Nantes sous occupation policière

mis en ligne le 6 mars 2014
1733NantesLa manifestation était l’une des plus belles que j’ai faites. Des vrais gens vivants, avec beaucoup d’énergie et de joie d’être là. De la musique, des banderoles et pancartes très « personnelles », des danses, chansons, déguisements (les masques de tritons étaient superbes) et même une cabane dans les arbres !
Nous sommes arrivés fatigués après un voyage dans un autocar pas vraiment ordinaire depuis Toulouse. Après avoir pris un petit-déjeuner on est allé visiter le marché du centre-ville, avec nos pancartes qui indiquaient d’où nous venions. Un accueil très sympathique de beaucoup de gens, ce qui nous a tout de suite confirmé dans notre conviction que ce voyage en valait la peine.
Puis, dans la rue, on tombe sur l’arrivée de plusieurs dizaines de tracteurs, remplis d’individus souriants et plus ou moins déguisés. On s’est mis sur le trottoir en brandissant nos pancartes et, là aussi, nous avons senti que c’était important d’être là. D’ailleurs, cela n’a pas cessé tout au long de notre périple : des « merci » chaleureux de dizaines de personnes touchées que nous soyons venus de si loin. Beaucoup nous ont dit qu’ils nous rendraient la pareille, au cas où… Et nous en avons profité, bien sûr, pour leur parler de ce qui nous inquiète le plus : la menace toujours présente de l’exploitation des gaz de schiste, l’hallucinant projet du « Las Vegas » gardois, les « Golfs » de Saint-Hilaire…
Nous avons fait une grande partie de la manif derrière la banderole des Montpelliérains « Gardarem la Terra ». Tout au long du cortège, nous avons eu des contacts avec des gens qui ont eux-mêmes des problèmes dans leur région, on en reparlera.
Concernant les « incidents », ils étaient déjà prévisibles étant donné la gigantesque ampleur du déploiement policier, la disproportion des moyens utilisés par les forces dites de « l’ordre » et l’interdiction arbitraire d’emprunter un lieu qui avait été jusque-là un passage habituel des manifestations à Nantes.
Le plus impressionnant fut sans doute l’incendie d’appareils de forage situés sur une place. Mais il faut noter surtout la tentative de plomber l’ambiance par le déploiement de gendarmes mobiles, puissamment harnachés, qui interdisaient l’accès au centre. Dans le ciel, un hélicoptère de la police qui survolait le cortège en permanence, tel une menace latente, ajoutait à un sentiment d’insécurité. À la fin, le bruit de ce bourdon métallique se fit encore plus gênant, au point de rendre très difficile l’audition des prises de parole, là où stationnaient les 500 tracteurs, au terme du trajet.
Au cours de celui-ci, nous avons pu voir la devanture d’un siège de Vinci totalement dévastée, ce qui, je crains de devoir le reconnaître, m’a plutôt mis en joie. Mais nous n’avons pas assisté aux incidents ultérieurs. Il faut dire que la fatigue de la nuit sans sommeil et de la marche commençait à devenir pesante. À la fin de la manifestation, nous nous sommes réfugiés dans un café, histoire de récupérer. Et c’est en sortant que l’on a vu l’ampleur des dégâts, si l’on peut dire. Car loin d’être « dévasté », comme on l’a entendu dire ensuite sur France Inter, une partie du centre avait en effet subi quelques modifications dont on ne peut pas vraiment dire, à mon sens, qu’elles le desservaient. Ces modifications apportées au décor urbain étaient d’ailleurs très ciblées. Ainsi, d’affreuses baraques de métal avaient été transformées en braseros et laissaient échapper flammes et fumée, évoquant irrésistiblement les tableaux de Turner. Quelques façades de banques et d’agence de voyages étaient détruites, ce qui, nonobstant les analyses politiques que l’on pourra faire des conséquences plus ou moins fâcheuses de ce genre d’action, n’est pas non plus un spectacle spécialement désagréable à regarder.
Parfois, un trait d’humour taggé sur ce qui restait de vitrine venait souligner que cette réponse sinon véritablement citoyenne, du moins raisonnablement humaine, à l’agression à la fois morale et esthétique que nous subissons sans broncher de façon quotidienne dans les centres de nos villes, n’était qu’une manière de prendre au mot l’incitation à venir fréquenter ce genre d’endroit. Ainsi, sur la vitrine d’une agence de voyage se côtoyaient ces deux inscriptions : l’officielle prétendant de façon faussement amicale et pompeuse : « Bienvenue chez nous ! », et celle, sobre et plus sincère, des visiteurs d’un soir, se contentant d’un laconique : « Nous sommes passés. » Mais, enfin, lorsque tant de façades affichent avec autant de vulgarité une passion si violente pour l’argent et la frime, leurs propriétaires ne prennent-ils pas le risque que l’on vienne en effet, un beau jour, ayant perdu toute patience, leur dire notre irritation ?
Bref, nous avons déduit de toutes ces observations qu’il y avait eu des « casseurs ». Mais que celles et ceux qui n’ont jamais eu envie de lancer dans ces fallacieuses façades vitrées le moindre pavé leur jettent la première grenade assourdissante…
Enfin, parcourant les rues de la ville pour regagner notre surprenant moyen de locomotion, nous avons dû respirer, avec les habitants de cette cité livrée aux caprices des escadrons de gendarmes, un air totalement pollué par les gaz lacrymogènes, lesquels furent répandus avec une absence irresponsable de sens de la mesure.
Manifestement, tout avait été fait pour créer des conditions propres à exciter la juste colère des manifestants et, en soumettant tout le centre à une occupation policière digne de Kiev, à susciter dans la population des sentiments d’exaspération vis-à-vis de ceux-ci.
Mais de ce que j’ai vu et ressenti, je ne crois pas que cette dernière stratégie ait eu les résultats escomptés. Certes, les médias aux ordres ont mis en avant les « dégâts » provoqués par les « casseurs », et de ce point de vue, ces actions que l’on pourrait tout aussi bien considérer comme relevant de la salubrité publique pourraient nuire à la popularité du mouvement. Mais il y avait tant d’énergie et de conviction qui rayonnaient de ce défilé que ce qui restera sera la joie d’avoir été réunis pour une si belle cause, et cette joie est communicative…

Jyhel
Collectif NDDL de Nîmes