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Chroniques du temps réel
par Pierresommermeyer and Co le 10 mai 2020

Le lundi 11 mai, dernière ligne droite des chroniques du confinement ?

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Le journal du confinement durable

Mardi 17 mars, midi. Nous entrons dans une période de confinement contraint et nécessaire. Et ça vous fait quoi d’être confiné ? Sur proposition de Pierre, chaque jour un témoignage personnel sur le jour d’avant.


Chroniques au jour le jour

11/05/2020
En zone rouge.
C’est, pour une grande partie de la France, comme « à l’étranger » surtout en ce qui concerne, ces deux départements qui bordent l’Allemagne et qui devraient n’en former bientôt plus qu’un, l’Alsace. Il va falloir attendre un peu que les statisticiens fassent leur travail pour savoir la somme de deuils, de maladies, de tristesse et d’insécurité qui ont frappé cette région de l’autre côté des Vosges. Cela se ressent dans les précautions que prennent les magasins qui vont rouvrir cette semaine. J’ai pris un rendez-vous pour me faire couper les cheveux. Une activité hautement non-délocalisable par les temps qui courent. Impossibilité de rentrer chez mon coiffeur pour choisir une date. Seulement par téléphone. Rendez-vous pris, je devrais être là à l’heure précise et on m’ouvrira la porte. A travers la vitre, je vois tous ces gens masqués, impression désagréable.
Dans ma banlieue, au bord de Strasbourg, il y a une librairie, centre culturel local s’il en est. Pendant ces deux mois, fermée, retiré chez eux, les libraires ont lancé, à la demande de leurs clients, une espèce d’avance sur recette qui a fait florés. Aujourd’hui ils ont rouvert à leur tour. J’ai reçu leur nouveaux horaires et les conditions d’accès. Je n’ai pas encore tout compris. En voici quelques bribes. « le virus est toujours là et vos habitudes et les nôtres vont changer pour la sécurité de tous. Le Jeudi, de 9h à 11h la librairie sera ouverte pour les personnes fragiles ou à risque. Tous les jours, le créneau de 9h à 11h sera réservé pour le retrait de commandes et les achats sans entrer dans la librairie, à la porte. Une sonnette à l’entrée nous avertira. "Une personne par famille" sera apprécié. Si cela est impossible, merci de tenir la main de votre/vos enfant/s.».
Je ne sais plus ce qui relève de la protection justifiée et ce qui est juste un signe de paranoïa.
En attendant, la frontière avec l’autre côté du fleuve est toujours fermée. Ce qui arrange bien ma marchande de journaux qui a peur que la ré-ouverture du pont ne signe la chute de son chiffre d’affaire en matière de vente de tabac. Comme quoi, le malheur des uns…
Le Parlement européen s’est transformé en centre de dépistage du covid. D’entrée un tri sera fait entre les porteurs positifs et les asymptomatiques. Que suis-je ? Juste passé entre les gouttes ou asymptom… ?
Le journal local de ce matin est plein d’infos sur le covid-19. La seule chose dont les spécialistes soient sûrs, c’est qu’il n’a rien à faire avec une simple grippe. Il semble s’attaquer à bien d’autres parties du corps que les poumons. Pour le reste tout est ouvert. Un expert de l’Institut Pasteur déclare ainsi « le virus peut vivre quelques instants ou quelques heures ».
L’avis des proches des soignants consiste à se dire : il faut attendre encore deux à trois semaines pour savoir si nous pourrons sortir de la Zone rouge.
Pierre Sommermeyer

