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par Giordano le 6 avril 2020

Le récit toxique à l’époque du coronavirus

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NDLR : nous publions ci-dessous un texte de Giordano de la Fedération Anarchiste italienne, paru dans Umanità Nova du 15 mars, et traduit par Toni que nous remercions.




Le Covid-19 est un petit tas de glycoprotéines, phospholipides et RNA organisé biologiquement pour parasiter des organismes vivants plus grands que lui. Il n’est pas doté de sa propre intelligence, mais d’une certaine malignité, quoique inconsciente, utile pour sa propre survie. Ceci en fait un être qui peut être sensiblement dangereux en proportion de son degré de « jeunesse ». Un peu comme la rougeole qui, il y a de cela quelques siècles, pouvait tuer une personne en trois jours. Puis il a évolué, et s’est « rendu-compte » qu’il mourait lui aussi en absence de nouveaux hôtes à contaminer parce qu’il étaient tous morts à cause de sa malignité (on appelle cela virulence). Il s’est alors modifié sous une forme moins pernicieuse et plus parasitaire, de façon à poursuivre sa vie quelques jours de plus et sans tuer systématiquement son hôte. Les virus sont ainsi faits : idiots, méchants et parasites. Ou tu les évites ou tu les tues. Dans les deux cas il s’agit de prophylaxie : isolement, hygiène des mains, administration de vaccin et d’antiviraux. C’est tout. Rien d’autre à dire sur Covid-19. Le reste n’est qu’une question de prise de conscience de la présence d’une pandémie, et de recherche de tous les comportements susceptibles de se protéger et, d’une manière incontournable, de protéger les autres. Tout le reste ne relève que du récit toxique de ces journées, ou d’une analyse politique. Comprendre le récit permet de développer la seconde.

La pandémie que nous subissons nous permet un regard critique sur notre époque, les médias, la classe politique et les institutions, la culture de masse, le savoir scientifique, la fragilité sociale, et la lutte politique. On peut commencer par l’information. Celle-ci a contribué et persiste sur cette voie à développer un récit toxique sur ce qui arrive, en nourrissant la bêtise, l’ignorance et la peur. De fait elle poursuit les mêmes objectifs qu’elle a poursuivis ces dernières années. Avec ses divers résultats : assaut des super-marchés, accaparement des masques et de gel pour les mains, dénonciation compulsive de la faute des uns ou des autres. Au passage quelques épisodes racistes, fort heureusement limités, pour compléter un cadre riche de délires en tout genre, amalgamés à une culture du complotisme, produit d’une habitude rassurante de lire la réalité de manière totalement subjective, en dehors de tout critère, et de toute critique scientifique. Un bouillon de culture primordiale que la classe dirigeante de ce pays a elle-même nourri et dans lequel elle va chercher une ultime justification.

Une classe d’hommes politiques, d’entrepreneurs, de techniciens
(les barons) pour une bonne part grandis dans le népotisme, les spéculations, et les favoritismes à tous les niveaux, prélèvements discriminatoires pour faire cadrer les bilans, et arrogance étalée au grand jour, dans la plus totale soumission dévote et sans critique aux directives du néolibéralisme. En deux mots, en des temps aussi difficiles que ceux de la pandémie qui se répand, celui qui reste à son poste d’observation, a révélé, dans la plupart des cas toute son inutilité. Ce ne sont pas les exemples qui manquent, et pas seulement au niveau des simples sujets : depuis le masque du gouverneur, jusqu’au technocrate qui insulte les collègues et ainsi de suite jusqu’au niveau des institutions. D’un côté les services sociaux, déjà à l’agonie en période normale par suite des coupes scélérates réalisées ces dernières années, de l’autre ces services franchement hiérarchisés depuis toujours qui jouent maintenant au lion pour se montrer utiles et contenir la crise en créant des zones rouges militaires. Réponse habituelle à quelque tremblement de terre, en « réponse » aux besoins jamais entendus des citoyens ; et communiquant uniquement à travers les bulletins d’urgence de la protection civile qui, la plupart du temps, se limitent à réaffirmer la nécessité d’adopter des comportements vertueux, mais dont chaque mot modèle et impose une acceptation rigide et a-critique de l’événement.

Rien de neuf.
L’État et les Forces armées, et la même éternelle technocratie sont hiérarchiques, on pourrait même dire dictatoriales. Combien avait raison celui qui disait, il y a quelque temps sur les réseaux sociaux, que la science n’est pas démocratique. C’est vrai, mais la société au contraire l’est. On pourrait dire que la société est en grande partie libertaire, fondée sur un accord mutuel, la participation, la solidarité. Quand elle est réglementée, ou pire avilie, elle devient institutionnelle, ou pire esclave. En substance, dans un tissu social sain, instruit, solidaire, serein, le récit toxique de l’épidémie n’aurait pas si bien pris, et les mesures de comportements prophylactiques auraient jailli spontanément le plus souvent de l’imagination collective. Au contraire, dans un pays qui court après un boy-scout arrogant, un parasite en chemise verte, ou un miracle d’un Sean Connery de Pietralcina [note] qui prêche à partir de la même chaire qu’un comique en faillite, on ne pouvait rien attendre de plus.

