Littérature > Folgorite, parcours de Sante Ferrini, anarchiste, typographe et poète (1874-1939)
Littérature
par Toni le 2 mars 2020

Folgorite, parcours de Sante Ferrini, anarchiste, typographe et poète (1874-1939)

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=4561

de Pascal Dupuy aux A.C.L



N’en déplaise aux économistes qui prétendent nous gouverner, nos vie ne se limitent pas à produire de l’inutile et de l’éphémère. Pascal Dupuy ayant atteint l’âge de la retraite a enfin pu disposer du temps pour répondre à cette question qui le taraudait : Qui était ce mystérieux grand-père de sa compagne, qui sentait le soufre, la bombe peut-être, la honte sans doute, le mystère sûrement qui s’attache à beaucoup de ces anarchistes de la première moitié du XXème siècle, le plus souvent anonymes ou qui ne figurent pas dans les livres d’Histoire alors qu’ils l’ont écrite dans leur chair et par leurs actes.

Pascal Dupuy, d’ingénieur s’est fait historien pour partir sur les traces de Sante Ferrini, né en 1874 en Italie, mort à 65 ans dans un village du Jura en mai 1939. Il va peu à peu découvrir que ce personnage fut typographe, poète, dessinateur, auteur d’une grande quantité d’articles qu’il signait le plus souvent, quand il les signait, d’un pseudonyme « Folgorite » ou simplement, S.F.
On trouve sa signature dans au moins 18 titres de journaux différents, en grande majorité en langue italienne, publiés à Rome, Milan, Gênes, Messine, Pise, Palerme, Bologne, mais aussi New-York ou Marseille… Il y défend les idées anarchistes, critique la société, l’armée, la politique, la prison, l’armée, dresse le portrait de Robespierre, Louise Michel, Caserio, Pietro Gori, raconte ses expériences personnelles de reclus dans des geôles sordides (y en-t-il qui ne le soient pas?) où il a été envoyé, arrêté avec quarante-quatre autres anarchistes en vertu de lois d’exception pour avoir manifesté leur solidarité avec l’anarchiste Luigi Luchini qui avait poignardé d’un coup de lime l’impératrice Elizabeth d’Autriche en 1898. Il traite de l’actualité politique, syndicale, culturelle, développe ses conceptions sur l’anarchisme, l’éducation et l’école, publie de la poésie, et certaines de ses chansons font partie du répertoire anarchiste, telle « Quand l’anarchie arrivera ».
Ce typographe, poursuivi par les polices françaises et italiennes, dessinateur de talent aux styles très variés, a traversé l’Italie, la France en passant par Marseille et Saint-Etienne, s’est réfugié à Londres, où il sera mêlé bien malgré lui au scandale Rubino qui éclaboussera Malatesta, revient en France, repart pour l’Italie, revient clandestinement en France, à Saint Etienne, fuit vers Lyon, multiplie ses déplacements en France avec la police à ses trousses, professe à l’école typographique lyonnaise, retourne en Italie en 1917 où il est signalé comme faisant de la propagande pacifiste en France, en particulier dans « Il Libertario » dans lequel il publiera pas moins de quatorze articles entre 1921 et 1922 sur « les principes de l’anarchie, et une dizaine d’articles sur le thème de l’Éducation, pour la « La Scuola Moderna du Clivio » avant que les fascistes la ferment en 1922, rédige une centaine d’articles pour l’Adunata dei Refrattari, publié à New-York en italien. C’est un total de 451 articles parus entre 1897 et 1928 que notre auteur a retrouvés dans la presse anarchiste du temps.
La police fasciste italienne le signale à la France comme dangereux et réclame son extradition à laquelle il échappera grâce à une lutte opiniâtre et qu’il n’évite en fin de compte qu’en inventant de toute pièce la rocambolesque naissance d’un enfant qui sera déclaré sans avoir jamais vu le jour, d’une femme qu’il n’a plus vu depuis six ans ! Il faut dire que lui-même ne fut inscrit sur les registres de l’État-civil romain que neuf mois après sa naissance. être hors-la-loi si jeune n’est pas donné à tout le monde.

Ce fort volume de 347 pages que publie l’Atelier de Création Libertaire de Lyon, bien documenté en photos, archives policières, nombreux articles de Ferrini lui-même, ses poésies, ses témoignages, ses dessins, sort de l’ombre un de ces nombreux militants anonymes qui ont écrit l’Histoire de l’anarchisme en la vivant ; il nous permet aussi de comprendre de quoi sont faites les errances d’un migrant, d’un exilé, d’un clandestin, d’un humble qui croyait à ses idées au point d’y consacrer son existence, sans gloriole.
Tout est authentique, et pourtant ce livre se lit comme un roman d’aventures, admirablement écrit. Il est vrai que le Folgorite était lui-même une sacrée plume sans avoir pourtant beaucoup usé ses fonds de culottes sur les bancs de l’école. Et quand on atteint à regret la dernière page, on pense à la foule des humbles dont on perçoit les échos en parcourant les vieux journaux, et listes de souscriptions ou quelque entrefilet, et sur lesquels il est si souvent difficile, conditions policières y contribuant, de mettre un nom et un visage parce que leur souci n’était pas les lendemains radieux mais la propagation de leurs idées au présent parce qu’ils les savaient justes dans un monde qui ne l’est toujours pas, un siècle plus tard.

Toni

Le livre est disponible à Publico
PAR : Toni
groupe Germinal de Marseille
SES ARTICLES RÉCENTS :
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler