Montreuil - Bagnolet : la lutte du Collectif des Baras

mis en ligne le 16 avril 2015
1772BarasÀ l'heure où les bien-pensants de tous bords et les « Charlies » de la 25e heure vont se recueillir sur le cercueil de Tignous à Montreuil, il est difficile de laisser de côté cette énorme pompe à fric que représente le « xénophobie business » dont se goinfrent tous les décideurs politiques sans exception, leurs administrations, scolaires, policières, judiciaires, et religieuses, car celles-ci ne font pas exception pour profiter de la manne récupérée sur la misère des plus pauvres. Bien sûr, il est impossible de faire l'impasse sur tous les patrons des multinationales qui n'ont jamais été aussi insatiables et riches à milliards, en imposant leur ploutocratie aux États ainsi asservis.
Quand on se souvient de la manière dont le Collectif des Baras, constitué de 350 immigrés, échoués à Montreuil dans des conditions d'épuisement, de misère, et d'inhumanité qu'on ne saurait imposer même aux animaux élevés en batterie, la révolte exprimée par Tignous contre les dominants, et au passage contre le maire Bessac, par ses traits de crayon rageurs contre l'immonde violence exercée par les barbares de la Ville, cette révolte devient la nôtre. Ceux qui sont présents sur le terrain contre cette locale et internationale barbarie, supportent difficilement d'entendre parler des « Charlies », de ceux qui n'utilisent jamais leur liberté d'expression de crainte de perdre leur emploi, de se faire serrer par la police sans foi ni loi, ou encore de déplaire aux dominants. Ils ont choisi le confort douillet des idées fabriquées par les décideurs qui leur dictent quand ils sont autorisés à désobéir !
Or, que deviennent ces 350 Africains escortés de familles Roms toujours persécutées comme à la belle époque nazie, par bien des « Charlies » de la 25e heure, répondant au doux nom de « collabos » !
Avant les années 1960, les amitiés anciennes entre le Maire Marcel Dufriche (rien à voir avec son petit-fils Ibrahim Dufriche qui a oublié son histoire familiale afin d'asseoir sa gloire et sa médiocre renommée aux côtés de Patrice Bessac, ami prétendu de Tignous !) et Modibo Keïta, premier président du jeune Mali, avaient fait de Montreuil, alors ville ouvrière en manque de bras, une cité d'accueil des travailleurs, où se côtoyaient pour les efforts, la peine et les fêtes, les immigrés d'Europe du sud, de Chine, d'Afrique subsaharienne sans oublier les Tziganes.

Montreuil, ville d'inhospitalité
Aujourd'hui, Montreuil, ville d'inhospitalité, refuse toute réquisition de logements aux sans-papiers pourtant partis au chagrin chaque matin et à tous ses salauds de pauvres qui la souillent de leur chômage et de leur inutilité. Pourtant les archives des années 1960 de la mairie de Montreuil, révèlent des listes de lieux prévus à réquisitions mises en place par le maire de l'époque, Marcel Dufriche, qui avait l'audace de faire appliquer la loi et de fournir des abris décents même en faveur de ceux que le capitalisme avait exclus momentanément des usines ou de travaux considérés comme inutiles.
Or, le Collectif des Baras, constitué de trois vagues d'immigrés naufragés sur les trottoirs proches du célèbre foyer construit dans la rue Bara de Montreuil, est régulièrement expulsé des habitats qu'il occupe pour surseoir à l'absence de toute politique de logements sociaux et partant à l'immigration. Dans ses actions téméraires, il bénéficie du soutien indéfectible de militants aussi remarquables et têtus que lui. Depuis plus de deux années, les Africains, les Roms accompagnés de leurs soutiens refusent l'errance et l'éparpillement tant cultivés par les mairies de Montreuil et de Bagnolet qui s'entendent dans l'hypocrite maniement de la moulinette à exclure, un talent fortement maîtrisé par ces décideurs de gôche, PS et Front de gôche composé de communistes particulièrement hostiles à l'arrivée des immigrés sur toute la petite ceinture parisienne !
Face à cette inertie politique qui ne pratique que l'exclusion et s'étonne que celle-ci lui pète à la tronche. Les Africains et les Roms forcent les lieux inoccupés comme par exemple cet avant dernier bâtiment limitrophe de Montreuil, situé au 124 de l'avenue Galliéni à Bagnolet, abandonné dans l'indifférence générale par une multinationale Emerson, qui, après quatre ans d'exploitation pas suffisamment juteuse, a préféré délocaliser ses activités dans les pays de l'Est, réclamant par voie judiciaire, au moment de l'occupation, la restitution d'un local dont elle est incapable de présenter ses titres de propriétés.
