Arcelor sous le talon de fer

mis en ligne le 1 mars 2012
Les trusts, multinationales et gros industriels semblent être passés à la vitesse supérieure en ce qui concerne la fermeture de sites, en Europe de l’Ouest. Le paysage industriel, ici, est vieux et moins rentable que de nouvelles unités qu’il est possible de construire, à bas coût, dans les pays émergents ou faisant partie de l’ex-bloc soviétique, avec du personnel sous-payé et des contraintes sociales et environnementales moins fortes.
Parce que ça y va, en ce moment : pas une semaine sans qu’on nous annonce qu’une boîte va fermer. Il ne s’agit pas de faillite des multinationales, celles-ci annonçant toujours des bénéfices plus ou moins colossaux, mais bien de délocalisation, comme on dit maintenant. Il ne s’agit pas, non plus, d’un problème dû à une chute de la demande, mais bel et bien d’une conduite des entreprises basée sur la recherche de marges plus élevées.
Pour ceux et celles qui pensaient que ces décisions industrielles seraient reportées après les élections, c’est raté : la finance et les patrons n’attendent pas, et la crise européenne représente une opportunité pour accélérer le mouvement.
Renault annonce des investissements au Maroc, PSA dit qu’il va mal et veut fermer l’usine d’Aulnay, M-Real se désinvestit, Hersant brade sa presse, et des tas d’autres ont recours à des plans « sociaux ». Ceci ne fait pas l’affaire du gouvernement, et de Sarkozy en particulier. Les ministres font des pieds et des mains pour retarder de quelques mois les échéances, histoire de ne pas aggraver le climat social pendant la campagne électorale. C’est ce qui semble se passer pour Pétroplus, à Petit-Couronne, où Besson vient d’annoncer un deal ponctuel avec la Shell de quelques mois. Il s’agit juste de redémarrer de façon temporaire les installations (ce qui ne va pas être simple après un si long arrêt, les machines étant fragilisées lorsqu’elles ne fonctionnent pas) pour être plus facilement vendables (sic).
Mardi 14 février, la direction d’Arcelor-Mittal Florange a annoncé la prolongation de l’arrêt de la filière liquide de Florange au moins jusqu’en juin 2012, soit plus de dix mois de mise en sommeil avec la mise en chômage des salariés. La filière sidérurgie a déjà beaucoup souffert. La fin de ce secteur a été programmée vers la fin des années soixante-dix par l’état giscardien et son démantèlement s’est poursuivi sous Mitterrand et Chirac, qui ont facilité les privatisations. Des régions entières, dans le Nord et la Lorraine, ont été dévastées.
En 2008, le groupe Arcelor-Mittal fermait l’usine de Gandrange. Pourtant, en 2006, leur patron, Lakshmi Mittal, s’était servi de ce site pour se donner une image de super-patron hypersocial au moment de son OPA hostile sur Arcelor. Le site de Gandrange avait alors été présenté à toute la presse française comme un modèle de réussite, une usine promise à un bel avenir… Deux ans plus tard, le géant mondial de l’acier annonçait la fermeture du train à billettes et de l’aciérie. On sait que les patrons sont des menteurs et qu’on ne peut jamais les croire, tout comme les gouvernants, et lorsqu’ils disent du bien d’un site ou d’un « collaborateur » (comme ils nous appellent) c’est pour mieux le poignarder. À cette époque, Sarkozy s’était déplacé sur le site pour dire : « Nous sommes prêts à mettre de l’argent pour faire les investissements qui auraient dû être faits depuis longtemps sur le site et qui n’ont pas été faits » et : « On essaie de trouver un repreneur et on investira avec lui pour laisser le site ouvert […] On ne se contentera pas de dire “il n’y a qu’à”, on mettra de l’argent dans l’outil de production s’il le faut. » Il avait promis, également, de revenir sur le site pour annoncer la bonne nouvelle. Il n’est jamais revenu, évidemment. Le site est quasiment fermé.
Arcelor-Mittal a continué son désengagement avec deux autres fermetures d’usines (dont une en Belgique dernièrement qui a entraîné une action marrante des Anonymous sur les sites internet de l’industriel), et c’est au tour du site de Florange de morfler.
Là aussi, Sarkozy y est allé de sa petite phrase – « Moi, je ne veut pas que Florange meure » – mais ça ne l’a pas fait auprès des salariés. Au contraire, cette déclaration, rappelant celle de Gandrange, a plutôt énervé tout le monde. Du coup, depuis lundi 20 février, les salariés occupent les lieux et se montrent assez offensifs. Ce qu’ils veulent, c’est « foutre Mittal dehors pour permettre de reprendre l’outil », sans toutefois préciser sous quelle forme effectuer cette reprise. Certains proposent de reprendre eux-mêmes l’usine en autogestion… puisque c’est rentable. Pas assez rentable pour des actionnaires, mais bien assez pour faire vivre des ouvriers.
À Gandrange, la CGT vient de proposer un projet pour relancer le site : faire de l’aciérie un site de recyclage de la ferraille française en acier, plutôt, par exemple, que d’envoyer nos vielles carcasses de bagnoles se faire recycler à l’autre bout du monde. Ils ont fait le calcul : il faut un investissement de 120 millions d’euros amortissable sur vingt ans. C’est pas délirant mais, bien sûr, Mittal n’en veut pas. Pour lui, la vision est mondiale… Ce recyclage, il se fait déjà en Chine, en Inde… Il préfère transporter, polluer, ça permet de faire plus de marge.
C’est pour ça qu’on ne peut pas laisser gérer nos affaires par des capitalistes ! Les ouvriers le savent bien. Ils veulent virer leur patron. Il y a souvent des solutions à ce qu’on essaye de nous faire croire inéluctable. Mais les solutions où les ouvriers reprennent en main les moyens de production, choisissent leur patron, tentent de les gérer de façon humaine, les capitalistes et leurs alliés politiques n’en veulent pas. Ils préfèrent toujours fermer que de laisser entrevoir qu’une autre façon de faire est possible.
Les grévistes ont décidé de mettre la pression tous les jours car ils savent que si tout le monde politique s’intéresse à eux en ce moment, c’est à cause des élections. « Après le 7 mai, Arcelor-Mittal va sans doute annoncer la fermeture et, là, on risque de se retrouver tout seuls », dit l’un d’eux. Pour l’instant, ils ont occupé et mis au chômage technique les « grands bureaux » de Florange et, depuis le 23 février, ils bloquent, pour une durée illimitée, les expéditions d’acier pour les constructeurs automobiles.
On le sait, les élections n’apporteront rien, quelles que soient les promesses faites aujourd’hui. La solution, c’est de faire converger toutes ces luttes, de reprendre la rue pour foutre tous les gouvernants, patrons et politiciens dehors (pour le moins).