L’incompétence manifeste de tant de yesmen du pouvoir ne parvient pas à nuire davantage à sa tentative de contenir l’infection, et ceci grâce aux connaissances scientifiques et à la force de la classe laborieuse. De fait, les premières permettent de gérer l’urgence, même si elles doivent en passer par une séquelle de décisions, décrets et conseils qui paraissent changer de jour en jour, mais qui en fin de compte jour après jour commencent à produire quelque résultat (dans le cas contraire, la situation serait bien pire). L’autre, la classe laborieuse, se comporte en martyre, comme en vérité elle l’a toujours fait, étant donné la haine de classe que cette société libérale réussit depuis toujours à déverser sur ceux qui produisent le plus et gagnent le moins, mais souffre le plus. Et pourtant, même dans cette situation, les résultats sont là, tant dans le domaine de la santé que dans celui du travail.
Travailler durant des heures enfermés dans un scaphandre de tissu intissé [note] . La forme la plus ancienne semble être le feutre., sentir en permanence l’odeur du désinfectant sur ses mains, supporter la souffrance de ceux qu’ils assistent, la plupart du temps en bout de course, c’est quelque chose qui ne peut se contenter d’un inscription dans quelque martyrologue ou dans des médailles gagnées sur le champ de bataille. Celui et celle qui durant ces semaines se tue au travail, demain, quand tout sera fini, ne pourra se contenter de félicitations, de bonnes paroles, d’amitié et se solennels éloges, et même pas de quelques sous supplémentaires, même si on les acceptera, mais pas comme une aumône.
qu’ils seront. Demain on devra faire le compte des victimes de cette peste du troisième millénaire, de celles dues directement au Covid-19, et des victimes indirectes, filles de l’urgence tragique qui s’est abattue sur le système sanitaire national et sur notre bien-être. Ce n’est pas qu’une question de nombre de lits ou de postes d’infirmières, c’est aussi une question de coupe dans le budget de l’éducation et du montant des pensions, des contractions de salaires et des protections sociales.

Demain il faudra demander des comptes à ceux qui parlaient de fermer les frontières, quand on a si bien vu que les problèmes, et pas seulement les virus, ignorent les frontières. Il faudra demander des comptes à ceux qui ont franchi cette épreuve sans rencontrer le moindre problème grâce à leur position de classe, démontrant que nous ne sommes pas embarqués sur le même vaisseau, nous ne l’avons jamais été. Ce Covid-19 nous l’a rappelé, même si le niveau de paternalisme et de piétisme répandu à pleine main par ceux qui ont parlé de « mes infirmiers, de « nos héros du service », du regret maniéré, exprimé aujourd’hui, pour toutes ces coupes opérées ces dernières années dans le budget des hôpitaux, sur le nombre de lits ou le personnel, mais n’ont rien fait hier sinon de se disputer un poste de direction, d’assesseur, de directeur, pour ensuite s’effondrer à l’instant le plus critique. Il n’est pas question que le retour de quelques lits, et que quelques services retrouvent de la vigueur, et quelques hôpitaux les fastes du passé, avec une discrète arrivée dans les services de personnel sanitaire qui seront choisis suivant des motifs purement conjoncturels, circonstanciels, quasiment émotionnels, sinon par quelque escroquerie, étant donné que dans les faits, l’orientation libérale de la société ne sera pas mise en discussion. En conséquence, en peu de temps on se remettra à morceler les prestations, et à les vendre sur le marché du profit capitaliste. En conséquence il nous faudra lutter pour augmenter les ressources de l’État social mais aussi celles des travailleurs, en vue d’une société le mieux guérie possible et vaccinée contre les maux du libéralisme en acte.

Pas seulement. Demain il faudra aussi demander des comptes pour tout ce que nous sommes en train de subir aujourd’hui, et tout ce que nous avons subi, « y compris au-delà de la santé » jusqu’à ce jour ; on devra le faire avec une pleine connaissance acquise : la totale absence de quelque forme que ce soit de mouvement de classe, de revendication, de lutte. Une absence qui, dans la dérive sociale de ces trente dernières années a été constante, attirée davantage par les faciles résultats des secteurs politiques ciblés (le bon vieil internationalisme par exemple) ou par la recherche spasmodique d’une visibilité comme seule finalité. Ou, pire, d’avoir été la cause et l’effet d’un passage de témoin raté entre le monde passé de lutte pour la conquête du sol de l’avenir, et celui en plastique, actuel, totalement contraire à tout le contexte socio-économique assouvi seulement par le fait d’être.

La célébration loupée de ce 8 mars de 2020, grâce au Covid-19, pourra être un dernier aiguillon pour sortir des antres obscurs de la politique mémorielle auto-représentative, pour pénétrer dans un monde et une histoire, mais surtout dans une actualité où il faut oublier les échéances à respecter et où il est par contre urgent de fixer des échéances au système en se rappelant qu’on a préféré jusqu’à aujourd’hui prendre des initiatives sur la résistance plutôt que sur la destruction du bien-être, sur la Rojava plutôt que sur la privatisation de la santé. Les infirmiers, mais à leurs côtés tous ceux qui appartiennent à la working class, les patients et leurs familles sont appelés à demander justice pour les sacrifices faits ces derniers jours.




Ils sont appelés à choisir de refuser d’être esclaves et à se libérer des chaînes d’un système qui à tout moment les presse comme un citron, ou de continuer à être esclaves, liés à un idéal de servitude qui fait de leur vie un instrument du pouvoir et de profit, sans jamais rien leur donner en retour, une fois terminé leur service. Le Covid-19 est stupide, méchant, parasite, et hiérarchique. Se laver et organiser un réseau d’assistance peut être un choix hiérarchique, s’il est imposé, incompris, non participatif, subi et vendu tout prêt sur les étals du marché. Ou à l’opposé, si on prend conscience de vouloir se sauver soi-même en renonçant à la tutelle des autres. Le lavage des mains peut être un acte individuel dans la spasmodique défense de soi-même, de manière individualiste et obtuse. Ou il peut être, suivant la définition, un lavage social des mains, pour soi et pour les autres, et comprendre pleinement que, ce qui se passe en ce moment, nous enseigne à changer de cap pour construire une société meilleure.

Giordano – Traduit par Toni Groupe Germinal Marseille

PAR : Giordano
FAIt
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