Explosion AZF : dix ans après

mis en ligne le 29 septembre 2011
1644AZF21 septembre 2001, Toulouse. Ce jour-là avait lieu la plus grosse catastrophe industrielle en France, depuis 1945. 31 morts, 2 500 blessés hospitalisés, dont une bonne partie avec des traumatismes graves, 1 000 appartements détruits, 50 000 endommagés et le quart d’une ville touché. Dix ans après, ce n’est pas fini. Si les bâtiments publics ont été rebâtis où réparés relativement rapidement, il reste des habitations encore touchées aujourd’hui. Évidemment chez les plus pauvres.
Comme si ça ne suffisait pas, en novembre 2009, la justice prononçait la relaxe générale au bénéfice du doute dans le procès contre Total et la direction d’AZF-Toulouse.
Le réquisitoire était pourtant explicite, dénonçant des « fautes organisationnelles » et des dérives à l’intérieur de l’usine, notamment dans la gestion des déchets et le recours à de nombreuses entreprises sous-traitantes non formées (ou tout comme : un speach d’accueil de 45 minutes pour les intérimaires).
Le juge a confirmé que les causes de la catastrophe étaient bien un mélange de produits chimiques incompatibles à l’origine de l’explosion, conséquence d’une organisation du travail basée sur la sous-traitance. Il est prouvé que la sous-traitance multiplie de 5 à 10 fois la fréquence des accidents du travail.
Il a été prouvé aussi que la commission d’enquête interne constituée par Total avait dissimulé des faits, des pièces, des témoignages capitaux et des essais d’explosivité. Qu’à cela ne tienne, la justice n’a pas pu prouver la culpabilité, parce qu’il manquait les pièces que le coupable avait lui-même fait disparaître.
Dans l’usine de Toulouse, les obligations légales étaient respectées. AZF s’enorgueillissait d’avoir toutes les normes ISO possibles. Cela n’a pas empêché la catastrophe. Et ce n’est pas la loi de 2003, dite « loi Bachelot », qui a remis en cause les pratiques à risques des entreprises classées Seveso. Pis même puisque avec les mesures préconisées dans le cadre des PPRT (plans de prévention des risques technologiques), difficilement applicables, si les industriels doivent effectuer quelques travaux de fiabilisation, les sommes à verser pour les travaux nécessaires de sécurisation des constructions situées dans les périmètres classés dangereux, reposent principalement sur les municipalités et les riverains 1. En plus, désormais, lorsqu’un industriel veut s’installer (oui, je sais, c’est rare) c’est à lui de prouver qu’il propose, ou pas, une activité dangereuse.
En novembre prochain, un nouveau procès de Total et d’AZF, en appel, va s’ouvrir, avec près de 2 500 parties civiles, 50 avocats. Il va durer 4 mois. N’ayant qu’une confiance limitée dans la justice, on peut penser que Total s’en sortira sans trop de mal encore.
Le 21 septembre, c’était le dixième anniversaire de la catastrophe. Le maire de Toulouse (PS) a appelé à une manifestation de « réconciliation et de concorde ». Regroupant les sinistrés et leurs associations, les salariés d’AZF rassemblés au sein de l’association Mémoire & solidarité, les dirigeants de Total, des ministres et des personnalités qui voulaient se montrer.
Comme disait un groupe de musique toulousain, repris par l’association des victimes du 21 septembre : « Il n’y a pas d’arrangement. » Si les intérêts des victimes et des salariés devraient être les mêmes, il est hors de question de se retrouver main dans la main avec les patrons de chez Total. Il y a eu aussi trop de conflits et les prises de position des salariés d’AZF réunis au sein de Mémoire & solidarité, en faveur de Total, n’ont pas arrangé le climat.
C’est aussi pour cela qu’une autre manifestation s’est déroulée, sur le lieu symbolique où se réunissaient les victimes chaque année : le Rond-Point du 21 septembre, à l’initiative de la Fédération chimie de la CGT,
Près de 300 militants travaillant dans des usines et raffineries de toute la France se sont rendus à Toulouse, aux côtés des associations de victimes ainsi que d’anciens salariés d’AZF ne se reconnaissant pas dans les prises de position de l’association mise en avant partout dans les médias. Ils sont venus de Dunkerque à Marseille, pour dire que, depuis la catastrophe, rien n’avait vraiment changé en matière de sécurité dans le secteur de la chimie. Pour dire aussi que les premières victimes des risques étaient les salariés. C’était enfin pour se démarquer de l’association Mémoire & solidarité, menée par un ancien militant CGT, et pour dire que Total devait payer.
Reste qu’à l’heure où la désindustrialisation de l’Europe est en route, mise en œuvre par les patrons et les financiers, la question de l’industrie, de la production, de l’utilité des produits fabriqués, de l’agriculture pratiquée, de la façon de travailler doit être à l’ordre du jour. Il est évident que face à des catastrophes comme celle d’AZF, il faut dire « plus jamais ça », mais transporter des usines à risques dans des zones désertiques ou dans des pays lointains n’est pas la solution.
Dans une société libertaire, il faudra penser la production en termes de besoins, de sûreté pour ceux et celles qui travailleront et pour les habitants autour, de non-pollution ainsi que d’autogestion… À suivre donc…




1. Pour les travaux effectués par les particuliers, l’État proposait un crédit d’impôts de 15 %. Ce super-cadeau vient lui-même d’être remis en cause par le gouvernement dans le cadre de sa chasse aux niches fiscales (!!!).