Gitans, Noirs et Arabes : autres cibles sur mesure pour intégristes

mis en ligne le 17 avril 2014
Des chiffres inquiétants

Après la chasse aux sorcières, aux Juifs et sodomites, premières cibles des intégristes évoquées dans Le Monde libertaire numéro 1737, la rédaction a décidé de procéder sans hiérarchie aucune dans ce classement à l’évocation des autres types de populations stigmatisées tout au long de l’histoire occidentale, comme les Roms, les Noirs et les Arabes. En effet, selon le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), « les manifestations racistes n’ont pas baissé, c’est leur mode d’expression qui a changé : nous sommes passés des ratonades à un racisme culturel ». Les principales populations touchées par ce racisme banalisé sont les Roms, les Arabes musulmans et les Noirs d’Afrique. Les Roms ont la pire image des trois catégories, puisque 85 % des personnes interrogées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) citent spontanément à leur évocation « l’exploitation des enfants par les Roms migrants et leurs revenus tirés essentiellement des vols et des trafics ». L’islam est, pour les Français interrogés, la religion la plus négativement connotée, selon le rapport. La grande surprise est que la communauté juive est devenue aujourd’hui la mieux tolérée en France. Bien que les clichés du rapport des Juifs à l’argent demeurent bien ancrés. Très préoccupant : 9 % des Français se disent ouvertement « plutôt racistes », ce qui n’eût pas été concevable dans les années 1980, et 26 % , « un peu racistes ». On aimerait savoir ce que ces derniers entendent exactement par « un peu » !

Les origines du Gitan, éternel ennemi public numéro 1

Le terme de « Rom » a été adopté par l’Union romani internationale (IRU) lors du premier Congrès international des Roms à Paris en 2002. De fait, beaucoup de Roms se désignent aujourd’hui comme « rom » pour les hommes, « romni » pour les femmes, soit « voyageurs », Gitans ou Tsiganes par opposition aux gadjé ou non-Roms. Bien que la transmission soit non écrite, de nombreuses légendes circulent sur l’origine des Roms. On les a dits tour à tour descendants de Caïn, des Atlantes, d’une des tribus perdues d’Israël, des Égyptiens de l’époque pharaonique, ou encore d’anciennes tribus celtes du temps des druides. Bref, tout et n’importe quoi. D’un point de vue historique reconnu, les études linguistiques envisagent, vers la fin du XVIIIe siècle, des origines indiennes aux Roms, hypothèse recoupée par un récit historico-légendaire datant du milieu du Xe siècle, la Chronique persane de Hamza d’Ispahan, qui fut reproduite et embellie au Xe par le poète Ferdowsi. Ils devaient rejoindre le roi de Perse, mais se divisèrent et s’éparpillèrent autour du monde, pour des raisons inconnues. C’est peut-être ce flou artistique qui leur fera connaître tout au long de l’histoire la dispersion, l’esclavage, voire la déportation et l’extermination.

Les kilomètres à pied, ça use les souliers…

Selon les dernières théories de linguistique, ils auraient fui l’Inde du Nord autour de l’an mille parce que, pour leur majorité bouchers, équarrisseurs, fossoyeurs, éboueurs, chiffonniers ou saltimbanques, ils exerçaient ces métiers considérés religieusement impurs et n’avaient pas le droit de se sédentariser. Passant par le plateau iranien et l’Asie centrale, ils se mettent au service des Mongols puis, au fil de leur migration, ils parviennent en Europe. Au XIVe siècle, les Roms, vassaux des Tatars, atteignent les Balkans et au XVIe siècle, l’Écosse et la Suède. Quelques Roms migrent vers le sud. En 1425 ils traversent les Pyrénées. Se sont-ils arrêtés là ou ont-ils continué en Afrique du Nord ? Pas de traces écrites. À leur arrivée en Europe occidentale, ils sont plutôt bien accueillis et obtiennent des protections leur permettant de ne pas être inquiétés par l’Inquisition, à la différence des Juifs, des sorcières et des sodomites. Ils adoptent l’apparence de la religion officielle, obtenant ainsi la protection du pape.

