La pestilence élyséenne et française de Raskoltignac

mis en ligne le 3 octobre 2010
Notre bon président a déjà été affublé de surnoms en tout genre. J’ai donc cherché à être à la fois original et à trouver quelque chose qui le décrive très bien. Eurêka. Voilà Raskoltignac, composé de Raskolnikov (« Si Dieu n’existe pas, tout est permis »), personnage de Dostoïevski, et Rastignac, cher à Balzac. Ce « mix » associe l’absence de vergogne à l’arrivisme sans scrupules. Raskoltignac serait en effet un individu sans foi ni loi, narcissique, opportuniste, ambitieux, qui combine aisément les vices des deux personnages romanesques. Raskol racole, Tignac serait teigneux et cultiverait le culte du Moâ, cher à Sacha Guitry. Plus près de nous, c’est aussi une imitation du tricheur décrit par le même Guitry dans le Roman d’un tricheur. C’est évidemment un personnage fictif et tout ce qui suit doit être lu (on ne sait jamais à l’avance le procès de la justice « indépendante ») avec les lunettes de l’invention journalistique, ces pelés, ces galeux dont vient tout le mal car ils affichent la température alors qu’il suffit de casser le thermomètre.
Marianne l’a traité de « voyou de la République » ; pourquoi de la seule République puisque quelqu’un qui semble ne rien respecter, pas même sa fonction au service de tous, pas même la Constitution qui ne fait pas de différences entre les Français de différentes origines, y compris hongroises, est bel et bien un voyou ? Un autre (Plenel) l’a qualifié du titre de « délinquant constitutionnel ». C’est que Raskoltignac vient de faire très fort. Il a stigmatisé tout un groupe culturel, celui des Roms, tous assimilés aux « gens du voyage » et associés en tant que tels à la délinquance, comme les immigrés. Il avait parlé des « racailles » à nettoyer au Kärcher… Cela le reprend car le filon électoral du sécuritaire lui avait bien réussi en 2007, malgré un échec patent dans la lutte contre les atteintes aux personnes. Cela risque de ne pas marcher en 2012 car la droite chrétienne est effarée et apprécie la bulle du pape, qui a décoché une belle ruade à Raskoltignac, car les frontistes se reprennent à préférer l’original à la copie et car la droite républicaine prend ses distances avec les amalgames tsarkozyens. Mais pour notre arriviste, une diversion permettant en même temps d’espérer récupérer les électeurs du Front national, ralliés en 2007 mais en voie de désertion, et de faire oublier l’affaire Woerth est la bienvenue. Sans oublier que sur le plan socio-économique, il vaut mieux faire oublier la situation française que des effets de manche et d’annonce ne sauraient améliorer.
Cet homme imaginaire nous a montré qu’il était peu regardant sur les moyens lui permettant d’atteindre les fins de sa clique ainsi que les siennes. Pendant la campagne électorale de 2007, il montrait sa chère Cécilia, laquelle était déjà avec Attias ; il fallait ne pas décevoir l’électorat catho. Et il divorçait trois mois après son élection pour un troisième mariage, ce qui aurait dû interdire au pape de le recevoir au Vatican comme chat-moine de Latran. Parallèlement, il séduisait l’électorat frontiste en lui piquant ses idées sécuritaires et anti-immigration ; en même temps, il affichait son rapport aux mânes des grands socialistes, de Guy Mocquet et des résistants afin de préserver les voix du bon peuple de gauche. Il se rendait dans les usines pour faire des promesses sans suite. Dans ses discours, on le notait comme spécialiste des contenus de circonstance en fonction de l’auditoire. Leur but n’est évidemment pas d’argumenter mais de séduire au coup par coup comme le fait tout avocat d’affaires, plus intéressé par le résultat que par les principes juridiques. C’est du boniment de camelot (du roi ?) vendant des cravates dans un parapluie. Il emploie à dessein le langage du populo, matraquant au passage la grammaire, la syntaxe et la langue. Il ne maîtrise pas sa gestuelle, ses mimiques et ses « attouchements », à tel point qu’Angela Merkel (habituée au baisemain de la RDA) s’est fait passer des films de Louis de Funès pour comprendre un président si tactile. Tout cela, ce n’est sans doute pas par pure inculture ; c’est pour s’attirer les grâces des prolos, auxquels, du reste, assisté par le motodidacte Estrosi, il fait des promesses peu suivies d’effets en ce qui concerne la pérennité des entreprises et des emplois. Cela ne l’empêche pas de faire aussi du bling-bling avec sa star cosy, la belle Carla chez laquelle il brunit en été tout en s’occupant du tout-à-l’égout de la résidence. Faut-il en déduire que l’égout ça le connaît, quoique dégoût et des couleurs, on ne discute pas.
