Injustice d’État : à quand votre tour ?

mis en ligne le 22 octobre 2009
Un transfert de prisonniers a été prévu par l’État pour octobre 2009, de l’ancienne prison de Poitiers vers la nouvelle prison-Bouygues de Vivonne. Pour le 10 octobre 2009, une journée anticarcérale avait été proposée par un collectif militant local, afin d’ouvrir le débat public sur une critique du système carcéral.
Il s’agissait de rassembler les gens, pour débattre des alternatives au système du châtiment et de la violence carcérale, et manifester une opposition digne et résolue à cette nouvelle prison. La journée s’articulait autour du « 23 * », un lieu associatif qui avait bien voulu prêter ses locaux ce jour pour des débats et un concert.
La journée a commencé vers midi par un débat très riche par la qualité des interventions diverses. Un débat de fond, sur l’avenir des luttes anticarcérales, devait avoir lieu le soir, suivi d’un concert pour lequel des groupes avaient fait le déplacement.
Pour montrer qu’il y a des gens qui protestent contre la construction de cette prison de nouvelle génération, un rassemblement en centre-ville était aussi prévu l’après-midi. Un rassemblement dit « festif », dans le respect de l’esprit du festival culturel des Expressifs qui avait alors lieu à Poitiers.
Mais la manifestation qui a suivi le rassemblement a été investie par des personnes qui avaient, semble-t-il, d’ores et déjà choisi d’autres façons de protester – selon des modes opératoires qui ont totalement pris au dépourvu nombre de participants. Cette minorité a peu à peu pris le contrôle de la manifestation, qui a rapidement dégénéré en un rapport de force entre certains manifestants et la police (tirs de flash-ball contre fusées et pétards). La manifestation a soudain reflué vers le centre-ville et a donné lieu aux dégradations matérielles amplement relayées par la suite par les médias et les autorités.
Il ne nous appartient pas de juger les actes commis en eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas les nôtres. Ils peuvent être compréhensibles, si l’on analyse la plupart de leurs cibles : des vitrines d’agences de banques ; une agence de Bouygues (dont la maison mère a construit cette nouvelle prison de Vivonne, gère son entretien et à qui l’État verse un généreux loyer) ; des cabines de France Télécom, l’entreprise aux 25 récents suicides ; du « mobilier urbain » à destination publicitaire…
Il est important de dire qu’il n’y a eu aucune violence délibérée contre la population.
Néanmoins, si nous aussi dénonçons la violence insupportable de ce système qui mène le monde droit au mur et brise les individus, nous sommes en désaccord profond avec cette « stratégie » de destruction.
En effet, ces actions n’ont été l’initiative que des individus qui les ont choisies ; or, elles ont immédiatement impliqué un grand nombre de personnes qui n’étaient ni prévenues ni préparées, et dont beaucoup n’étaient pas d’accord avec ces méthodes. Elles ont délibérément été commises dans le cadre d’une manifestation publique, mettant ainsi en danger tous les participants. Personne, parmi ceux ayant choisi ces actions, ne pouvait ignorer que la mise en œuvre de celles-ci donnerait lieu, face à un État de nature fondamentalement répressive, à des réponses policières et judiciaires aux graves conséquences locales.
En effet, cette répression s’est bel et bien abattue, d’une véritable violence, aveugle. Descente policière massive et brutale contre « le 23 », qui n’avait strictement rien à voir avec les débordements de la manifestation. Le concert a été annulé, du matériel sono dégradé, le public et les bénévoles malmenés par la police, pendant cinq heures : plaquages au sol ou mises à genoux, matraquages, menaces, insultes, mains sur la tête, photos systématiques, etc.
La répression, ce furent aussi des dizaines d’arrestations arbitraires, dont 18 donnant lieu à des gardes à vue éprouvantes. La police, bizarrement absente lors des débordements, s’est mobilisée en nombre pour le procès du lundi 12 octobre.
Le gouvernement, par la voix de l’inénarrable monsieur Hortefeux téléporté sur Poitiers, en profite étrangement pour ressortir les lois de 1936 de derrière les fagots contre les « groupuscules ». Mais aussi pour pondre deux nouveaux décrets (à valider par le conseil d’État), consistant en deux nouveaux fichiers sur les lieux communautaires et sur les « groupuscules » supposés à l’origine de ces actes. On peut aussi s’interroger sur la cohérence d’une démocratie censée s’inspirer de cette vieille théorie sur la séparation des pouvoirs, avec un ministre qui débarque à Poitiers pour un procès en comparution immédiate, demandant des peines exemplaires. Montesquieu doit se retourner dans sa tombe…
Huit gardes à vue ont en effet débouché sur des comparutions immédiates forcées. Trois condamnés à la prison ferme (d’un à quatre mois) plus du sursis et des amendes, dont deux ayant tout juste 20 ans. Pour les autres, du sursis allant de trois à six mois et des amendes. Tous des boucs émissaires, n’ayant jamais commis les faits qui leur sont imputés, des preuves à l’appui de leur non-implication dans ces faits ayant été écartées volontairement, ainsi que des témoignages.
Pour les dix autres personnes, relâchées à l’issue de leur garde à vue, trois sont poursuivies pour refus de prélèvement ADN. Dont une, mineure de 14 ans (!), subira des poursuites pour « rébellion », une accusation policière qui frise le grotesque quand on connaît un tant soit peu la jeune fille.
Enfin, et c’est sans doute l’une autres tristes conséquences à long terme de cette manifestation et de la répression qui s’en est suivie, c’est tout le travail de fond, de nombreuses années, des militants libertaires auprès de la population, dont beaucoup étaient venus pour débattre d’alternatives à la prison, qui a été saccagé ce jour-là – en trente minutes seulement.
Bien sûr, en tant qu’anarchistes, nous devrons analyser toutes et tous ensemble ces événements et leurs retombées.
Mais aujourd’hui, la priorité, ce sont les personnes enfermées en prison. Dans cette horrible prison de Vivonne, qui est le point de départ de tout cela. C’est le désarroi général, du côté des gens qui militent comme des gens qui vivent ici. Et la colère, face à tant d’injustice, tant ces condamnations sont révoltantes par leur absurdité. Bien au-delà de nos rangs, nous appelons immédiatement à soutenir toutes les victimes de cette parodie de justice, et nous appelons à la vigilance, face à toutes celles à venir.

Groupe Pavillon Noir de la Fédération anarchiste

*. Lieu associatif de culture alternative.