Impressions sur le Festival international de films de femmes

mis en ligne le 21 avril 2011
Le 33e Festival international de films de femmes ne semble pas avoir fait le plein de spectatrices et de spectateurs.
Même les week-ends, à la différence des années précédentes. Plusieurs raisons d’ordre général à cela mais d’autres aussi, spécifiques à la manifestation. Telle peut-être, une insuffisance de sélection ?
Par exemple, en ouverture et projetée de nouveau le lendemain, mise en compétition, cette nullité totale : cascade d’images brouillées autour d’une vision de la Vierge troublant un petit garçon et amenant ses parents à douter de sa raison jusqu’à ce que sa mère voie l’apparition…
Ni techniquement ni dans ses intentions Au milieu de nulle part ailleurs d’Annick Blanc (Canada, 2010) ne pouvait intéresser quiconque et nul applaudissement, même poli, n’a salué l’œuvre ; pourtant elle a eu droit à une assez longue annonce dans le journal quotidien du Festival.
De même, le film qui suivait dans la projection du samedi 26 mars : Like Love de Sarah Cunningham (France, 2010), sympathique dans sa démarche, n’avait rien de remarquable : l’accompagnement affectif par une étudiante d’un prof de philosophie handicapé ne présente guère d’intérêt autre qu’humain : filmage plat, banalité quotidienne des propos, répétitivité d’une tentative d’analyse de l’accident…
Incontournable, lui, et méritant d’être couronné, un long métrage de fiction mais d’une fiction épousant une réalité atroce, Le Départ de Myna, de Sonia Escolano Pujante et Sadrac Gonzales Perellón (Espagne 2008) décrivant les affres et angoisses d’une jeune employée de maison roumaine aux prises avec l’état de santé dramatique du petit garçon dont elle a la garde.
Film hardi, politiquement et psychologiquement : la domestique, du fait de son séjour clandestin et de sa dépendance totale – elle ne peut dire la vérité à ses patrons ni risquer de se faire arrêter à l’hôpital – est sujette au mépris général : injures du voisin dérangé par les cris de l’enfant et, filmé trente minutes durant jusqu’à l’insoutenable, viol par le médecin qu’elle finit par faire venir.
Beaucoup de spectatrices ont quitté la salle lors de cette séquence et la question reste pendante : fallait-il au nom de la revendication féministe et sociale imposer au public cette reconstitution insupportable où aucun détail physique n’est épargné, et évidemment pas les hurlements et vomissements de la victime ? Je me le demande encore.
Dans le débat qui suivit, la réalisatrice confiait qu’elle avait dû elle-même, ainsi que l’actrice, être soutenue et guidée par un psychologue.
Peut-on aller jusque-là dans ce qui doit rester malgré tout une fiction ?
Certes le film évitait habilement la nudité et ce qui pouvait se prêter à quelque angle pornographique, mais nous étions tous plongés dans l’horreur et l’impuissance – et c’est contre cette paralysie que se justifiait la fuite de certaines. Perplexité philosophique qui concerne d’ailleurs d’autres œuvres comme en témoignait Sonia Escolano Pujante – le problème du viol étant pris à bras le corps par diverses cinéastes de cette session.
Plonger le public visuellement dans l’abomination est-il le meilleur moyen de l’inciter à la lutte ?
Ce problème de lenteur des séquences en temps « réel », se reposait à la fin, pour celle du couple revenu de voyage : encore plus de trente minutes, cette fois de propos insipides, pour montrer le déphasage des vies : celle de la jeune immigrée en fuite et celle de ses patrons.
On comprend l’intention et on doute de l’efficacité.
Tel quel, ce film à petit budget tourné essentiellement caméra sur l’épaule est fort et courageux, à la fois sur les conditions de vie des immigrés clandestins et sur celles des femmes en général.
Dans les longs métrages documentaires à retenir, celui de Nathalie Nambot (France, 2010) très poétique, sur fond de textes d’Ossip Mandelstam et d’Anna Akhmatova : Ami entends-tu, couronné par une superbe lettre d’adieu de l’épouse du poète. Condamnation sans appel du stalinisme tirant sa force du contraste entre les paysages de Kronstadt à Moscou, changeant avec les saisons depuis la glace jusqu’à l’exubérance printanière, et cette plainte lyrique, embrassant le monde, incarnée par Nadedja Mandelstam et une actrice l’évoquant dans sa jeunesse.
