Maroc : la chasse aux syndicalistes est grande ouverte

mis en ligne le 14 juin 2012
Contrairement à l’Algérie, il n’y a pas au Maroc de pseudo-socialisme, mais une vraie monarchie, qui elle non plus n’apprécie pas la contestation. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le comportement des entreprises européennes implantées là-bas 1. Encore une fois, c’est une entreprise espagnole qui se distingue : Jobelsa, entreprise valencienne de fabrication de sièges pour automobiles, implantée dans les faubourgs de Tanger, a licencié 120 travailleurs pour le simple fait d’avoir constitué une section syndicale dans l’entreprise. Comptant sur la complicité de l’État marocain, de son appareil répressif policier et judiciaire, qui a pour fonction de garantir les bénéfices des multinationales installées au Maroc, la société Jobelsa se moque du Code du travail marocain, de l’Inspection du travail, des mécanismes d’arbitrage et de conciliation en vigueur, et tente de briser la volonté de lutte des travailleurs qui, pour l’instant, reste intacte.
Une fois créée la section syndicale de l’UMT 2 chez Jobelsa à Tanger, la réaction des dirigeants de l’usine ne s’est pas fait attendre : répression et menaces sont arrivées, suivies du licenciement d’abord de dix-huit travailleurs, parmi lesquels les membres du bureau syndical, sans aucun motif légal et sans préavis, ordonnant au service de sécurité de leur interdire l’accès de l’entreprise. En réponse à cette injustice, 120 travailleurs et travailleuses se sont mis en grève et ont établi un campement devant l’entrée de l’usine malgré les menaces des responsables et de leurs vigiles.
Le comité régional du syndicat a adressé un courrier au gouverneur de Tanger qui est intervenu en appelant à une réunion tripartite bureau syndical/autorités locales/responsables de l’entreprise 3. Réunion où manquaient la volonté de négociation et encore plus le pouvoir de prendre des décisions. Les travailleurs ont donc maintenu leur rassemblement, ce qui a obligé les autorités à envoyer un comité d’arbitrage et de conciliation composé du président des affaires intérieures de la province de Fahs Anjra, du délégué du travail, de l’inspecteur du travail, du représentant de l’entreprise, du bureau syndical et du comité régional de l’UMT. La réunion a conclu à l’illégalité des licenciements et demandé le versement d’une avance sur salaire aux travailleurs pour la période du conflit. Le représentant de l’entreprise s’est engagé à effectuer les versements, mais finalement ne l’a pas fait.
Au cours de la deuxième réunion, il a justifié le non-versement des sommes par des problèmes techniques, et s’est engagé cette fois à verser la totalité des salaires. Une nouvelle fois l’entreprise n’a pas exécuté une décision officielle du Conseil d’arbitrage et de conciliation.
À la troisième réunion à laquelle ils assistaient, le conseiller juridique de l’entreprise, ainsi que le propriétaire de celle-ci, confirmèrent qu’ils allaient verser leurs salaires aux grévistes et s’engagèrent à résoudre le conflit par la présentation dans les deux jours d’un projet d’accord et de réconciliation. Au bout d’une semaine d’attente, rien n’était fait : ils étaient juste en train de gagner du temps pour piétiner les droits des travailleurs. Au cours de la quatrième réunion, le représentant de l’entreprise changea radicalement de position et refusa catégoriquement de réintégrer les travailleurs licenciés, reniant ainsi tous les engagements antérieurs.
Les travailleurs ont maintenu leur campement et leur lutte à l’entrée de l’usine quand ils ont eu la surprise d’être sommés par décision de justice de lever le camp. Décision immédiatement appliquée avec l’intervention violente de la police, à laquelle personne ne put échapper, pas même les femmes. Le militant syndical Abdellah Elalouzi fut arrêté puis libéré grâce à un rassemblement de travailleurs à la porte du commissariat qui dura jusqu’à minuit, suivi d’un autre rassemblement devant le tribunal de 2 heures du matin à 14 heures. Libre, mais restant sous la menace d’un procès comme beaucoup d’autres travailleurs. Devant cette situation où l’on constate le non-respect d’une décision du Conseil d’arbitrage et de conciliation qui a considéré illégal le licenciement des travailleurs et exigé leur réintégration immédiate, où l’on constate aussi le non-respect du Code du travail en vigueur au Maroc, ainsi que l’usage de la violence, des arrestations et persécutions de la part de la police contre les travailleurs, le bureau syndical de l’UMT de l’entreprise Jobelsa déclare :
1° Nous affirmons notre refus de la décision de l’entreprise de licencier 120 personnes.
2° Nous condamnons l’attitude du patronat étranger qui piétine les droits inscrits dans le Code du travail et se moque des autorités locales.
3° Nous continuerons la lutte jusqu’à ce qu’on nous rende nos postes de travail.
4° Nous lançons un appel à tous les démocrates et demandons leur soutien pour notre droit au travail, contre la répression et contre la limitation de la liberté syndicale.
Autre entreprise (française celle-là) dont nous avons déjà parlé 4 : Soprofel. Autre combat, mais qui vient de se terminer victorieusement pour les travailleurs. Après trente-huit jours de grève de la faim de six salariés licenciés, patronat et autorités ont fini par céder. Soprofel renonce aux poursuites judiciaires et au contraire versera à chacun des six grévistes 80 000 dirhams (environ 7 500 euros) d’indemnité. Les autorités locales prendront en charge leurs frais d’hospitalisation et le suivi médical nécessaires vu leur état de santé après cinq semaines de grève de la faim. Les autorités assumeront également les remboursements pour des prêts dus par deux des grévistes (70 000 dirhams). Cet accord n’a pu être obtenu que grâce à la solidarité ouvrière. Les différents rassemblements de soutien ont réuni jusqu’à 3 000 travailleurs. Toutefois, l’UMT-Fédération nationale du secteur agricole rappelle et dénonce : les conditions d’exploitation des travailleurs agricoles de la région de Souss-Massa ; les attaques du patronat contre le droit syndical ; le silence des autorités sur les violations du Code du travail et la répression contre les travailleurs qui défendent leurs droits.
Pas de répit donc, et la lutte continue sur tous les fronts dans ce « paradis » que tant de nos compatriotes (et non des moindres !) ont choisi comme lieu de villégiature.








1. Voir Le Monde libertaire n° 1675.
2. UMT : Union marocaine du travail.
3. Toutes ces informations sont données par la Commission de travail pour l’Afrique du Nord – CGT espagnole.
4. Voir Le Monde libertaire n° 1676.