Avec l'appui de ses soutiens, le Collectif des Baras investit l'immeuble. Il se loge de manière rationnelle avec le peu qu'il rassemble de la part des riverains et autres Montreuillois révoltés de leur situation inhumaine. Il construit un habitat spécial pour les familles Roms de façon à protéger leur intimité. Il s'organise en autogestion grâce à son savoir-faire en matière de pratiques collectives, solidaires, allant bien au-delà même de ses usages habituels en accueillant ces quatre familles Roms, tout à fait conscientes de vivre autrement. À noter que grâce à cette solidarité vécue quotidiennement la lutte commune et acharnée de plusieurs mois, a permis la scolarisation des enfants, qui ont retrouvé une famille certes élargie mais terriblement efficace, car au moment où plus de 200 enfants, « mineurs étrangers isolés », Guinéens, Maliens, Ivoiriens, Pakistanais, Afghans, Syriens (eh oui... !) vivent sur les trottoirs du boulevard de la Villette dans le Xe arrondissement de Paris, à quelques pas de la PAOMIE qui leur refuse toute scolarisation en leur infligeant de survivre comme ils peuvent dans le plus total dénuement, on mesure les efforts, la détermination et l'exemplarité de tous ces hommes devenus militants et de quelques femmes formidablement militantes dont les mémoires retiennent les prénoms qu'elles portent, sans cette uniformité de bon aloi. Pas besoin de « Charlie » pour concrétiser leur usage effectif de leur liberté d'expression et surtout d'actions, qu'elles assument sans compter !
À l'intérieur d'Emerson, comme sous le toit inhospitalier mais tellement « moderne » et laid de la mairie de Bagnolet, minable reproduction du musée Guggenheim de Bilbao, où ils ont dû improviser un camping durant une semaine après leur expulsion fomentée par les gôches, les membres du Collectif, même s'ils n'en ont guère conscience, par nécessité pour assurer en urgence leur sauvegarde, mais aussi par une sorte d'unité familiale élargie, produisent entre tous ses participants des liens quotidiens tels que dans leur unité fabriquée, ils favorisent pour chacun la réalisation rapide de besoins matériels et des réponses immédiates à des demandes sociales. Petit à petit, se crée indifféremment dehors comme dedans une sorte de Ka d'un village de brousse « sophistiqué » du cercle de Yélimané au Mali par exemple, jumelé à Montreuil depuis 1985.
Même lorsque la mosquée proche de la Mairie, même quand la mairie elle-même leur ferme résolument la porte au nez, ne serait-ce que pour un hébergement d'un soir, une organisation se met immédiatement en place pour assurer la protection même sommaire du groupe jamais lâché par ses soutiens, bien au contraire !
Entrer à l'intérieur, rentrer aussi à l'extérieur, même sous l'échangeur de Bagnolet où les autorités les ont jetés, chacun peut mettre le pied dans un espace défini du foyer, de la demeure volatile autour desquels se réunit la famille au sens large et qui va du village au cercle, c'est-à-dire bien au-delà du département, sinon du pays. Là au cœur de la vie reconstituée, on vous sert immanquablement le thé de la chaleur, de l'amitié, de la fraternité et de la gaieté qui refait surface, même dans les pires situations de violence, d'irrespect, voire d'indifférence.

La solidarité, seul moyen de défense
Selon une approche sociologique coloniale de Shelby, cité dans le livre de Pap Ndiaye, à propos du sens de la « solidarité noire » qu'il nomme « conscience noire pragmatique », il existerait un groupe, celui des Noirs, qui souffrant de préjudices identiques, pouvant être réduits par une action collective, ne supposerait pas une existence de communauté ethnoculturelle mais simplement trouverait son sens grâce à une expérience sociale commune de discriminations en raison de la carnation de la peau. La solidarité donc se construirait sur la base d'un intérêt commun plutôt que d'une identification commune. Or, les soutiens, issus de pays différents, Italie, Marco, Espagne, France, par leur engagement à l'égard du collectif des Baras, démontrent que la solidarité n'est plus seulement une exclusivité noire, mais que la lutte contre l'injustice sociale, la résistance contre les discriminations, les exclusions, les violences de tous ordres de l'État suscitent parmi les militants qui exercent sans tergiverser leur « liberté d'expression » et leur liberté de résistance aux injustices, n'ont pas d'autre recours que cette urgence difficile parfois de se fédérer, via l'autogestion telle que l'exercent les Baras, contre l'oppression générale qui semble provoquer un basculement des ignorants aux œillères confortables vers tous les fascismes, politiques comme religieux.
Assurément, la solidarité ne se décrète pas d'un claquement de doigts, comme cette autogestion pratiquée d'emblée pour assurer sa défense et fonctionner au mieux dans l'intérêt du groupe, elle se construit et s'apprivoise dans les situations les plus simples au plus complexes, sur un temps qu'il faut restreindre parce que la répression menace.
