À propos de volcans, séismes et mécontentement social

mis en ligne le 12 juillet 2012
HS45MexiqueLe 18 juin 2012, le volcan Popocatepetl situé à environ quatre-vingts kilomètres de Mexico est entré en éruption, provoquant la fermeture de l’aéroport de la capitale et effrayant ses habitants. Dans les semaines précédentes, des séismes d’intensité moyenne avaient secoué le centre du pays, causant d’importants dégâts matériels et de nombreuses pertes humaines dans plusieurs États de la République. Y a-t-il un rapport entre les cataclysmes naturels et les catastrophes sociales ? On peut se le demander. Ce qui est sûr c’est que le pays est de nouveau en ébullition.
Il n’est pas facile de résumer en quelques lignes la liste des malheurs qui ont secoué le pays ces derniers temps. La décomposition sociale avance et la guerre contre le crime organisé, lancée il y a six ans par le (bâtard) président Felipe Calderon, s’est transformée en une guerre civile encore plus sanglante : désormais, le bilan s’élève à plus de 60 000 morts. Dans le même temps, la violence des cartels et des forces de l’État qui se disputent des territoires a engendré l’abominable phénomène des « déplacés » : à Ciudad Juarez, où l’on ne compte plus les victimes féminines, et qui est probablement la ville la plus dangereuse au monde, plus de 24 000 personnes ont quitté leurs foyers, rien que dans les quatre premiers mois de l’année, et le chiffre atteint les 250 000 habitants au niveau national.
Comme d’habitude, les peuples indigènes payent le prix le plus élevé. Lassés des agressions, vols et viols dans la Montagne et la Costa chica de l’État de Guerrero, lassés dans l’État de Michoacán de la destruction des forêts et de la délinquance organisée à Cherán, ainsi que de l’occupation de leur territoire (par les forces policières) à Ostula, enfin lassés également des spoliations dues aux multinationales rapaces de l’industrie minière, des milliers d’indigènes ont décidé d’organiser leur autodéfense. La réponse a été sanglante : massacres à Cherán et Ostula à l’initiative des groupes paramilitaires associés au crime organisé, et protégés par les forces de sécurité de l’État, guerre larvée contre les Indiens huichols, sale guerre contre les indigènes zapatistes du Chiapas. Sans parler des dizaines de morts de faim parmi les Indiens tarahumaras pendant que Carlos Slim continue d’être l’homme le plus riche au monde, avec une fortune personnelle de 68,5 milliards de dollars (US) selon l’agence de presse Bloomberg.
Durement touché, le tissu social ne cesse de produire des anticorps, par exemple : le Mouvement pour la paix avec justice et dignité animé par le poète Javier Sicilia, dont le fils Juan Francisco fut sauvagement assassiné en mars 2011. Une première marche est partie de Cuernavaca le 5 mai 2011 pour arriver le 8 au Zócalo de Mexico [place centrale de Mexico. NdT], dans le but de dénoncer les maux dont souffre la société mexicaine, non seulement du fait du crime organisé, mais aussi de la part des forces de sécurité de l’État mexicain. La mobilisation a été un succès et beaucoup d’autres ont suivi, emportant l’adhésion des organisations des droits de l’homme, des immigrés et des indigènes zapatistes du Chiapas. Autre point sensible : les élections présidentielles du 1er juillet 2012 1. Tandis que dans les hautes sphères du pouvoir on donnait pour certain le triomphe du candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), Enrique Peña Nieto, ex-gouverneur de l’État de Mexico et responsable des événements d’Atenco (2006), on a vu surgir de manière inattendue un puissant mouvement étudiant, justement par rejet de ce personnage qui synthétise l’arrogance et la corruption du pouvoir.
La mèche a été allumée le 11 mai quand Peña Nieto, personnage médiatique incapable de se confronter au monde réel, assista à l’inauguration des installations de l’Université latino-américaine de Mexico, et où une foule surexcitée le coinça dans les toilettes. Aussitôt le comité central du PRI et les principales chaînes de télévision accusèrent les étudiants d’être des porros, c’est-à-dire des agitateurs professionnels [d’extrême droite. NdT]. En guise de réponse, les étudiants ont diffusé une vidéo qui a eu une grande répercussion sur les réseaux sociaux ; vidéo où on peut les voir montrant leurs cartes d’étudiants. C’est ainsi qu’est né le mouvement « Nous sommes plus de 131 » (c’est le nombre d’étudiants figurant sur la vidéo), mouvement qui s’est transformé quelques jours plus tard en « Je suis le 132e », avec l’adhésion d’étudiants des autres universités.
Depuis, le mouvement a modifié le panorama électoral en mettant sur pied des mobilisations comparables à celles des Indignés qui ont secoué le monde depuis un an et demi. Le 19 juin, le mouvement a réussi à organiser un débat sur la campagne présidentielle, auquel n’a pas assisté Peña, mais avec les trois autres candidats : Andrés Manuel López Obrador (Parti de la révolution démocratique) de centre-gauche, Josefina Vázquez Mota (Parti d’action nationale) de droite et Gabriel Quadri (Nouvelle alliance, un parti artificiel et sans perspectives). Diffusé par YouTube et non par les télévisions, le débat a été suivi par quelque 110 000 personnes, ce qui a saturé les réseaux informatiques, et a été vu dans les jours qui ont suivi par plus d’un million d’autres, provoquant un véritable séisme médiatique.
Bien que les étudiants aient poussé dans leurs ultimes retranchements tous les candidats avec des questions intelligentes et impertinentes, on ne peut nier que le candidat de centre-gauche ait été le bénéficiaire de ce débat et que sa position en soit sortie renforcée. Comme prévu, le 1er juillet au soir, les principales chaînes de télévision, les instances électorales et l’ancien président Calderón lui-même ont déclaré Peña Nieto vainqueur, alors que seulement 15 % des bulletins avaient été dépouillés, ce qui n’a fait qu’augmenter la suspicion dans la population, particulièrement chez les jeunes. Le 2 juillet, les jeunes du mouvement « Je suis le 132e » ont organisé une manifestation mobilisant plusieurs milliers de participants pour exprimer leur refus de Peña Nieto. Cela annonce la répétition du scénario de 2006, quand López Obrador gagna les élections mais que le gouvernement eut recours à la fraude pour favoriser Felipe Calderón, entraînant le pays au bord d’une crise majeure. La question est : la société mexicaine supportera-t-elle une nouvelle escroquerie ? Pile ou face, la pièce est en l’air et la réponse est dans la rue.

Claudio Albertani
Traduction Ramón Pino et Claire Lartiguet-Pino







1. Élections qui ont désigné officiellement comme vainqueur Enrique Peña Nieto (PRI), qui succède ainsi à Felipe Calderón (PAN).