devra être favorisée ; les salariés ont encore leur mot à dire sur l'embauche de nouveaux salariés ; les salariés ont toujours un droit de regard sur l'organisation des plannings. La reprise devrait s'effectuer le 29 mars.

En revanche :

 Les quelques avancées obtenues lors des négociations de l'été 2003 n'ont pas été prises en compte.

 En ce qui concerne les heures supplémentaires non payées, d'avant la grève, les salariés envisagent de porter l'affaire devant les prud'hommes pour obtenir leur paiement sur les cinq dernières années, si le problème ne peut pas être réglé autrement.

 Il n'y a aucune avancée sur la question des salaires.

Dans l'ensemble, on peut considérer que les salariés ont gagné sur les questions essentielles qui étaient l'objet de la grève.

Parallèlement aux tractations portant sur le conflit, cinq salariés (qui avaient été licenciés en octobre 2001, ce qui avait déclenché la première grève de 115 jours) ont négocié leur départ à des conditions relativement bonnes, obtenant des indemnités de départ conséquentes. Cette négociation a sans doute pesé dans l'issue favorable du conflit, vu l'abcès de fixation que McDo avait fait sur leur cas (la plainte que McDo avait déposée contre eux a été retirée) ; elle s'est déroulée au grand jour sous les yeux des autres salariés et n'a donc pas affaibli la lutte, chose qu'on aurait pu craindre si ça s'était passé autrement et avait été source de division. Nous regrettons seulement que la CGT, qui fait silence sur ce point de la négociation, soit culturellement incapable de comprendre que des salariés qui quittent un boulot qui ne les satisfait pas ont parfaitement raison de le faire, du moment que tout se passe au vu et au su de toutes les parties concernées.

Le texte de l'accord n'est pas à ce jour en possession des salariés. Un doute reste entier, vu que nous ne disposons pas pour l'instant d'informations précises à ce sujet : le texte signé est-il un protocole de fin de grève en bonne et due forme ou bien un accord entre avocats, y a-t-il une clause de confidentialité qui empêcherait les salariés d'avoir ce texte pour en faire respecter les clauses ? À ce jour, nous constatons que la CGT, d'un côté, et les avocats, de l'autre, ont préféré se livrer à une conférence de presse (et plus généralement réserver à des journalistes la primeur de leurs informations) plutôt que d'informer et discuter directement avec l'ensemble des salariés et avec ceux qui se sont engagés pendant des mois dans le soutien à la grève sur le terrain. Nous ne pouvons que le regretter.

Le collectif de solidarité et plusieurs salariés ont profité de la dernière réunion pour dresser un bilan rapide de la grève. Nous essayons d'en donner ici quelques éléments.

À la question : le collectif aurait-il pu faire mieux pour soutenir les grévistes, la réponse est indubitablement « oui ».

 Nous avons, en effet, été incapables de reproduire certaines des conditions favorables qui avaient joué positivement dans la première grève. Tandis qu'en 2001-2002 le collectif fonctionnait avec la participation de la CGT et les initiatives juridiques restaient entièrement sous le contrôle des grévistes, permettant à ceux qui se trouvaient sur le terrain d'avoir une idée claire de l'ensemble des initiatives qui étaient prises par les uns et les autres, cette fois il y a eu un manque de concertation évident entre la CGT (qui a pris des initiatives de son côté), les avocats (qui ont conduit leur stratégie juridique dans la plus grande opacité, en ne tenant compte que de leur propre avis concernant l'évolution des rapports de force sur le terrain) et les soutiens, qui ont fait ce qu'ils ont pu. Ce qui a eu pour conséquence que les grévistes ont eu souvent le plus grand mal à concilier des stratégies différentes. L'opacité des décisions a souvent été un handicap pour tout le monde.

 L'occupation du McDo, qui pouvait devenir un point de ralliement de toutes les énergies disponibles pour offrir de la solidarité à la grève et augmenter sa visibilité, a, au contraire, épuisé les meilleures énergies des grévistes, qui ont dû faire un effort considérable pour tenir l'occupation et se sont trouvés souvent indisponibles pour animer des actions et des occupations qui auraient bien davantage gêné leur employeur.

 Les rapports avec les mouvements du printemps et de l'été dernier (contre la casse des retraites, intermittents, etc.) ont été somme toute assez faibles et occasionnels, donnant plus d'une fois l'impression que les grévistes de McDo étaient des consommateurs de solidarité, peu capables d'en offrir en retour. Ce qui est en partie faux, vu l'aide qu'ils ont apportée aux grévistes de Frog et aux deux grèves de Pizza Hut. Ce qui démontre que la convergence des luttes ne va vraiment pas de soi et qu'elle est le point d'arrivée d'un processus parfois fort compliqué.

