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par NCJ le 3 novembre 2018

Mad Marx : une fable marxiste dans un monde post-apocalyptique.

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article extrait du Monde libertaire n°1799 d’octobre 2018



Dans un monde post-apocalyptique inspiré du célèbre Mad Max, dévasté par des guerres nucléaires, des révoltes et habité désormais par des individus isolés dont le seul but est la survie, nous retrouvons Marx « le fou », un vieillard en chaise roulante, théoricien de la lutte des classes et du capitalisme, ainsi que Romane, une jeune fille sortie de prison ayant raté l’apocalypse et voulant retrouver sa sœur.

Les deux protagonistes vont chercher la sœur de Romane à « Monopolis »...

La websérie, en noir et blanc pour souligner le caractère apocalyptique de l’environnement, est composée de 4 épisodes de 20 minutes, et un épisode sera diffusé tous les deux jours sur youtube à partir du 15 septembre. L’environnement décharné est celui des alentours nantais, particulièrement bien mis en valeur par des choix de réalisation judicieux et une musique métal bien adaptée.

A l’occasion de la sortie de la websérie nous avons pu poser quelques questions au réalisateur sur ce projet collectif qu’il qualifie même de libertaire :

CRML : Pourquoi avoir choisi Marx comme l’un des deux personnages principaux?
Mathias Averty : Tout est parti d’un jeu de mot entre Mad Max et Karl Marx. C’était grisant d’imaginer ce vieux philosophe lutter contre le Capitalisme et la sauvagerie dans un monde post-apocalyptique. On trouvait que c’était hyper intéressant d’explorer toute la facette pop de ce personnage en avance sur son temps et d’en faire le Gandalf ou le Dumbledore de notre Révolution. Honnêtement, nous n’avons jamais lu le Capital en entier, on est plus des jeunes geeks humanistes que des universitaires, mais malgré tout, Marx reste une figure puissante qui constitue une grosse partie de notre héritage politique. Alors on s’est dit qu’on voulait lui offrir une nouvelle vie dans la série, casser un peu le cliché du philosophe hermétique en le présentant autrement : comme un vieux sage éclairé et bienveillant, mais dont l’esprit et le corps ont été abîmés par des décennies de luttes et d’échecs. Mais Marx le fou est aussi une allégorie de l’extrême gauche actuelle, elle bat de l’aile, ne célèbre plus de grandes victoires et a besoin de former des Romane, de se rajeunir, de se réinventer.

CRML : Pourquoi avoir choisi l’ambiance post-apocalyptique ?
M.A :
Nous sommes presque tous fans de SF et nous n’avions pas les moyens de faire un « space-opéra », en plus de ça, nous sommes nantais et les endroits désaffectés sont légions dans la région grâce à un riche patrimoine ouvrier. L’idée de tourner un post-apo est donc devenue une évidence. Et puis nos âmes punks avaient un faible pour les ambiances sinistres et les univers en déliquescence, ça nous parlait et c’était super intéressant à filmer.

CRML : Quel message politique souhaitez vous, toi et ton équipe, faire passer dans la série ?
M.A :
Nous ne sommes pas des théoriciens ni des économistes, donc nous n’avons pas de leçons à donner, mais l’idée que Mad Marx est un film de propagande qui s’assume comme tel me plaît. Parce qu’en 2018, il est bon ton d’être désengagés de tout, de cracher sur les échecs des luttes, de se la jouer cyniques, froids et vaincus. Nous pensons au contraire qu’il est plus que jamais important d’être idéalistes, de se positionner contre le système actuel et d’assumer un discours de gauche radicale avec de la passion, de l’ouverture d’esprit et de l’humour. Si on suit ce raisonnement, peut-être bien que les pages, de même communistes, sur les réseaux sociaux sont la meilleure chose qui soit arrivée à la gauche depuis longtemps ?

CRML : Que penses-tu de l’usage politique de la dystopie ? Quel usage en fais-tu ?
M.A :
Si on se met dans la peau d’un affreux nihiliste, la fin du monde est une idée presque séduisante aujourd’hui parce qu’elle signifierait dans un sens la fin du monde de la finance et du système capitaliste qui nous en font baver tous les jours. Ce monde post-apo donnerait alors à des dizaines d’utopies ou de systèmes politiques humanistes la place de se concrétiser pour les survivants. Et puis le monde post-apo oblige à sortir du confort moderne, à trouver des solutions, bricoler et détourner les objets du quotidien pour survivre. Au niveau de l’écriture de la série, ce monde post-apo était une feuille blanche qui nous permettait d’inventer de nouvelles règles et d’explorer des situations politiques variées et de chercher une esthétique cinématographique forte.
Évidemment, il n’est pas question de provoquer la fin du monde, ce n’est souhaitable pour personne. Mais imaginer des solutions et des pratiques dans un monde de fiction aux règles plus simples peut permettre de penser à des solutions à mettre en place dans le monde actuel et permet d’en affiner sa critique. C’est le grand atout de la Science-fiction à nos yeux : prendre de la distance et aiguiser son esprit critique.

CRML : Tu as indiqué que votre projet avait été conduit en auto-gestion, peux-tu en dire plus à ce sujet ?
M.A :
Oui, on a essayé de donner une dimension collective à chaque étape du projet et à nos grandes décisions. C’est à dire que le scénario a été écrit à plusieurs mains, les grandes décisions étaient votées et chaque participant avait assez d’espace d’expression pour développer des idées de personnages, de situations ou de costumes, mais aussi pour tester différents métiers du cinéma pendant nos tournages (du maquillage au cadrage). Mais notre organisation horizontale se heurtait à celle de la production cinématographique : nous voulions en effet proposer un film de qualité, ce qui nécessite une rigueur, une réactivité et une discipline de chaque instant dans une structure plus pyramidale (Tous aux ordres du réalisateur, en quelque sorte). Concilier les deux a été un exercice passionnant mais extrêmement difficile. Cela a même amené à des tensions ou à des départs, il a fallu souvent redresser la barre pour ne pas perdre toutes nos valeurs en route. Il a finalement été décidé que j’endosserai le rôle du réalisateur jusqu’à la fin du projet, pour donner une direction plus précise à nos choix artistiques, mais j’ai fait en sorte que chaque participant puisse exprimer sa créativité au maximum et que les tournages se passent dans l’écoute et la proposition. Ce projet est une aventure humaine qui me fait beaucoup penser à la Horde du Contrevent d’Alain Damasio, dans le sens où nous devions avancer ensemble dans une épopée extrêmement difficile, à la poursuite d’un rêve flou. C’est le soin et le respect qu’on s’apportait les uns les autres qui allait décider du sort du projet. Aujourd’hui on y est, Mad Marx est fini après trois ans de travail et sans producteur. Notre expérience libertaire a fonctionné, et c’est une immense fierté pour nous.

Présentation et recueil des propos par NCJ (Graine d’Anar, Lyon).

PAR : NCJ
Graine d’Anar, Lyon
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