Grand Paris sur la commode

mis en ligne le 12 novembre 2009
Pourquoi citer l’auteur de Classes laborieuses et classes dangereuses ? (1958), peut-être que dans les quelques lignes qui suivent et qui traitent d’un projet urbain, il n’est pas tellement question d’eux.
Les personnages politiques, d’hier et d’aujourd’hui, ont toujours voulu dans leur mégalomanie laisser à la contemplation des populations des œuvres destinées à perpétuer leur souvenir. Des jardins suspendus de Babylone aux pyramides d’égypte, en passant par le palais de Versailles, la très grande bibliothèque sans oublier la pyramide du Louvre et le Musée des arts populaires ! On en oublierait le raton laveur cher à Jacques Prévert…
Notre zébulon élyséen a, lui aussi, décidé de marquer de sa griffe énervée l’histoire de France. L’idée d’un Grand Paris 1 est donc sorti de ses méninges au début de cette année, dira-t-on. Tout cela semble bien ficelé, malgré les critiques fusant de tout bord 2. Revenons d’abord au dossier. Certes, comme de bien entendu, tout cela est entouré de bons sentiments. « Il faut que les citoyens soient égaux en termes d’accès à Paris, quel que soit l’endroit où ils habitent dans la métropole », explique-t-on en haut lieu.
Les dirigeants des pouvoirs publics, via le président, se sentent donc porteurs d’une troisième révolution des transports franciliens. Le métropolitain (RATP, Régie autonome des transports parisiens) dans la première partie du xxe siècle, puis le RER (réseau express régional) lancé par de Gaulle en 1965 et inauguré en 1977. Et maintenant, les travaux du Grand Paris qui, selon une expression bien trouvée, équivalent à élever une rocade de métro au rang de chantier présidentiel.
Tout cela, bien sûr, a un prix. À la louche on arriverait à 35 milliards d’euros. Près de 20 milliards de plus que le budget prévu par la région et l’état pour les quinze ans à venir. Il « faudrait » donc emprunter sur cinquante ans, en ayant recours aux banques… Diable, le serpent se mordrait-il la queue ?
Pour ce projet, qualifié de pharaonique, il faut, bien sûr, l’accord des élus, faire la synthèse entre les travaux des dix équipes d’architectes qui insistent sur « la nécessité d’améliorer les déplacements pour faire de Paris une métropole de rang mondial ». Des masses laborieuses, point d’évocation, à moins qu’au titre de cochons de payants ?
Querelles d’experts, régionales en 2010, présidentielle en 2012, tout cela s’inscrit dans la stratégie d’élections. Un Grand Paris pour mieux circuler dans l’Île-de-France, pour faire mieux rentrer dans le XXIe siècle la déjà vieille formule « métro-boulot-dodo » ? Le mieux vivre en terre francilienne ne semble pas être la préoccupation majeure de nos édiles, à quelque échelon qu’ils soient. Il y aura encore pour longtemps des banlieues disparates, des cités-mouroirs, des endroits cossus et des quartiers défavorisés. Prenons l’avis de Francis Cuillier, urbaniste pour qui les mutations des métropoles ne peuvent se former au seul bilan carbone et à des questions techniques. Selon lui, dans une interview dans un quotidien national, « quand on veut une ville “soutenable”, il faut favoriser la mixité urbaine, réduire les temps de transport, reconquérir ce qu’on appelle les “déclassés urbains”… »
Peut-être est-il utile de rappeler que la base, la commune, fraction de territoire français, « a son origine dans la lutte contre le servage et au XIe siècle, elle était formée de l’association des habitants d’une même ville désirant se gouverner eux-mêmes et se libérer des violences exercées par les seigneurs » (Encyclopédie anarchiste, page 370).
Nous en sommes loin. Pour y arriver, résistance, dans les quartiers, les lieux où nous sommes exploités, partout. Ou, comme le disait dernièrement Éric Hazan: « Que ceux qui ne se résignent pas à l’apartheid rampant se réunissent pour rendre aux villes leur rôle et leur beauté.»


1. Le baron Haussmann (1809-1891), préfet de la Seine de 1853 à 1870, est un prédécesseur « fameux » des changements urbains dans la capitale. Rappelons que c’est à lui que nous devons la ville de Paris actuelle avec ses larges avenues et ses espaces verts… Inutile de préciser que (contrairement à de multiples allégations) tout ça avait été agencé (entre autres) pour que les forces publiques puissent se déplacer à loisir, c’est-à-dire charger, disperser manifestations et autres soulèvements ouvriers de Paname. Le jogger fou a-t-il pensé dans ses projets à ce qu’il (lui et d’autres) appelle la racaille ?
2. C’est ce qu’on appelle maintenant « un grand chantier présidentiel ». Un métro automatique de 130 kilomètres qui fonctionnera nuit et jour. Ça coûtera plus de 20 milliards d’euros, le chantier commencerait en 2012 et durerait douze ans. Diable, ça empeste l’esprit dynastique !