10/05/2020
Dernière journée de confinement. Toutes les journées ont tendance à se ressembler. Le célèbre « métro boulot dodo » a laissé place à un nouveau triangle : manger, netflix dodo, et pas toujours dans cet ordre. Mais aujourd’hui c’est tout particulier, demain je dois reprendre ma liberté : celle d’aller travailler. J’pensais pouvoir trainer en pyjama encore un moment, avec la sensation de le faire parce que moi je le veux, et non pas parce qu’on me l’impose. Mais non, je dois me tenir prête d’après le mail de l’association où je bosse. Autrement dit je dois m’interdire d’aller où que ce soit maintenant que je peux sortir sans attestation, juste pour avoir mon nouvel emploi du temps au dernier moment. En même temps je bosse auprès de collégiens de 4ème-3ème qui eux, risquent de ne pas reprendre les cours avant juin, donc normal que je doive reprendre le travail maintenant. Ils vont bien me trouver un petit truc à faire : ils doivent rentabiliser les 108€ qu’ils me payent par mois (en plus du peu que me verse l’Etat) à 80 centimes l’heure, faut bien que je serve à quelque chose.
Transport en commun oblige, la nouvelle de dernière minute quant à la reprise du réveil à 7h du matin, m’a obligé hier à parcourir les enseignes à la recherche des masques, le saint graal des prochaines semaines. Des mois peut-être ? Espérons que non. Résultat j’ai trouvé 5 pauvres masques à 1€ pièce, des masques jetables sans emballage, dont l’hygiène laisse à désirer après la vision d’un masque tombé par terre que la buraliste a « discrètement » mis de côté.
Alors aujourd’hui c’est préparation mentale, c’est sortie pour la cinquième fois depuis 54 jours, tout ça pour aller braver les rues avec ma pauvre attestation électronique à la recherche d’une laverie ouverte. Aujourd’hui c’est préparation mentale afin d’être prête à aller affronter les bus blindés de personnes retrouvant un semblant de liberté, et les collègues qui raconteront comment ils ont affronté le confinement avec leur famille tandis que moi j’ai vu la mienne qu’en appel visio ; collègues, que de toute façon j’entendrais que partiellement à cause du masque sur la gueule. Aujourd’hui c’est « remise en forme » et reprise des lavages des cheveux qu’on avait tendance à procrastiner. Aujourd’hui c’est remise en question d’un régime après avoir passé le confinement avec les bons petits plats de ma sœur colocataire qui est donc coconfinée. Aujourd’hui c’est préparation mentale à l’idée de devoir se coucher plus tôt et abandonner un épisode netflix à une heure convenable. Tout ça pour un « au cas où », un « tiens-toi prête ».
Donc non, aujourd’hui ce n’est pas une journée comme une autre du quotidien de ces dernières semaines, c’est le retour à un dimanche comme un autre. Un dimanche normal avant le prochain reconfinement.
Cléo, en service civique

09/05/2020
64e chronique, plus que 2 à suivre… Dans une semaine, retour sur le marché des Vans avec tout un stock de Monde libertaire à vendre. Pas gagné pour les exemplaires d’avril mais on verra.
Donc, ce matin, me suis levé en me demandant quel jour de la semaine on était. Des jours que je me lève en pensant débuter un dimanche. Facile quand on est retraité, pas concerné par le télétravail ni par la case 1 de l’ausweiss : déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisés sous forme de télétravail ou de déplacements professionnels ne pouvant être différés.
Des chapelets de dimanches sans dieu ni messes.

Pas vu sur la fameuse « auto-autorisation de rompre un instant l’auto-enfermement » de case m’auto-autorisant à aller saluer le départ de ma mère qui a rendu, à huis-clos, sa chambre d’EHPAD. Les candidat.es à une place dans ces maisons de retraite vont pouvoir oublier la liste d’attente. Grand arrivage de chambres disponibles. Salut à vous les disparu.es sans laisser d’adresse. Salut à vous, salarié.es des EHPAD qui êtes au milieu du champ de bataille. L’état-major, bien planqué comme d’hab, vous prépare une prime. Faudra penser à le remercier. Est-ce que l’association « goudron et plumes » sera tendance à la rentrée ?

Pas vu non plus de case m’auto-autorisant à aller rompre la distance sociale avec mes filles auto-captives au 9e étage de leur immeuble. Un bout de temps … Penser à me raser pour les retrouvailles, sinon penser au masque.

