Refus d’amnistie

mis en ligne le 9 mai 2013
1705ManoloProloDécidément, la surenchère réactionnaire désinhibée n’a plus de limite. Sans doute encouragée par les garanties quotidiennes apportées par la gauche au pouvoir pour préserver les intérêts de la bourgeoisie. Lorsque le Front de gauche avait annoncé son intention de déposer un projet de loi d’amnistie pour les syndicalistes, l’émoi s’était emparé du patronat, de la droite et aussi d’une partie des socialistes. Un émoi amplifié et soutenu par les journalistes aux ordres. Cette initiative de loi était qualifiée par Parisot de « signal en faveur de l’antagonisme, du conflit, un appel au cassage », par les centristes de « signal de mauvais augure à tous les manifestants professionnels ». Quant à Valls, premier flic de France, il déclarait : « On ne peut pas admettre qu’on cherche à casser l’outil de travail, à briser du mobilier urbain, qu’on s’attaque à des édifices publics. »
Une loi incitatrice à la violence, rien que ça ! Ben voyons ! Qui, des actionnaires ou des travailleurs, décide de casser les unités de production, de licencier massivement et de plonger dans la misère des régions entières avec leur population ? Qui contraint la production dans des conditions de travail dangereuses, toxiques et désastreuses ? Qui abuse du bien social et détourne des millions d’euros de cotisations sociales et d’impôts ? Qui refuse d’entendre celles et ceux qui produisent ? Tous les auteurs de ces violences ne sont jamais pénalisés et encore moins criminalisés !
Cette amnistie sociale se voulait être une condamnation de la brutalité de la politique sociale et économique conduite par Sarkozy qui avait contraint les salariés à l’action. Le projet de loi adopté au Sénat (de justesse ! 144 voix pour et 142 contre) fin février, avait pourtant été considérablement écrémé par l’Assemblée nationale et le Sénat avec, au final, une portée timide très réduite.
Jusqu’alors, les lois d’amnistie, y compris la dernière loi de 2002 proposée par Chirac, n’avaient jamais soulevé autant de cris de cochons échaudés. Et maintenant, le blocage de cette loi d’amnistie démontre qu’il est totalement illusoire d’attendre une once de justice sociale de la part d’élus parlementaires et du pouvoir présidentiel surtout s’il est incarné par un personnage se revendiquant social-démocrate plutôt que socialiste.
Et puis, il y a, hélas, une mobilisation sociale d’ampleur qui tarde à se réaliser. Qu’est cette société dans laquelle personne ne se choque qu’il soit réclamé une amnistie pour la bourgeoisie qui fraude fiscalement ? Qu’est cette population qui accepte que la classe dirigeante transforme une faillite privée en dette publique ? Qu’est cette population qui semble ignorer que ses droits au travail, aux congés et à la santé n’ont jamais été offerts mais ont été conquis de hautes luttes et de violences en 170 ans d’histoire sociale ? Une population qui préfère se mobiliser pour des réformes clientélistes (comme le mariage pour tous) satisfaisant des besoins hédonistes et consuméristes qui, bien sûr, ne coûtent rien aux capitalistes. Une population qui feint de ne pas constater l’orchestration accélérée de la régression sociale et répugne à soutenir les travailleurs qui se battent.
« On ne crache pas sur ceux qui vous ont fait élire » adresse le secrétaire général de la CGT au Président de la république. La preuve que si ! C’est même un gros glaviot. Mais qui n’étonne pas de la part d’hommes et de femmes politiques ne connaissant ni le monde du travail, ni ses violences. L’étonnement frappe les hommes et les femmes trop nombreux qui croient que la justice sociale viendrait d’un gouvernement ou d’un parlement.
Avec le projet de loi sur la flexibilité, le patronat va obtenir un permis d’appauvrir et de licencier à l’abri des recours à la justice. Avec la casse de l’inspection du travail, le patronat est assuré d’être moins soumis à des pénalités pour violation du droit du travail. Avec le choc de simplification administrative, les dirigeants d’entreprises obtiennent une incitation légale à la fraude sociale et fiscale.
Et maintenant, avec le blocage de la loi d’amnistie, le pouvoir en place adresse un signal fort au monde du travail pour lui signifier que la répression sera effective et sans appel envers celles et ceux qui se soulèveront contre le mauvais sort que le capital et ses suppôts leur infligent. Le Parti socialiste au pouvoir confirme ainsi la poursuite de la politique de criminalisation du mouvement social.
Mais rien n’est jamais gagné d’avance et, la faiblesse d’une mobilisation sociale bien réelle prendra fin un jour. L’histoire montre qu’il est des insurrections venant lentement et de façon inattendue pour rompre la résignation et la soumission à un ordre politique et économique. En attendant les beaux jours d’une émancipation sociale et économique collective, les syndicalistes et, plus particulièrement les anarchosyndicalistes, n’oublieront rien.

Jean-Marc Destruhaut
Groupe Albert-Camus