Élu, il n’a pu s’empêcher d’afficher ses vraies convictions : son amour pour les riches et pour l’idéologie américaine alors encore propulsée par Bush II qu’il admirait tant ; cela s’est traduit par le fameux bouclier fiscal (inventé sous Villepin) et de multiples cadeaux à son électorat : crédit d’impôt pour l’accès à la propriété, quasi-suppression de l’impôt sur les successions, bouclier descendu à 50 % du revenu fiscal de référence (c’est-à-dire après prise en compte des niches fiscales, ce qui fait que certains riches ne payent plus rien comme impôt) au lieu de 60 tout en y ajoutant la CSG et la RDS (plus, pour être juste, la détaxation des heures sup). Le divorcé deux fois, marié trois est pourtant allé faire des mamours à Benoît XVI, qui plus est accompagné de Bigard, spécialiste du « lancer de salopes ». Et pour faire bon poids, il lui a affirmé que le curé valait mieux que l’instituteur pour éduquer les enfants ; de même, en Arabie Saoudite (ou dans le coin), il a prôné le retour aux valeurs spirituelles et religieuses. En pleine crise (de spiritualité ?), il se fait augmenter de 172 % et adapter un avion pour 180 millions d’euros.
Raskoltignac développe une approche événementielle, spéculaire et spectaculaire du droit ; depuis 2002, on en est à trente-trois lois de sécurité ou d’anti-immigration ; lois de circonstances, lois instrumentales ne valant guère que pour leur effet d’annonce aux yeux du public. Il piétine la Constitution (les Français de souche et les autres) et le droit européen qui interdit de faire des apatrides. Il transforme des cas individuels en stigmatisant de groupes sociaux ou ethniques. Etc. Cet individu ne recule donc devant rien et cela au mépris de la culture républicaine et du droit. Il a affiché ses tendances népotiques à propos de la désignation de son fils Jean (sans terres) à l’Epad. Il transforme les fonctions publiques en féodalités à son service et les hauts fonctionnaires en satrapes révocables à merci selon son bon vouloir. Il a fait des universités, des hôpitaux, de la radio-télévision publique, de la magistrature, des services statistiques, etc., des instruments à sa botte et gérés comme des entreprises privées dirigées par un chef tout-puissant. Il a continué l’œuvre de Chirac pour torpiller droit social et droit du travail contre le pacte social français mis en place à la Libération en 1945.
Il allait nous éloigner de la « Françafrique ». Manqué ! On allait avoir une politique extérieure plus morale, dont il est seul à décider, Couchner jouant les utilités. Que nenni : mamours à la Chine, à Poutine, réintégration dans l’Otan (en apporte le vent) et soumission à l’état-major US, enfoncement dans le bourbier afghan, discours de Dakar sur les Africains pas encore assez entrés dans l’histoire, etc. Il allait sauver le monde de l’emprise de la phynance, là aussi c’est raté car les affaires et la spéculation reprennent de plus belle.
Il dit vouloir une « République irréprochable », mais il se pourrait bien que des affaires l’impliquant finissent par apparaître, au moins dans la presse. J’en ai déjà touché un mot dans des articles précédents (sous-marins de Karachi, financement possiblement illicite de la campagne de 2007 et de l’UMP par les Bettencourt). Gageons que l’affaire Woerth-UMP n’ira pas en justice ; le risque est trop grand de voir les comptes de campagne déclarés illégaux et donc l’élection présidentielle invalidée. Ce qui conduirait en Cour de justice de la République et, en cas fort hypothétique de condamnation, au retrait de nationalité d’un Français de fraîche date pour « indignité nationale ». Il n’est pas interdit de faire comme si et de rêver. Les précédents n’incitent pas à l’optimisme. Les écuries du RPR ont été nettoyées par la carte judiciaire bien que le menu soit copieux et ne voilà-t-il pas qu’un deal est passé entre l’UMP, Delanoix et Chirac pour effacer l’ardoise des emplois fictifs à la mairie de Paris, seul procès (sur douze ou treize possibilités) ayant atteint l’ancien président. On croyait que les mœurs corrompues du financement politique des partis avaient cessé mais on s’aperçoit que l’UMP a trouvé les moyens de contourner les lois pour collecter du pognon auprès des riches (via, notamment, le premier cercle avec ses repas à la cantine du Bristol), lesquels ont bénéficié en retour des largesses du pouvoir et de la bienveillance du fisc. Les relations entre la politique politicienne, le fric et la justice font penser à la famille tuyau de poêle où tout le monde s’encastre les uns dans les autres.
Les anars savent depuis bien longtemps que l’État est le valet du capital, que faire de la politique, « c’est se laver les mains dans la crotte » (Proudhon). On croyait naïvement que les bornes, celles fixées par Herriot (« La politique, c’est comme l’andouillette ; il faut que ça sente la merde mais pas trop »), ne seraient pas dépassées. Quelle illusion !