64e chronique, alors chroniquons… Sur le parking du Carrefour patiente une longue file de personnes autorisées à dépenser du fric. Je crois reconnaître, oui, effectivement… je reconnais un gus m’ayant insulté dans un rond-point parce que je n’avais pas de gilet jaune sur mon tableau de bord. Du rond-point au Carrefour…
Quelques achats plus tard retour à la case départ. Que je crois. Petite ville, sur les deux rives d’une rivière implique pont à franchir. Au milieu du pont, une voiture bleue de rançonneurs armés et sur le trottoir un homme âgé avec deux gros sacs de courses. Manifestement les rançonneurs ont trouvé leur proie…
Je double et vais me garer de l’autre côté du pont. Quelques minutes plus tard, la voiture bleue arrive, tourne à gauche. Super, moi je vais à droite.
L’homme finalement très âgé arrive avec ses deux gros sacs et va tendre le pouce en direction de la gauche. Et merde…
J’oublie donc ma case départ, tourne à gauche et m’arrête à côté de l’autostoppeur. Pas de masque, ni lui ni moi. Je lui demande donc de m’expliquer où il va avant de monter. « On va essayer de ne pas trop se parler pour éviter les postillons… »
Il m’explique quand même qu’il est illettré et qu’il a un « mot du maire » expliquant qu’il ne peut pas s’auto-autoriser. D’où la discussion précédente avec les rançonneurs de la voiture bleue.
Il m’explique qu’il a été « confié » (ou vendu ?) à 5 ans à une famille cévenole, qu’il avait appris à garder et à traire les chèvres mais pas à savoir comment on écrivait le nom de cette foutu bestiole.
Personne n’est venu le récupérer. Il n’a plus quitté cette famille, changeant 3 fois de « maistre ». Logé, nourri, blanchi mais jamais eu le moindre salaire. Des fois, un billet à garder avec les autres au cas où… Les courses dans les sacs ? Des choses qu’ils achètent alors que lui il aime bien... Et comme il n’a pas le permis... "Tu veux faire des courses alors débrouille-toi !" Les vêtements, les chaussures ? « J’ai presque toujours fait la même taille que les hommes de la maison alors fallait juste que j’ai soin des affaires qui m’allaient pour les fois où ça m’allait pas… »
« Un jour, y a Monsieur Georges, mon deuxième maistre, il m’a dit que je ne faisais pas partie de la famille mais que je faisais partie de la maison. »
Devait faire partie de l’héritage…
Le genre d’histoire qui fait oublier l’absence de masques.
Bernard groupe d’Aubenas

08/05/2020
Tout fout l’camp !

Le 8 mai 1945, date anniversaire de la défaite du nazisme. Je n’étais pas né. Mais je m’en souviens très bien !

Ah, toutes ces foules de résistants de la 25éme heure, beuglantes. Tous ces délateurs anonymes commençant à se dénoncer entre eux. Tous ces « Oui ? mais, il fallait bien vivre ». Ces pauvres femmes tondues pour n’avoir pas eut le cul national. Ces tribus de vainqueurs violant à tour de bras. Ces masses d’abrutis courant après la victoire…

Ce 8 mai 2020, bon patriote, je suis allé manifester sur la place de mon village. Avec mon petit chien. Repeint en rouge et noir pour la circonstance. Il a l’habitude.

Personne !

Oh, putain, j’oubliais le détail qui tue. La guerre contre le coronamachin n’est pas encore gagnée !

Quand elle sera gagnée, je ne sais pas pourquoi, mais il est des cérémonies que j’éviterais !
Jean-Marc Raynaud

07/05/2020
Anniversaire
7 mai, jour faste : c’est mon anniversaire. Jour faste, enfin façon de parler, c’est mon second anniversaire confiné. La première fois j’avais été enfermé entre quatre murs tout un mois de mai. Pas de bol c’était en mai 68. Cette fois-ci c’est une saloperie de virus qui est responsable, et le gouvernement en profite pour m’ordonner de m’auto-enfermer, mais bien sûr c’est pour me protéger. Merci l’État.