Le début de la répression

C’est à partir du XVe siècle, après les ravages causés par la peste noire, que la situation se renverse pour les tribus nomades et que les villes leur ferment leurs portes. De plus, ils sont accusés de tous les maux dont souffre la cité et sont accusés de vol de poules, de chevaux et, bien sûr, d’enfants, d’où la naissance des récits sur ce thème. À la fin du XVe siècle, les décrets les concernant vont de l’expulsion pure et simple à l’exigence de sédentarisation. Les récalcitrants sont emprisonnés, mutilés, envoyés aux galères, dans les colonies ou exécutés. En France, dès 1666, Louis XIV décrète que tous les Bohémiens de sexe masculin doivent être arrêtés et envoyés aux galères sans procès. Puis l’ordonnance du 11 juillet 1682 les condamne aux galères à perpétuité, leurs femmes sont rasées et leurs enfants enfermés dans des hospices. Les philosophes du siècle des Lumières ne seront pas tendres avec les Bohémiens. Voltaire voit en eux « une espèce de vagabonds déguisés sous des habits grossiers, barbouillant leur visage et leur corps. Ils rôdent çà et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure et de guérir les maladies, font des dupes, volent et pillent dans les campagnes ». Ce cher Voltaire ! Durant les XVIIIe et XIXe siècles, l’Europe « éclairée » alternera entre coercition et recherche de solutions « humaines » pour les sédentariser. La révolution et le romantisme leur prêtent alors une image plus positive. En Hongrie, ils se voient même attribuer des terres et des bêtes qu’ils revendent aussitôt à leurs voisins pour reprendre la route… Mais il existe des exceptions puisqu’une partie de la population nomade se sédentarise à cette époque, notamment dans les pays de l’Europe centrale et orientale. En France au XIXe siècle, on compte dans le nord des Vosges des familles manouches qui habitent des maisons dans les villages parfois depuis plusieurs générations, tout en maintenant leur spécificité culturelle. Leurs descendants reprendront la route vers d’autres régions françaises, espagnoles, voire traverseront l’Atlantique. L’immigration rom aux États-Unis commence avec la colonisation des Espagnols quand les Roms sont embarqués comme esclaves. Puis le début du XXe siècle amène une importante vague d’émigration de Roms récemment émancipés de Russie, de Roumanie et de Hongrie.

De la répression au faciès…

En 1912, la France vote une loi sur l’exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades et oblige les Roms à se munir d’un carnet anthropométrique d’identité qui doit être tamponné à chaque déplacement. Celui-ci sera également imposé aux voleurs, comme en a témoigné Jean Genet dans son Journal. La Suisse et la Suède instaurent une législation qui vise à détruire la culture tzigane. En Suisse, la fondation Pro-Juventute va jusqu’à enlever de force les enfants des Yéniches (Tsiganes de Suisse) pour les placer et les rééduquer dans des familles d’accueil sédentaires, des orphelinats, voire des asiles psychiatriques où ils sont classés sous l’appellation de « dégénérés ». Ils sont stérilisés pour « limiter leur reproduction », sous un prétexte humanitaire !

… à l’internement en France et au génocide nazi

Dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, avant l’occupation allemande, le 16 septembre 1939, le préfet d’Indre-et-Loire déclare les nomades « indésirables » dans le département. Dans d’autres, la mesure est étendue aux forains. Un décret-loi du 6 avril 1940 prohibe la circulation des nomades sur l’ensemble du territoire métropolitain pour la durée de la guerre et impose l’assignation à résidence. Sous le régime de Vichy, deux camps, celui de Lannemezan et celui de Saliers, leur sont exclusivement consacrés. En Allemagne, c’est dès son arrivée au pouvoir en 1933 que le parti national-socialiste considère les Zigeuner race inférieure, asociale et qu’ils sont parqués dans des réserves, envoyés en Pologne, internés dans des camps de concentration sur ordre de Himmler, puis éliminés dans des camps d’extermination à Auschwitz, à Jasenovac, à Buchenwald. Des Tsiganes belges et français les y rejoignent. On estime que le génocide des Tziganes d’Europe a fait entre 50 000 et 80 000 victimes. Ils furent certainement plus à être gazés, mais il est impossible d’en connaître le nombre exact, puisqu’ils n’étaient pas considérés comme des « êtres humains » et que les nazis s’arrangèrent pour faire disparaître les traces. Le terme Tzigane rappelant trop les massacres nazis ne sera remplacé par le terme Rom qu’en 1971 par le Comité international tsigane réuni à Londres.

Les Roms aujourd’hui

Les Roms sont aujourd’hui la plus grande minorité ethnique d’Europe avec 10 à 12 millions de personnes. Ils continuent à vivre selon le mode de vie nomade, mis à part les communautés sédentarisées en Europe orientale où ils subissent les ravages du chômage. Dans les pays de l’Europe occidentale, ils sont victimes d’un racisme de plus en plus violent s’exprimant parfois au grand jour, comme en France, en Grèce et, hélas, un peu partout dans les pays slaves. Tout dernièrement, place de la République à Paris, un riverain a déversé un mélange d’eau de Javel et de savon noir autour de leurs matelas. Il n’a été condamné qu’à trois mois de prison avec sursis et 1 500 € d’amende… Au sein de l’Union européenne, contrairement aux autres citoyens, on leur impose un titre de séjour et une autorisation de travail… En France, ne remplissant pas ces obligations, ils sont expulsables. On comptait environ 2 000 expulsions annuelles en 2003, ce nombre atteint 9 000 aujourd’hui. Il s’agit d’un jeu de dupes car, considérés comme retours volontaires (majoritairement en Bulgarie et en Roumanie), ces expulsions exécutées par des CRS musclés et violents, de préférence au petit jour, sont assorties de primes de 300 € par adulte, 100 par enfant et la prise en charge du billet d’avion. Mais bien évidemment la plupart d’entre eux reviennent clandestinement, ce qui frise le ridicule, mais arrange bien les chiffres du ministère de l’Intérieur… Selon une enquête des Enfants du Canal, réalisée dans sept bidonvilles d’Ile-de-France auprès d’une centaine d’habitants, « seuls 7,6 % des personnes interrogées occupent un emploi déclaré » alors que les ressortissants roumains et bulgares ont accès au marché de l’emploi français depuis janvier 2014. « Plus de 98 % d’entre eux disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté », dénonce l’association, qui rappelle que cette population n’a pas accès « aux services élémentaires que sont l’eau ou l’électricité ». Au premier trimestre 2014 , les autorités ont démantelé 27 bidonvilles qui abritaient près de 3 000 personnes, selon un recensement de la LDH. Au total, 165 bidonvilles ont été démantelés en 2013, affectant 20 000 personnes, soit deux fois plus qu’en 2012. Près de 17 000 Roms vivent dans environ 400 campements illicites…

Ces « bons nègres » qui rapportaient gros

Si la traite d’esclaves a concerné d’autres populations depuis la Grèce jusqu’à la fin du Moyen Âge, la traite des Noirs, ou « traite des nègres » a concerné des millions d’Africains victimes du commerce d’esclaves à partir du début du XVe siècle. Les négriers sont principalement des officiers supérieurs, la plupart du temps très proches de la royauté, ou de grands financiers. Ils disposent d’un pouvoir considérable qui explique le développement très rapide de la traite. Ils étaient aidés par certains chefs africains des zones côtières. La traite débuta en 1441 par la déportation de captifs africains vers la péninsule Ibérique pendant plusieurs décennies. La première vente de captifs noirs razziés des côtes atlantiques a eu lieu en 1444, dans la ville portugaise de Lagos. C’est au siècle suivant que les Portugais convoyèrent les esclaves vers les Caraïbes et l’Amérique du Sud. Les Anglais, les Français et les Hollandais s’y joignent dans les années 1640. Déjà en 1647, la Barbade compte 4 000 esclaves, huit fois plus qu’en 1642. Les conditions de détention des esclaves sont inhumaines : attachés par groupes, entassés dans les cales. Les historiens s’accordent à dire que leur taux de mortalité est d’environ 20 %, avec des pics à 40 %. En 1674, la Martinique compte 2 600 esclaves, ils sont 90 000 un siècle plus tard ! Nantes, Bordeaux et La Rochelle deviennent à la fin du XVIIIe siècle les capitales du commerce triangulaire français. Les bateaux sont plus grands, Saint-Domingue reçoit 20 000 captifs par an, le prix des esclaves monte encore, générant des guerres en Afrique… Dégât collatéral, si la traite atlantique n’est pas à l’origine de la traite interafricaine, elle en augmente l’intensité et entraîne davantage de guerres tribales. Son existence sert souvent de prétexte « humaniste » à la constitution des empires coloniaux français, belge, allemand, italien et anglais qui en y mettant fin par la violence des armes les transforment en tutelles coloniales.