Un beau moment de rêverie où se conjuguent résistance politique, littérature et amour fou.
D’une même facture méditative, Letters from the desert de Michela Occhipinti (Italie 2010), nous fait partager la lenteur de cette vie rudimentaire des habitants du nord de l’Inde, rythmée par la correspondance, acheminée à pied ou à vélo par Hari à travers les dunes, perturbée par le surgissement du téléphone portable et des installations afférentes. Jusque dans ce bout du monde où générosité et solidarité allègent le dénuement, les nouvelles technologies menacent les rarissimes emplois…
Dans les courts métrages de fiction ce petit bijou qu’est Dolores, de Manela Moreno (Espagne 2010) totalement porté par une actrice étonnante, poupée moderne un brin ridicule au début et dont la sensibilité commence à affleurer grâce à un interlocuteur inattendu… qui pour finir se dérobe, repris par la vie ordinaire : le miracle n’a pas lieu. Une totale réussite car la brièveté (neuf minutes) donne toute sa force à la brutalité du réel – mélange de lâcheté, d’égoïsme et de superficialité des un(e) s et des autres qui détruit toute transcendance et donc toute possibilité d’échange profond.
La série vidéo d’une minute reconduite chaque année est un mélange assez médiocre mais encourageant de tentatives filmiques d’amateurs.
Trois séries étaient présentées : celle de Barcelone (ville à l’origine du projet dès 1997, lors de la Muestra international dos filmes de las dones) nettement plus politique que les autres, avec des sujets comme la condamnation de l’excision et la guerre en Afghanistan ; celle de Créteil (stage de l’AFIFF animé par Martine Delpon) un peu pâlichonne, centrée sur les histoires de couple et de deuil, et celle assez musclée de Nantes, abordant de front les problèmes sociaux : les rapports patron-employé ou, d’une façon baroque comme dans Reincarn.com, les délires de la société marchande.
Lors de cette séance du samedi 2 avril, un très beau documentaire sur les adolescentes de banlieue tourné par Hélène Milano : Les Roses noires (France 2010), série d’interviews d’adolescentes structurées autour des problèmes de langage, d’éducation et de genre.
Les travellings sur ces immeubles sans âme de la cité, monotones et décrépits, montrent le rapport entre cette relégation architecturale et la vie culturelle. Privés de ville et donc d’histoire, quelle idée ces adolescentes peuvent-elles se faire de l’urbanité ? La déstructuration du code de communication très bien décrite par ces jeunes filles va avec celle du paysage.
Comme nous en avons convenu dans le débat avec la réalisatrice, éclate aussi la faillite de l’école dans la mission de donner à toutes et tous les mêmes armes sociales dont celle, majeure, de la langue… que ces filles disent ne pas savoir vraiment pratiquer !
Il y a un lien effarant entre la coupure spatiale de cette vie en ghetto et la civilisationnelle – dont la linguistique – auquel notre système scolaire, relégué lui aussi dans les oubliettes fautes de moyens et d’engagement politique, ne parvient pas à remédier.
Du coup les tabous sexuels et religieux propres aux cultures d’origine refleurissent et prennent force de loi. Comme la nécessité pour ces jeunes filles de rester vierges jusqu’au mariage et de dissimuler leurs formes dans des tenues très amples pour ne pas être injuriées et traitées de putes par l’autre genre, la peur de la (mauvaise) « réputation », pour reprendre leur terme, devenant une hantise.
Il m’a semblé sentir dans la façon dont Jackie Buet, vaillante directrice de la manifestation depuis ses débuts, noyait dans la généralité cette question d’inégalité entre garçons et filles, une peur d’aborder les problèmes de fond – au premier plan aujourd’hui, avec la montée du Front national et les déchirements à droite comme à gauche à propos du débat sur la laïcité.
Au total, encore bien des surprises, des découvertes dans cette Fête du cinéma féminin dédiée cette année à l’Europe du Sud. Et chez les réalisatrices, comme chez les artisan(e) s de la programmation, le souci de ne pas perdre de vue les grandes questions d’actualité.