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par Jean-Sébastien le 7 janvier 2019

L’impératif environnemental, un impératif révolutionnaire ?

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article extrait du Monde libertaire n°1800 de novembre 20018



De la démission de Nicolas Hulot du ministère de la Transition écologique et solidaire, au titre de “champion de la Terre” décerné à Emmanuel Macron par l’Organisation des Nations Unies, les thèmes aussi complexes que fondamentaux, mais parfois vagues, que sont l’environnement et le climat trustent les sphères médiatiques, politiques et scientifiques.
A la saturation médiatique et aux gesticulations politiques viennent s’ajouter, depuis le premier rapport du GIEC en 1990, il y a presque 30 ans maintenant, les analyses scientifiques toujours plus catastrophistes ainsi que les récurrents, et inefficaces, appels à agir.
S’il peut encore faire débat à ses marges, l’état des lieux général des conséquences environnementales des activités humaines fait la quasi-unanimité dans les milieux scientifiques. Les données sur la dégradation des sols, l’acidification des océans, les pertes colossales de biodiversité, la fonte des glaces, le réchauffement climatique, la pollution de l’eau, etc laissent peu de place aux doutes quant aux effets dévastateurs de l’humain sur le milieu naturel qui nous compose et dont nous faisons partie. La mesure scientifique de ces effets reste récente dans l’histoire humaine mais nous savons que l’impact de Homo sapiens, pour ne parler que de lui, sur son milieu est négativement significatif depuis les premiers chasseurs-cueilleurs, jusqu’à la révolution industrielle et l’essor du capitalisme qui ont été des catalyseurs destructifs de l’environnement.

« S’il peut encore faire débat à ses marges, l’état des lieux général des conséquences environnementales des activités humaines fait la quasi-unanimité dans les milieux scientifiques. »

Aujourd’hui, les conséquences prévisibles sur l’ensemble des organismes vivants, et nos sociétés, pour les prochaines décennies réclament des modifications drastiques de nos modes de production et de consommation si nous voulons aménager le pire. Il n’est déjà plus question d’éviter des bouleversements importants, mais seulement d’espérer qu’ils demeurent dans une proportion qui permette de gérer au mieux le désastre annoncé. Devant ces constats, de nouvelles voix reprennent des discours déjà portés depuis une quinzaine d’année, de Al Gore à Hulot, pour réclamer une prise de conscience des pouvoirs économiques et politiques pour la mise en place de mesures permettant de sortir de la spirale autodestructrice de l’humanité. Des scientifiques, des acteurs, des actrices, et toutes sortes de personnalités publiques exhortent les élu-es de profiter de leurs mandats pour agir et prendre des décisions fortes, même si cela devait leur coûter une impopularité sans précédent et remettrait en cause certaines libertés individuelles qui ne seraient plus compatibles avec la situation.
Devant l’urgence environnementale, des transformations profondes sont sans aucun doute nécessaires, avec un impact économique et social certain, mais peut-on, doit-on, est-il seulement possible d’imposer aux peuples un changement de modèle de société aussi important sans que le peuple lui-même soit acteur et responsable du virage pris ?

En premier lieu, nous pouvons penser qu’il est cocasse, en 2018, d’en appeler encore aux pouvoirs publics, aux élu-es, au président, pour prendre la mesure du défi environnemental alors qu’ils-elles ont démontré depuis longtemps leur incapacité à agir. En 1997 déjà, la signature du protocole de Kyoto n’autorisait plus nos représentants à ignorer le danger climatique de nos émissions de gaz à effet de serre. De même en 2002, Jacques Chirac rappelait : “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”. Il semble que malgré des discours et des prix, la classe politique continue de regarder ailleurs. Faut-il seulement être surpris par le fait que les responsables politiques ne soient pas à la hauteur lorsqu’il s’agît de défendre le bien commun ? Doit-on encore une fois rappeler dans quel contexte et comment fut créé la sécurité sociale ? Comment fut construit le code du travail ? Comment furent obtenus les droits de vote ?
D’aucuns s’étonnent encore de la passivité des dirigeants du monde entier et poursuivent les appels à l’action. La nomination, puis la démission 15 mois plus tard, de la star de l’environnement qu’est Nicolas Hulot, qui fut ministre d’état, excusez du peu, ne modifie pas la teneur de ces appels alors que ces événements politiques démontrent une fois de plus l’inefficacité du système représentatif face aux enjeux communs.

