« Œil pour œil, et le monde sera aveugle » (Gandhi)

mis en ligne le 29 septembre 2011
1644PeineMortQuelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de l’affaire Troy Davis, quels que soient les doutes – et ils sont nombreux – sur sa culpabilité, quelle que soit la confiance – et elle est faible – dans ce verdict définitif, une chose est sûre : le 21 septembre 2011, le crime a changé de côté. Pour un homme abattu dans des circonstances mal définies, pour une fraction de seconde au cours de laquelle l’irréparable a été commis, la vie d’un homme. Un homme dont on s’est emparé. Que l’on a questionné, accablé. Que l’on a enfermé et que l’on a jugé. En vertu de la loi, là-bas différente d’ici, on a jugé qu’une vie volée en réclamait une autre. Œil pour œil. Deuil pour deuil. Un homme, donc. Un homme dit « de couleur ». Un homme jeune, alors (21 ans), et pas spécialement riche. De cette catégorie sociale qui se rencontre souvent dans les cellules et les couloirs de la mort des pays dits civilisés. La peine de mort n’est, par définition, pas une peine. La mort, c’est un basculement de la vie au néant. C’est l’ultime mystère d’un instant fulgurant. La mort, c’est la mort. Aussi, dans ce châtiment suprême, la mort n’est pas la peine. La peine, ce fut, pour Troy Davis, une attente de vingt-deux ans entre le verdict et son exécution. Vingt-deux ans ! Vingt-deux années d’angoisse exaspérée par les tergiversations de la justice. Vingt-deux années d’espoirs et de résignation, d’illusions et de préparation morale, de terreur muette, de douleur absolue. Tout cela sans cesse recommencé. Le 21 septembre 2011, le garçon de 21 ans condamné à mort était un adulte de 43 ans. Celui-là n’avait probablement plus grand-chose en commun avec le jeune homme zonant sur un parking de Savannah (Géorgie), une nuit d’août 1989. Même dans les pires conditions de son incarcération, Troy Davis avait mûri et sa personnalité n’était plus la même. C’est une évidence qu’il faut pourtant souligner quand, dans le monde, on enlève sa vie à un adulte pour prix d’une erreur de jeunesse, si tragique fût-elle… et encore faut-il dire cela très vite pour ne pas céder au vertige d’une possible erreur judiciaire. Pour ne parler que des États-Unis, d’autres condamnés se morfondent des années durant, dans l’attente d’une exécution plus ou moins certaine selon la notoriété de leur cas et le degré de soutien d’une fraction de l’opinion publique opposée à la peine de mort. On pense évidemment à Mumia Abu Jamal, qui croupit depuis bientôt trente ans dans le couloir de la mort, et à d’autres plus chanceux, dit-on, qui subissent la mort lente dans les geôles américaines, comme Leonard Peltier, enfermé depuis trente-cinq ans après une double condamnation à perpétuité. On pourrait, de ces deux cas exemplaires où la culpabilité est des plus incertaines, faire le lien avec Troy Davis. L’innocence condamnée souille l’humanité bien davantage que le crime, cela est certain. Mais cette honte pourrait être évitée si la justice rompait, définitivement, avec l’esprit de vengeance qui à la douleur ajoute de la douleur, au sang versé en verse encore davantage. Les assassinats légaux prennent leur source dans cette triste aspiration, hélas trop répandue, parce que continuellement attisée, et toutes les prisons du monde tiennent debout grâce à ce ciment. Qu’on en finisse avec la vengeance, et le système du châtiment, suprême ou pas, s’écroulera. Sinon, une monumentale statue plantée au large de New York et levant haut sa torche n’éclairera qu’un monde devenu aveugle à force d’avoir réclamé un œil pour un œil.