 La faiblesse de la dynamique que nous avons constatée pendant une bonne partie de la grève est due sûrement à l'éparpillement des initiatives dont nous parlions plus haut : les occupations du siège à Guyancourt et d'un centre de recrutement, les quelques blocages nocturnes de la centrale de livraison de Fleury- Mérogis - conduits essentiellement avec l'appui de la CGT et des intermittents en lutte - ne pouvaient pas tenir lieu de dynamique d'ensemble. Elles sont restées des actions efficaces et spectaculaires, mais ponctuelles, et ont entretenu chez les grévistes l'illusion que la victoire pouvait venir d'autres acteurs qu'eux-mêmes.

 McDo a sans doute cru avoir fait un bon calcul en laissant pourrir la grève, lorsque dans les derniers mois de l'année les actions de blocage ont quasiment cessé. La reprise de ces blocages à partir de la mi-décembre par les grévistes et le comité de soutien, et le réveil de la solidarité y compris à l'étranger, ont visiblement modifié la donne, mais cela ne s'est pas fait sans efforts et surtout sans que l'on puisse compter sur la collaboration des autres parties censées apporter leur concours à la grève.

 Les rentrées d'argent n'ont pas été à la hauteur des besoins ; cela est imputable à la fois à la faiblesse de la dynamique de la grève, au fait que la confédération CGT ne s'est pas assez engagée sur ce terrain, ce qui a obligé plusieurs grévistes à chercher des petits boulots à côté pour subvenir aux besoins les plus urgents, affaiblissant ultérieurement la dynamique de la grève. Le collectif de solidarité, pour sa part, n'a pas réussi dans ces conditions à développer des actions de financement comparables à celle de la première grève, malgré l'énorme solidarité qui s'est manifestée lors du mouvement contre la casse des retraites.

Mais quel a été le rôle du collectif de solidarité dans le soutien à cette grève ?

 Comme dans les grèves qui l'ont précédée (première grève McDo, Virgin, Fnac, Arcade, Frog, etc.), nous avons essayé avec nos faibles moyens de modifier les rapports de force sur le terrain. Nous avons parfois obtenu de bons résultats, notamment quand les franchisés ont fait pression sur McDo pour obtenir que les blocages cessent de les prendre pour cible (et que la maison mère assume ses responsabilités), ou bien quand McDo, après avoir pensé que les grévistes étaient épuisés, a dû demander que nos actions sur ses restos cessent comme préalable à la reprise des négociations.

 Le collectif a souvent été perçu par le syndicat comme une épine dans le pied. Mais cette épine a permis que les grévistes continuent à se sentir soutenus dans des moments où leur syndicat aurait eu naturellement tendance à les lâcher, comme cela s'est vérifié un nombre incalculable de fois dans d'autres grèves. Son action a aidé à la popularisation de la grève, à son rayonnement, à soutenir le moral des grévistes (qui parfois en avaient bien besoin). Il n'a jamais atteint l'ampleur de l'activité déployée par le collectif qui s'était mis en place à la première grève, pour des raisons que nous avons essayé de cerner plus haut. Il n'a pu donner à la dynamique de grève la force qui lui a manqué parfois. En effet, il ne pouvait se substituer à elle ; il ne pouvait que la soutenir et fonctionner comme amplificateur, sauf quand il n'y avait pas grand-chose à amplifier.

 Malgré toutes les faiblesses que nous reconnaissons franchement ici afin que d'autres ne se découragent pas dans des situations similaires, signalons que rien n'aurait été possible sans la ténacité des grévistes. Ils ont parfois donné l'impression de ne pas avoir assez confiance en eux-mêmes et ont cherché à se rassurer en s'adressant au grand frère syndical. Lequel n'est aujourd'hui pas en mesure de permettre à une grève de gagner - et aurait difficilement supporté l'existence d'un collectif hétéroclite et disparate comme le nôtre s'il n'avait pas été conscient de ce fait. Ce qui n'empêche qu'une juste méfiance vis-à-vis de certaines structures CGT s'est développée et a fait son chemin.

Nous pensons que cette lutte aura nécessairement des répercussions sur l'ensemble du monde du travail, et en particulier dans les secteurs où le travail précaire et la répression antisyndicale prétendent s'imposer comme norme sociale.

Rappelons ici tous ceux qui, à un moment ou un autre de la grève, ont prêté leur soutien, manifesté leur solidarité et permis que la lutte aboutisse : les grévistes de Pizza Hut et de Frog, des enseignants et des intermittents du spectacle en lutte, des militants de la CGT, de FO, de SUD, de la CNT, des organisations politiques, des associations de chômeurs et précaires (et notamment d'AC !), des non-syndiqués et non-encartés qui ont offert la force de leur indignation face aux pratiques patronales, qui ont diffusé l'information, qui ont manifesté. Que tous ceux qui ont pris part à ce combat, tous ceux qui par leur soutien financier ont permis à cette lutte de durer jusqu'à son terme, tous ceux qui ont manifesté leur solidarité par un certain nombre d'actions en Italie, en Allemagne, en Colombie, etc. sachent qu'ils ont contribué à leur manière à cette victoire.

Comité de soutien aux salariés en lutte de McDo, Frog, Arcade, Fnac, Disney, Virgin, Pizza Hut, etc.