Avant de me servir ma part de gâteau je m’autorise à me déconfiner l’esprit en cogitant un peu, et même beaucoup, sur la situation actuelle. Alors comme ça un virus de rien du tout qu’on ne voit même pas à l’œil nu est plus radical qu’une grève générale et réussit en quelques semaines à faire vaciller l’économie capitaliste ? Alors comme ça nos hôpitaux sont malades ? Alors comme ça il va y avoir un grand débat et un graaaand plan de relance pour notre Service public de santé, et p’tet même pour l’Éducation ?
J’en tombe de ma chaise ! Des mois et des mois que les tenants du pouvoir étaient sourds aux revendications de cette France d’en bas qui manifestait contre les lois Macron, le projet de réforme des retraites, contre la casse du Service public de santé, contre … Tout ce qui nous retombe sur la gueule maintenant. Et on nous dit qu’on ne reviendra pas tout de suite à la vie d’avant.
Mais on ne veut pas revenir à la vie d’avant ! On veut la vie d’après où un autre monde est possible, un monde débarrassé de tous ces parasites qui prétendent nous représenter au prétexte qu’ils sont élus grâce à un système qui garantit les intérêts de leur classe, mais sûrement pas de la nôtre. Aujourd’hui j’entends les plaintes et les récriminations devant l’état déplorable de notre système hospitalier qui pour des questions de pure rentabilité comptable s’est vu supprimer depuis 15 ans 69 000 lits sans parler des suppressions de personnel soignant.

Que celles et ceux qui ont voté pour Sarkozy, Hollande et Macron se dénoncent !

En attendant, jour après jour, c’est le défilé des clowns politiciens à la TV, avec leurs discours contradictoires, leurs ordres et leurs contre-ordres, et leurs effets d’annonce : après – toujours après – un grand plan de relance pour les hôpitaux sera mis en œuvre. Avant c’était pas possible ? Avant ils ne savaient pas ? Ils n’entendaient pas les revendications du personnel soignant dans les manifs ? Ils n’entendent que les frémissements de la Bourse, ne voient que l’indice du CAC40, ne sont sensibles qu’à l’évolution de leurs richesses.

Décidément et définitivement, nos vies valent plus que leurs profits. Le dé-confinement approche ? Ils auront des comptes à rendre. Ces comptes nous irons les exiger.

Je m’énerve, je m’énerve … en attendant je me pré-dé-confine en sortant sur mon balcon, histoire de regarder voler les martinets de retour dans le ciel parisien, comme chaque année à cette époque.
Et je reprends une part de gâteau. C’est mon anniversaire quoi !
Ramón Pino. Groupe anarchiste Salvador-Seguí

06/05/2020

AU TEMPS DES BARRICADÉS
« Quoi que vous puissiez faire, quoi que vous rêviez de faire, entreprenez-le. L’audace donne du génie, de la puissance, de la magie… Commencez maintenant. » (Goethe)

Confiné.e.s, reclus.es, séquestré.e.s, claquemuré.e.s, cloîtré.e.s, ou traqué.e.s, surveillé.e.s, fliqué.e.s, « attesté.e.s », dès qu’on met le nez dehors. Que faire face à l’État fascisant que nos maîtres bâtissent tranquillement, barricadé.e.s que nous sommes ?

Parce que dehors, les barricades aussi sont dressées. Pas celles de la Commune. Pas celles de l’insurrection. Celles de la propriété, du commerce, de l’argent, de l’accaparement. À Paris, particulièrement dans les beaux quartiers, vous êtes effarées par ces grilles, ces plaques de bois contre-plaqué qui protègent (des pillards que nous devenons quand nous promenons notre chien à 7h du matin ?) les hôtels de luxe, les boutiques de luxe, certaines banques même. Confiné, le profit ; confiné le Capital. Le peuple est le virus le plus mortel, le plus dangereux, le plus imprévisible aussi. On se croit revenus aux temps heureux des samedis giletsjaunés, quand le bourgeois terrifié par les meutes de gueux qui déferlaient sur les Champs-Elysées, protégeait son magot, magot volé aux dits gueux, virus donc mais aux capacités productives bien utiles.

Parce que dehors, d’autres barricades, invisibles celles-là, sont dressées.

L’action politique, ça commence souvent par le ventre.