« Devant l’urgence environnementale, des transformations profondes sont sans aucun doute nécessaires, avec un impact économique et social certain, mais peut-on, doit-on, est-il seulement possible d’imposer aux peuples un changement de modèle de société aussi important sans que le peuple lui-même soit acteur et responsable du virage pris ? »

Mais la difficulté de prise en main de ces enjeux environnementaux est concentrée dans deux difficultés majeures : Comme tout à chacun, les responsables politiques ne perçoivent pas directement les effets des modifications de notre biotope sur leur vie quotidienne. De plus, ceux-celles-ci sont davantage protégé-es des conséquences attendues. Il est évident que les pays les plus pauvres, géographiquement et économiquement les plus exposés, seront principalement impactés par les dérèglements environnementaux, et dans une même zone géographique, les plus riches bénéficieront des ressources nécessaires à se prémunir des éventuels canicules, déplacements de population, difficultés d’accès aux ressources en eau et alimentaires, …
A l’image des politiques économiques et sociales, comment faire confiance à la classe privilégiée de la population afin de prendre en main des problèmes dont ils sont relativement protégés?

Pour poursuivre dans l’absurde, comment espérer que des mesures d’une ampleur sans précédent, avec des impacts économiques et sociaux difficiles, puissent être acceptées par des peuples déjà soumis aux inégalités économiques, politiques, culturelles et sociales ?
Le surplus d’autoritarisme permettant, dans une sorte d’état d’urgence environnemental, de faire passer en force des mesures impopulaires, n’est pas à souhaiter. Nous tomberions nécessairement dans une société fascisante dont le leitmotiv et les prérogatives environnementales amenuiseraient encore les valeurs de démocratie, d’égalité et de liberté dont nos sociétés sont déjà largement lacunaires.

Continuons dans l’aberration, depuis toujours l’état utilise essentiellement son pouvoir pour réprimer dans la violence les alternatives en actes, comme à Notre Dame des Landes pour ne citer que l’exemple le plus connu de ces dernières années en France. Les pouvoirs publics poursuivent régulièrement les militant-es écologistes ou les paysan-es travaillant à une agriculture respectueuse de son environnement, et promeuvent au contraire les politiques inspirées de lobbyistes de tout poil, repoussant le bien commun à… jamais ! L’état et le capitalisme ont d’ores et déjà le pouvoir et ses représentants appliquent une politique tout à fait à l’inverse des nécessités sociales et environnementales, comment dans ces conditions appeler à plus d’autorité ou plus d’état pour induire une politique en accord avec le bien commun ?
Comble de la tarte à la crème, il faudrait faire confiance aux entreprises capitalistes et aux pouvoirs politiques associés, afin de nous sortir de difficultés qu’ils ont eux-mêmes créées ? Il n’y a aucune raison d’accorder la moindre confiance aux multinationales et leurs actionnaires pour rétablir un équilibre environnemental et social venant contrarier leurs intérêts économiques, et leur position de pouvoir ultra dominante. Le pouvoir est maudit et il n’y a aucune raison qu’il soit soudainement touché par la vertu afin d’appliquer des politiques visant au bien commun. Les classes dirigeantes ont leurs intérêts propres et divergents de ceux des classes populaires. Dans l’état actuel comment définir ce que pourrait être un « bien commun » tant les inégalités et les stratifications économiques et sociales de la société empêchent de déterminer un « commun » ?

« Comble de la tarte à la crème, il faudrait faire confiance aux entreprises capitalistes et aux pouvoirs politiques associés, afin de nous sortir de difficultés qu’ils ont eux-mêmes créées ? »

Nombres d’experts, économistes ou scientifiques, aimeraient s’affranchir du spectre d’analyse pouvant être résumés dans l’expression de la lutte des classes, pourtant les enjeux économiques et sociaux doivent demeurer au centre de la réflexion environnementale. Les réactions de rejet légitime de propositions telle que l’écotaxe en 2013 doivent être interprétées, non pas comme un refus d’écologiser les politiques économiques et de développement du territoire, mais comme une réaction aux inégalités d’imposition, et au partage injuste des richesses immenses créées par nos sociétés. De même les rôles centralisateurs de l’état ou globalisant de l’économie de marché ne cessent d’être remis en question à l’heure où les alternatives populaires tendent à privilégier la relocalisation démocratique et économique. Là encore les tendances populaires et les volontés oligarchiques divergent totalement.

