L'énigme cubaine
Le professeur Rama, qui était vice-président de l'Athénée de Montevideo, est parmi les créateurs d'un organisme nouveau, l'Athénée Uruguayenne (il soutient le journal La Lutte libertaire [Lucha libertaria], organe de la FAU [Fédération anarchiste uruguayenne ou Federación Anarquista Uruguaya- http://www.nodo50.org/fau/home.htm], tandis que le journal anarchiste Volonté [Voluntad] combat la dictature personnelle du chef d'État cubain !) ; comme contribution à ce débat, le docteur Rama a pris une position éditoriale très remarquée. Il a publié, dans son organe, un texte intitulé « Bilan de Cuba », que je traduis intégralement pour la clarté du débat tout en faisant, bien entendu, les plus expresses réserves sur la « réalité » et sur la « valeur » des réformes de structure attribuées au gouvernement castriste.
En face de ce tableau impressionnant de réalisations sociales, l'initiateur de la Gacetilla Austral ne se pose, semble-t-il aucune question, ce qui serait pourtant le rôle d'un organe d'information interindividuel et non-dogmatique, fondé sur le libre examen. Et cependant, que de points d'interrogation s'imposent à l'esprit, même le plus favorable en principe à la diffusion de la « bonne nouvelle » et du « miracle » cubain… Les résultats proclamés ont-ils été obtenus ? en quelle proportion ? par quelles méthodes ? au prix de quels obstacles et de quels sacrifices ? Étaient-ils désirables ou inéluctables en tant que fins, et compte tenu des moyens employés ? Les classes possédantes de type bourgeois n'ont-elles pas été remplacées à la tête du pays par une nouvelle classe disposant de moyens totalitaires, et par un parti qui met en œuvre ces méthodes et ces moyens ? Les fonctions de répression et d'exploitation ont-elles été abolies ou transférées ?… Et, si le peuple cubain est heureux, à quoi servent les 400 000 armes automatiques détenues par la nouvelle armée milicienne, avec ses conseils de guerre et ses prisons surpeuplées ? Dans quelle mesure les syndicats sont-ils autorisés à défendre les intérêts directs de leurs membres et à se développer dans le respect des minorités qu'ils comportent ? La propagande libertaire est-elle tolérée des nouveaux pouvoirs et à quelles conditions ?
Les membres du groupe Francisco Ferrer de Versailles, réunis le 15 octobre, ont examiné la question, et ont précisé leur position de la manière suivante :
« Nous ne prétendons pas, pour notre part, avoir la vérité infuse, ni juger sans appel, à distance. Mais notre expérience des révolutions du 20e siècle nous met en garde devant un programme et un bulletin de victoire qui ressemblent, à bien des égards, à ceux qu'ont lancés - avec la même orchestration de mitrailleuses et de discours - les régimes bolchéviste, national-socialiste, fasciste, franquiste, nassérien, etc. Elles nous ont enseigné la méfiance à l'égard du retournement des rôles qui font des victimes d'hier les bourreaux d'aujourd'hui, et, des prolétaires, des garde-chiourme. La parole est à ceux de nos camarades cubains qui ne se sont pas inclinés devant l'"inévitable" ! ».
André Prudommeaux