Aujourd’hui je m’évade, je sors, c’est jour de permission ; mon jour de sortie hebdomadaire. Aujourd’hui m’attendent trois adolescents. Barricadés, ils protègent simplement leur existence, leur liberté emmurée. Ces trois jeunes sont des migrants mineurs isolés. Sans-papiers, sans père, sans mère, sans famille. Ils viennent d’Érythrée. Je ne connais rien d’eux ; ils ne connaissent rien de moi. Pourtant, ils m’attendent ; et je suis attentive à satisfaire pleinement cette attente. Ils attendent les courses que je leur apporte. Une liste de provisions, que j’essaye de respecter le plus scrupuleuse-ment possible, m’a été confiée. Depuis le début du confinement, les bénévoles de l’association Timmy redoublent d’efforts, de courage, d’énergie pour nourrir le corps mais aussi l’esprit de ces gamins (j’ose ce terme bienveillant, tendre, adelphique). Ces gamins aux yeux perdus, parlant peu ou mal la langue du pays qui NE les accueille PAS, qui ne comprennent pas très bien la situation, les enjeux de ce confinement lié à un virus mortel. Pour certains, leur dossier de demande d’asile est à leur image : en attente, confiné dans un tiroir, comme eux.

Barricadés jour et nuit dans des appartements associatifs ou prêtés par des particuliers, ces gamins éperdus, esseulés, sont cloîtrés. Leur liberté, leur vie même est à ce prix. Libres parce qu’enfermés. Protégés parce que captifs. S’ils sortent et sont contrôlés par la police, c’est le début des ennuis…

Entre quatre murs, ils attendent de nous apercevoir par l’entrebâillement d’une porte ou d’une fenêtre, ou alors prévenus par un appel de la responsable de l’association. Pour une fois, les livreur.se.s, ce sont nous, les « avec-papiers », les « intégré.e.s », les « régularisé.e.s », les « né.e.s du bon côté ». Nous le savons tou.te.s mais nous n’y prêtons pas ou plus attention : nombre de mi-grants ou d’exilés sans-papiers, parfois mineurs, viennent chaque jour grossir les équipes des pe-tites mains presque invisibles (invisibilisées ?) qui nous apportent pizzas, sushis, poulets rôtis, fast-food à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Alors, pour une fois, ce sont les « en règle avec l’État » qui livrent des produits alimentaires et d’hygiène essentiels à leur (sur)vie. Nous glissons aussi livres, manuels scolaires, journaux, jeux de sociétés dans nos paniers de courses.
Les journées de ces adolescents sont longues. Pas de « nation apprenante » pour eux. Pas de « continuité pédagogique ». Si on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, on n’en est pas moins parfois trop tôt écrasés par le réel.

« Tu déposes le sac à l’entrée de l’immeuble, l’un d’entre eux descend, tu t’éloignes, vous vous saluez de loin. Et puis c’est tout. » Consignes de l’association : discrétion et distances sanitaires. On comprend que c’est la meilleure manière de procéder. Pour eux comme pour nous. Mais, tout de même, le trouble nous gagne face à ce visage impassible, entraperçu dans l’encoignure d’une porte d’entrée, ce visage qui ne dit rien, qui ne raconte rien, qui ne partage rien. Et ces mains qui s’emparent vite des sacs déposés. Drôle de solidarité qui se vit en période de pandémie.

Il y a 13 jours, je rencontrais Jade, confinée dehors. Pendant une heure, je l’avais écoutée me raconter sa vie dans la rue en cette période de confinement.

Aujourd’hui, j’ai simplement entraperçu un regard, une silhouette, un silence. Ils m’en ont raconté tout autant.

Barricadée dehors. Barricadés dedans.

On nous parle de déconfinement. À quand le débarriquadement de notre sentiment d’impuissance ?

À la fin du XIXè siècle, William Morris nous alertait déjà sur l’urgence d’agir. Notre capacité à avoir honte de ce que nous infligeons au monde et aux êtres humains devait donner naissance à une société décente.
Leïla Hicheri (Liaison William Morris, Paris)