La lente abolition de l’esclavage

Si, dès la fin du XVe siècle, la papauté condamne l’esclavage, cédant sous le poids des marchands, elle ne cherche ensuite qu’à améliorer le sort de leurs victimes… Courageux, mais pas téméraires ! Il faudra attendre la révolution française qui en février 1794 abolit l’esclavage, mais Napoléon le rétablit en 1802. L’abolition ne sera définitive qu’après la révolution de 1848. Si la traite atlantique a disparu, une traite persiste entre l’île de Zanzibar et le monde arabe. Alexandrie est de nouveau, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’un des principaux marchés à esclaves. On estime à 1,65 million de personnes le nombre des victimes de la traite transsaharienne entre 1800 et 1880. Cependant, aux États-Unis comme en Afrique du Sud, les conséquences de l’esclavage feront perdurer la politique d’apartheid jusqu’au milieu du XXIe siècle, avec son cortège de racisme, d’exclusions et de lynchages.

Cet Arabe « qui fait peur »

Il serait trop long de revenir sur les ravages engendrés par les multiples croisades organisées par les fanatiques de la religion catholique allant des expéditions en Terre sainte, bataille de Lépante en incluant la Reconquista espagnole et toutes les guerres contre les « infidèles » et les hérétiques récompensées par le pape par des indulgences. À l’ère moderne, bien après les ravages de la colonisation de l’Algérie par la France, la vague d’immigration maghrébine dans les années 1970 ravive le racisme et l’on compte plus de 200 Maghrébins assassinés et des centaines d’agressions entre 1971 et 1991, les fameuses « ratonnades », le plus souvent organisées par des groupes d’extrême droite. Il convient également de ne surtout pas passer sous silence le 1er mai 1995 où, durant le défilé du FN, trois hommes au crâne rasé descendent rapidement vers les quais et poussent Brahim Bouarram, 29 ans, dans l’eau. Ne sachant pas nager, il meurt noyé. Puis, en 2001, c’est l’attentat du World Trade Center qui fait se propager dans les médias l’idée d’un islamisme radical s’appliquant à l’ensemble des Arabes. C’est à cette période qu’on voit apparaître le terme « islamophobie ». Un terme fourre-tout comme le souligne un rapport de la CNCDH : « Certains courants intégristes tentent d’obtenir la requalification du racisme anti-maghrébin en “ islamophobie ” pour mieux tirer bénéfice des frustrations, jouer sur les replis identitaires religieux de la population d’origine maghrébine et faire du religieux le critère absolu de différenciation, de partage. » La commission recommande donc de manier ce terme avec la plus grande précaution. L’islamophobie a tendance à cacher un vieux fond de racisme anti-arabe et anti-maghrébin repeint sous les couleurs d’une menace internationale, comme ce fut le cas pour les Juifs. Souvenons-nous des années 1930, lorsqu’un Juif n’était pas considéré tout à fait comme Français… C’est pour éviter ce type de distinction et de dérives que depuis toujours les anarchistes ne réclament ni dieux, ni maîtres, ni nations…