Alors face à l’urgence environnementale, le danger est de voir s’appliquer arbitrairement des lois en prétextant la nécessité absolue. Toutes celles et ceux voulant se dresser contre des abus autoritaires seraient considéré-es comme des dissidents, des fous antihumanistes, et se verraient nécessairement neutralisé-es d’une manière ou d’une autre. La ficelle est grosse et connue. Naomi Klein appelle Stratégie du choc une politique visant à profiter d’un événement majeur traumatisant, (11 septembre, crise de la vache folle, …) ou d’une peur parfois créée de toute pièce (effondrement du système social, sentiment d’insécurité, …) pour mener des guerres, mettre en place des normes et des lois, ou encore faire des réformes qui n’auraient jamais été acceptées par la population en temps normal. Cela même si le « mal » prend déjà sa source dans les guerres, normes et lois précédant les “chocs” que certain-es savent parfaitement exploiter.
Devant les catastrophes annoncées, il est raisonnable de penser que nos cher-res représentant-es n’hésiteront pas à faire appliquer des mesures exceptionnelles, sans autre concertation ou débat démocratique, en profitant des aubaines ouvertes par leur inaction durant les 30 dernières années. Ces mesures parachutées du haut seront évidemment préparées, soutenues, orchestrées par les mêmes acteurs politiques, économiques et industriels ayant conduit le monde dans cette impasse productiviste, antisociale, et autoritaire.
Ces appels médiatisés à une politique volontariste, verticale et autoritaire sont irresponsables mais heureusement vains car elle ne serait concrètement pas applicable sans occasionner de résistances évidentes et justes.

N’y a-t-il donc aucune solution face aux défis environnementaux qui réclament notamment des changements radicaux de nos modes de production, de consommation, d’aménagement du territoire, de déplacement, … ?
Une réponse autoritaire, antidémocratique et capitaliste étant ni souhaitable ni viable, il est évident que la seule solution doit prendre ses racines dans le peuple et doit émerger depuis la base. Seule alternative capable de créer un mouvement suffisamment massif pour répondre aux enjeux inédits se dressant devant l’Humanité. Le virage sociale, économique, démocratique, et environnemental attendu s’appelle tout simplement une révolution. Et les idées internationalistes rappellent depuis le XIXème siècle que les changements radicaux et profonds ne pourraient dorénavant avoir lieu qu’au niveau mondial. La mondialisation de l’économie mondialise automatiquement le sort des prolétaires du monde entier. Si révolution triomphante il doit y avoir, elle serait nécessairement mondiale.

« Ces appels médiatisés à une politique volontariste, verticale et autoritaire sont irresponsables mais heureusement vains car elle ne serait concrètement pas applicable sans occasionner de résistances évidentes et justes. »

Hors, sur un terreau d’inégalités endémiques, les catalyseurs de révolutions, ou d’avancées économiques et sociales importantes, sont souvent (toujours ?) des réactions populaires à des événements dramatiques, que ce soit une guerre, une famine, un coup d’état, … ou une catastrophe environnementale ?
Le contexte environnemental, économique et sociale délétère nous avance peut-être en face d’une situation favorable à l’avènement d’une révolution mondiale capable de bouleverser les rapports de l’humain à son environnement. La révolution mondiale, techniquement difficile à orchestrer au XIXème siècle, mais assurément dans une situation technologique différente au XXIème siècle, serait la seule capable d’être assez radicale, spontanée, prompt pour enrayer le déclin environnemental en cours ?
Impossible de répondre à cette question, mais cette hypothèse révolutionnaire à laquelle nous devrions plutôt appeler, est bien plus séduisante si elle est sociale, environnementale, culturelle et libertaire et ne paraît pas plus farfelue ou inefficace, ni moins probable que les fausses solutions capitalistes qu’on voudrait nous vendre et nous faire avaler.
Évidemment nous n’aurons aucun espace dans les médias de masse pour venir défendre cette thèse, ou permettre de donner une vision antiautoritaire et anticapitaliste des changements à venir, face aux messages convenus délivrés par les pantins d’un jour. Mais la force d’une idée révolutionnaire est de faire son propre chemin en dehors des autoroutes construites pour diffuser les idées autoritaires, productivistes et destructrices, les idées capitalistes.
PAR : Jean-Sébastien
groupe de Cherbourg
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