05/05/2020

La journée touche à sa fin. En attendant le lendemain, je dormirai mal… Le temps est à l’incertitude et l’inquiétude sur le devenir de nos sociétés : sauvageries maboules, démocraties présidentielles, monarchistes, dictatures… Ou républiques sociales, cités d’autogouvernement, écologie douce et souriante. Le calendrier me nargue en signalant que demain, 6 mai, est chrétiennement le jour de « sainte Prudence » ! Vous pouvez vérifier, mes sœurs et mes frères…
Juste avant la pièce policière de cet an de disgrâce virologique, le gauleiter Lallement, à sa prise de fonction à la préfecture de Paris, avait réuni les syndicats des archers du roi : « Vous connaissez ma réputation : je suis encore pire.» Ce grand enfant carnassier jouait avec son téléphone portable dont l’image de fond est un képi blanc de légionnaire. Ses troupes demandent encore à tire-larigot les auto-autorisations à toutes les délinquances civiles qui errent, à la recherche d’un peu d’espace.
Et moi je regarde ce petit monde – qui est tout de même le mien, même si ça me chagrine – et je ravale mes tristesses…
Je ne suis pas à plaindre : ma maison est modeste mais suffisamment large pour ne pas me cogner aux murs ; mon jardin est petit mais ma chienne y gambade comme dans une vaste prairie ; ma retraite est minable mais elle tombe régulièrement, même les mois de blocage viral ; ma tête est suffisamment farcie pour ne pas subir l’ennui et la rage du vide ; mes amis et amies sont assez solidaires pour ne pas m’oublier dans le désert téléphonique ; ma compagne n’est pas en guerre avec moi.

Mais… Les douleurs innombrables des vivants pleurant leurs disparus ; les malheureux entassés dans les cagettes de cet immeuble de brique délabré de ma rue d’Aubervilliers ; les voix qui enflent et jaillissent des fenêtres ouvertes, avec des cris parfois de femmes et d’enfants ; les fantômes gris qui titubent, le soir, quand je promène ma petite bestiole par les rues douteuses du quartier ; les boulangeries qui servent les pains de la faim ; les boutiques bizarres qui accueillent la pauvreté plus ou moins colorée, sans trop de souci des postillons vénéneux ; la distanciation cyniquement dénommée «sociale » ; le silence des cités, ponctué toutefois par des chants d’oiseaux revenus… Je vois, j’entends tout ça.

Bien sûr, et heureusement, comme le dit Tomás Ibañez, anarchiste de Barcelone : « Par chance, la longue histoire de l’humanité nous apprend qu’il est toujours resté des poches de résistance et d’énergies insoumises, qui ont su promouvoir des pratiques de liberté, même dans les situations les plus inhospitalières. Ce sont ces pratiques et les luttes qu’elles encouragent qui permettent de nourrir un certain optimisme… malgré tout. »

Bon, ce soir, je n’irai pas à l’Opéra (l’ausweis policier ne mentionne pas cette autorisation) ; il reste la lecture, la musique et l’étrange lucarne… Tiens, on passe un film chilien sur Neruda : le poète écrivait, c’est vrai, comme un ange laïc aux doigts d’argent ; il parlait de la douleur du monde, de la violence de certains hommes, de la beauté des autres…
Qui se souvient du salaud contrôlant les exilés espagnols, près de Bordeaux, en 1939, s’agglutinant au pied des passerelles menant au Winnipeg, bateau salvateur qui emporterait une foule de survivants vers le Chili, loin de la barbarie nazie arrivant au galop ? Ce chef des matons triait, sur la jetée, les hommes et les femmes. « Communiste : oui ; socialiste : moui ; républicain sans parti : oui ; apolitique : oui ; anarchiste : non ! » C’était Pablo, le poète humaniste… Avant la poésie, il y avait la foi stalinienne. En quelque sorte, un Aragon des Andes.
Pour sourire et voir la belle face du monde, j’ai lu dans les chroniques du ML de jolies choses en forme d’humanité : « Un élève élabore son travail dans un temps qui lui est propre, et possède « sa » posture face aux apprentissages. Je m’adapte à eux, c’est mon travail » (Mylène l’instit’ – que je ne connais pas).
Le confinement a permis à des milliers d’hommes et de femmes de se retrouver et de faire l’amour… Dans neuf mois, nous aurons un baby-boom comparable à celui des lendemains de la guerre 1939-1945 ; je viens de cette ancienne nichée et je souhaite tout le bonheur du monde à ces vies futures.
Serge Utgé-Royo












PAR : Pierresommermeyer and Co
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