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par Christian Chandellier le 27 février 2022

C’est un fait !

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Article extrait du Monde libertaire n° 1836 de février 2022
Il semble ne plus faire de doute que l’Histoire est à refaire constamment. Un événement historique tel que, par exemple, le vote des pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain, le 10 juillet 1940, fait toujours et fera toujours l’objet de discussions et de commentaires qu’il faut réactualiser, revisiter, bref, revoir. Aujourd’hui encore (suivez mon regard).

Prétendre que l’Histoire n’est rien d’autre qu’une suite de faits est tout simplement idiot. Nul n’a accès aux faits en soi. Aucun enquêteur n’est maître des faits. Rien n’est plus sujet à caution qu’un témoignage. N’importe quel flic le sait. N’importe quel journaliste le sait. Quiconque prétend exposer un fait « brut » ne fait qu’imposer son point de vue. Vieille ruse... Dans ce domaine, la prise de pouvoir n’est jamais bien loin... « Moi je suis objectif, bien sûr » ! Il en va de même, selon moi, pour « l’Histoire immédiate » ou réputée telle (peut-on prétendre « balancer » les faits en s’absentant absolument de l’affaire ?). Dans cette dialectique de l’information, où tout fait couple (insécable), informateur.trice et informé.e, fait et témoignage, réalité et discours etc. la conscience du caractère mobile et dynamique des « informations » qui nous parviennent est primordiale. Dès lors, peut-on être informé ? C’est la première question (naïve) que j’avais proposé au « café philo » (c’était une belle coutume que je regrette) par chez moi. La réponse ne pouvait être que "oui mais" ! De « fait », l’ultime couple infernal, est bien : informateur et informé. Si l’information est possible, alors elle ne peut échapper à cette « structure » comme diraient certains.

Au commencement, il y a donc les « faits » et... l’informateur.



Il semble acquis chez les anthropologues qu’une des caractéristiques de notre espèce est de conserver et transmettre « entre nous » toutes les trouvailles et autres inventions que « découvrent » les unes et les autres. « L’intention » de la découverte n’est jamais évidente (sérendipité, dit-on aujourd’hui) mais l’intention de partager semble bien fermement là. Quelle économie de temps et d’efforts de ne pas avoir à démontrer encore et encore que la terre tourne autour de soleil ou que E=MC2. L’efficacité et, partant, l’expansion, unique, de notre espèce désormais ubiquiste, en est le symptôme le plus flagrant (hélas ?)


" Il nous est impossible de rassembler tous les éléments constituant un événement. Les composantes en sont infinies. "



Mais de qui est-ce que je prends mon information ? La terre tourne autour du soleil est un « fait » plutôt contre intuitif. Il ne nous suffira sûrement pas d’accepter ce genre d’information de n’importe quel hurluberlu. Il faudra que notre informateur.trice soit « revêtu.e » d’une sorte d’auctoritas, c’est-à-dire que sa parole soit reconnue comme digne de confiance. Ce caractère ne pouvant être confié que par la collectivité, une personne ne peut, seule, conférer une légitimité à Albertine ou Maurice. C’est bien le groupe qui adoube la personne informée. Celle-ci n’est « de fait » jamais seule ! La validité de l’information dépend donc d’abord des structures de légitimation de l’information et de son porteur. Une collectivité incapable de garantir « sérieusement » une information est responsable au premier chef de la « mauvaise information » voire, selon les cas, de la désinformation.

Le premier personnage de notre couple informateur/informé est donc lui-même un couple : conteur et légitimation. En somme, pas d’accès aux faits bruts, pas d’objectivité, et dépendance forte aux « institutions » (ce n’est pas un gros mot chez les anarchistes, bien au contraire) qui peuvent être faillibles, voire en déshérence (comme aujourd’hui ?)




" En voulant tout savoir et tout comprendre, je ne ferai que renvoyer ma décision, ma connaissance, mon opinion... à l’infini."



Quand je lis l’Huma, je sais que je lis le journal du Parti communiste. Quand je lis (eh oui !) Valeurs Actuelles, je sais que je lis le journal des « sauvages » libertariens capitalos. Il m’appartient donc de faire un acte simple : critiquer ce qui me parvient ! Avec mes moyens et en rangeant autant que je peux ma paresse au placard. La personne informée, elle non plus n’est pas seule. Il nous est impossible de rassembler tous les éléments constituant un événement. Les composantes en sont infinies. En voulant tout savoir et tout comprendre, je ne ferai que renvoyer ma décision, ma connaissance, mon opinion... à l’infini. Je puise alors dans ce qui me constitue, ce que je sais et ce que je suis pour me « faire » une opinion. Et là : retour du collectif. Notre espèce ne peut se contenter de partager ce qui nous enrichit sans veiller à ce que le, la ou les récepteurs soient en mesure d’assimiler l’information. C’est la raison pour laquelle, dans toute société, on trouve des formations, une éducation etc. Ici aussi, la qualité de l’information dépend directement de l’effort collectif fourni pour former, instruire, éduquer tout un chacun, potentiel informé. A nouveau : « ...dépendance forte aux « institutions » (ce n’est pas un gros mot chez les anarchistes, bien au contraire) qui peuvent être faillibles, voire en déshérence (comme aujourd’hui ?) » disais-je.


" Je puise alors dans ce qui me constitue, ce que je sais et ce que je suis pour me « faire » une opinion. "



Peut-être faudrait-il favoriser le travail des informateurs (et pas des « influenceurs »...) en leur garantissant une formation de haut niveau, des moyens suffisants (routage gratuit par exemple...), une réelle indépendance et, bien sûr, une authentique déontologie, c’est à dire une éthique professionnelle définie par la collectivité ? Par exemple une honnêteté aussi profonde que possible (je n’ai pas dit objectivité, voire pureté, pouah !) On pourrait même les appeler journalistes !?

Peut-être faudrait-il enseigner la Géographie, l’Histoire, et tout ce qui s’en déduit, de façon à ce que l’information puisse être traitée par chacun d’entre nous au mieux. Peut-être faudrait-il enseigner à être libre et décider en conscience. Au Moyen Âge, les Arts qui menaient à la compréhension du monde s’appelaient les Arts Libéraux. Les Arts qui rendent libre ! Belle leçon.

Dans cette petite réflexion, j’ai écarté volontairement les rétentions d’informations, les limitations de l’accès à l’information et autres désinformations, mesures favorites des pouvoirs totalitaires qui, en creux, montrent bien l’importance de l’Information. Ce n’était pas mon sujet.

La stupidité voudrait que les « faits soient là » que notre point de vue soit « objectif ». Elle s’effraie de la mobilité, de l’absence de pureté, d’absolu (un.e journaliste objectif, quelle horreur !)

En réalité, la condition d’une « bonne information » est la prise de conscience que la mobilité est la seule « réalité du monde ». Oui, nous pouvons être informé.e.s ! Mais « à condition », même si cela semble paradoxal, d’admettre qu’il n’y a pas plus d’informateur.trice « absolu.e », d’information « pure » que de lecteur objectif. Informons-nous donc, mais en conscience, activement, sérieusement.

Christian Chandellier, groupe Gaston Couté
PAR : Christian Chandellier
Groupe Gaston Couté
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