Sous les yeux des soutiens, rompus à la langue de bois des politiques des mairies de Montreuil et Bagnolet, autonomes, politisés dans le sens où il n'y a pas à tirer une quelconque couverture à soi pour une quelconque reconnaissance, le Collectif peu à peu se libère de l'idée du leader charismatique, doté d'entregent, mais qui lui confisque son droit à décider ensemble. Le leader a vite été éliminé en dépit de l'opposition de quelques-uns encore dubitatifs quant à leur propre capacité à se prendre en charge eux-mêmes. Non sans quelques oppositions qui ont nécessité des explications, des échanges pas toujours pédagogiques, mais où les coups de poings ont été sanctionnés, le Collectif a élu ses représentants qui désormais sont chargés de répercuter la parole du groupe, quitte à les changer s'ils se retrouvent en déviation par rapport aux choix définis par le vote de tous les militants du Collectif.
Sont-ils écoutés par Ibrahim Dufriche, le petit-fils de Marcel, un homme de cœur sans doute qui avait adopté son père ? Les jeunes délégués ont appris à intervenir dans les assemblées du conseil municipal de Montreuil, où, bien sûr, leurs paroles n'ont pas été retenues. Pour autant, leur combat n'a jamais cessé depuis qu'ils ont quitté leur pays dans des conditions effroyables pour arriver cette fois au local de Pôle emploi de Bagnolet, vidé de ses chômeurs. Les familles Roms, quant à elles, après l'expulsion du bâtiment Emerson, ont obtenu des logements sur Montreuil, jusqu'à leur prochaine exclusion.
Sans résultats à attendre de la Ville de Bagnolet ou de Montreuil, c'est exclusivement dans ces moments de réunions programmées ou improvisées que se révèle à tous l'existence d'une autogestion qui n'a rien à voir avec un supposé ordre naturel et spontané, il s'agit bien au contraire de faire siens des institutions, des informations, des règlements adéquats pour que chacun participe aux décisions, aux conseils qui le concernent individuellement mais aussi collectivement. Le contrôle se retrouve ainsi entre les mains de tous ceux qui sont présents dans le cœur de la bâtisse stable ou nomade, les décisions, le consensus, sont retenus dans l'intérêt de tous à égalité, sans hiérarchie. À cet instant, on conçoit clairement à l'échelle de cette microsociété de 350 personnes, le refus du capitalisme à la mise en œuvre d'une telle harmonie de vie entre tous, la fin de son emprise sur les esprits de tous ceux qui dans ces foyers autogérés se font confiance et savent établir les règles qui n'entravent aucunement les progrès de ceux qui évoluent en toute autonomie et respect de la liberté de tous et de chacun. Au nom d'une discipline générale, la concertation s'impose et jusqu'à l'obtention d'un consensus, les solutions les plus diverses sont trouvées et rapidement mises en pratique.
En somme, d'eux tous, nous avons beaucoup à apprendre en matière de solidarité sur le long terme et non sur cette hystérie collective décrétée un dimanche de janvier autour de ceux qui portent la responsabilité des crimes d'État, nous avons aussi à apprendre de leurs soutiens qui les ont éclairés avec patience, détermination, respect et gratuité... une notion qui aujourd'hui malheureusement ne fait guère florès dans les organisations, associations « reconnues » ou en voie de reconnaissance, diverses et sans lendemain, qui gravitent inutilement autour des mineurs isolés, recherchés le plus souvent pour une valorisation de leurs actions, sans véritablement se soucier de l'avenir de jeunes que l'Aide sociale à l'enfance maintient dans la rue pour qu'ils deviennent majeurs, s'ils ne meurent pas d'ici leurs 18 ans révolus et qui feront de bons sans papiers à harceler, à enfermer, puis à expulser pour engraisser tous les tenants de le xénophobie business et empêcher le CAC 40 de s'effondrer.
Contrairement à ce qu'Éric Dupin écrit à propos des « défricheurs » porteurs de « révolutions tranquilles » à savoir que « seule la petite bourgeoisie intellectuelle » appartient à cette mouvance alternative marginale, vecteur de changement social, l'expérience autogestionnaire portée par le Collectif des Baras de Montreuil, entre autres, prouve que les classes populaires immigrées, si elles bénéficiaient d'une audience militante plus active, plus à l'écoute, seraient capables d'apporter une transition sociale et politique pour un autre monde que le capitalisme accepte d'admettre par petites doses de la part d'un mouvement « convivialité » bourgeois rapidement absorbable et donc tolérable, mais qu'il combat sans concession et sans même chercher à le connaître s'il provient de classes populaires immigrées.
La transition autogestionnaire portée par les classes laborieuses immigrées, autrement dit par les classes dangereuses, n'ira pas sans heurts, sans ruptures, sans batailles ni contradictions. Mal connue et pourtant riche d'enseignements, elle mériterait beaucoup plus d'attention et de suivi pour qu'enfin on puisse comprendre qu'il est possible de rompre avec la vulgate naïvement « progressiste » d'un système où seule la relance de la croissance serait « la solution » pour une postmodernité humaine et heureuse.

Marie-Christine
Groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste