Festival mondial des résistances : apprend à écouter pour construire ensemble

mis en ligne le 15 janvier 2015
1761MexiqueRevolutionLe voyage jusqu’à la communauté de Monclova, dans l’État de Campeche, a été long et difficile. Mais, finalement, nous arrivons à bon port, le dimanche 28 décembre 2014, à 20 heures, après plus de trente-deux heures de bus (au lieu de seize), une série de pannes, de longues attentes et de changements de véhicules. À notre arrivée, comme pour nous réveiller de cet interminable voyage sur les routes du Mexique, une pluie violente s’abat sur la communauté, et nous devons nous réfugier, précipitamment, sous une vaste structure de tôle et de béton envahie par les dizaines de duvets et de sacs à dos de ceux qui, déjà arrivés, s’apprêtent à dormir. Du fait de ces retards conséquents, les passagers des bus 6 et 7 – dont je fais partie – ont raté la compartición du Congrès national indigène (CNI), elle-même perturbée par le climat capricieux qui règne ce jour-là dans cet endroit d’ordinaire baigné de soleil. Il m’est donc impossible d’en dire quoi que ce soit, même si j’imagine qu’elle fut, dans l’ensemble, similaire à celle de Xochicuautla, les délégués du CNI participant à toute la caravane du Festival.
La communauté de Monclova, rattachée à la municipalité de Candelaria, n’est pas une communauté autonome, mais elle n’en reste pas moins un îlot de résistance. Les Mayas qui y vivent luttent depuis plusieurs années contre les tarifs exorbitants de l’électricité et la petite communauté se trouve être aujourd’hui l’un des hauts lieux du piratage des lignes électriques du pays. Dans ce combat social qui leur a fait tisser des liens avec les autres luttes indigènes du Mexique, les rebelles de Monclova ont connu la répression, la violence et comptent plusieurs prisonniers politiques. Ce n’est donc pas n’importe où que nous posons, à notre tour, nos sacs et nos duvets pour participer à cette seconde session de comparticiónes de ce premier Festival mondial des résistances et des rébellions contre le capitalisme.
Le lendemain de notre arrivée, lundi 29 décembre 2014, nous assistons aux comparticiónes des invités du CNI, de la Sexta nationale et de la Sexta internationale. En raison de la pluie, qui refuse de s’arrêter, les échanges se déroulent sous le chapiteau d’un cirque, installé ici pour quelques jours et dont les organisateurs ont gentiment accepté d’héberger nos discussions. Les interventions des invités du CNI et de la Sexta nationale sont globalement semblables, parfois identiques, à celles tenues à Xochicuautla ; la terre, l’autonomie politique et sociale, la répression, l’affirmation de la nécessaire marginalisation des partis politiques ont été parmi les thèmes les plus évoqués – et que j’ai davantage relatés dans la correspondance précédente. En revanche, en ce qui concerne les prises de parole de la Sexta internationale, la différence par rapport à la première compartición est sensible : cette fois, les interventions sont nombreuses – plus d’une vingtaine – et la diversité géographique est réelle. La France et l’Italie sont les pays les plus représentés, suivis du Brésil et des États-Unis. La teneur des interventions reste néanmoins sensiblement la même : la lutte contre les grands projets inutiles, l’affolante montée de l’extrême droite, la destruction des droits des travailleurs, les occupations de terres et de logements, la corruption des appareils étatiques, la violence répressive (en cela l’intervention de camarades en provenance de Ferguson est édifiante), la nécessité du développement des réseaux de contre-information, etc. La colonisation israélienne et la résistance que lui opposent les Palestiniens ont également été évoquées, de même que la dure réalité du quotidien des Philippins, achevant de donner à la compartición de Monclova une dimension réellement internationale. De voir ainsi des connexions s’établir entre les luttes d’endroits si différents, si éloignés les uns des autres, ancrées dans des réalités si diverses, est particulièrement enthousiasmant. Et donne tout son sens à l’existence de la Sexta internationale.
Loin d’être rébarbatives ou ennuyeuses, les ressemblances flagrantes qui existent entre les luttes et qui se manifestent dans les prises de parole ne font que renforcer l’expression d’un besoin urgent de convergence sociale et politique. Une convergence à construire à partir de ces similitudes, mais aussi, et surtout, à partir de nos différences : notre diversité culturelle, géographique et politique doit pouvoir être cette force capable de sortir nos résistances et nos rébellions du champ restreint dans lequel elles s’inscrivent aujourd’hui, et ce pour leur permettre d’embrasser un mouvement mondial et cohérent d’insurrection contre le capitalisme et les États. Néanmoins, soyons honnêtes, si ces échanges sont réellement stimulants, il est tout de même difficile de ne pas sortir épuisé de ces comparticiónes, surtout pour ceux dont le castillan n’est pas la langue maternelle. Et quand les interventions se suivent et se ressemblent, on ne peut s’empêcher de sentir parfois pointer en soi un petit agacement. Mais, au final, c’est un effort et un exercice intéressants. Les zapatistes affirment depuis longtemps déjà qu’il est impératif d’apprendre à écouter, sinon la construction du « nous », indispensable à l’émergence d’une lutte globale et collective, est inenvisageable. Pour les peuples indigènes du Mexique, la parole est sacrée, car centrale dans l’organisation de la vie sociale. Ne pas faire l’effort de l’écouter, de l’accueillir, même lorsqu’elle est répétitive, c’est, quelque part, mettre à mal un fonctionnement collectif sain, basé sur la discussion, l’échange entre tous et toutes.
La nuit tombée, la compartición de Monclova se clôt sur une nouvelle prise de parole de la délégation des parents des disparus d’Ayotzinapa, qui se voient remettre un cadeau, un tableau représentant la Vierge sur lequel est écrit : « Même la Mère dit : y en a assez ! » Après cette intervention, toujours aussi émouvante et terrible, place à la fête, sans laquelle, ici, au Mexique, malgré un quotidien souvent effroyable, on ne conçoit pas la lutte. Un aspect qui n’aurait pas manqué de plaire à l’anarchiste russe Emma Goldman, qui écrivait : « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas être dans votre révolution. »