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par Nuage fou le 14 janvier 2019

Camp d’été 2018 de la Fédération Anarchiste – Saison I, premier épisode.

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De natura rerum- PART I.

Article extrait du Monde libertaire n°1801 de décembre 2018
La première saison du Camp d’été de la Fédération Anarchiste s’est tenue en août dernier à la Ferme Intention du village Breton de Callac. Ce joyeux rassemblement ayant été l’occasion de nombreux et passionnés débats regroupant fédérés, anarchistes, sympathisants et curieux, le Monde Libertaire vous propose une série d’articles synthétisant les échanges qui se sont tenus. Nous commençons par le commencement : « manger » ; une synthèse des deux temps de discussion sur les thèmes de l’agriculture et de la nourriture. Les questions et interventions ont été regroupées afin d’en faciliter la lecture, et l’on ne peut totalement exclure que quelques notes personnelles y aient trouvées leur chemin lors de la transcription puis de la mise en forme des interventions. Enfin, vu la densité et la richesse des échanges, nous vous proposons cette synthèse en deux temps : le premier épisode cette année, dans ce numéro.




Alternatives en actes : s’organiser !
Depuis son émergence, le développement à grande échelle du projet de société imaginé par les anarchistes est contrarié par un rapport de forces défavorable. Toutefois, et contrairement par exemple au marxisme, notre projet est pragmatique plutôt qu’idéologique ; son histoire est donc jalonnée de nombre de réalisations très concrètes nées du désir de mettre en pratique des modes d’organisation considérés comme supérieurs. Certes, ces réalisations ne sont « que » des solutions locales, temporaires parfois brouillonnes et inachevées, à de simples problèmes vécus au quotidien, à la nécessité de conquérir ou défendre des espaces de liberté, mais elles sont tout autant des exemples remarquables de l’anarchisme en train de se vivre, des « preuves par neuf » de la validité de nos hypothèses, modestes bougies ou phares puissants, qui en s’y installant éclairent notre chemin. Au-delà de leur intérêt pratique, ces réalisations participent à déconstruire la négativité des images qui enferment les anarchistes dans la double figure de l’anti-social ou de l’inadapté, de l’ultra-violent amateur de chaos ou du doux rêveur aveugle aux dures réalités des sociétés humaines. Deux figures dont la simple mise en pratique de nos principes organisationnels nous permettent de nous affranchir en démontrant à tous, quotidiennement, ce que nous savons depuis l’origine, que l’anarchie n’est simplement, au fond, que l’ordre moins le pouvoir.

Plusieurs expériences et projets ont ainsi été décrits ou évoqués lors des échanges ;certains opérés ou simplement initiés par des membres ou groupes de la Fédération Anarchistes, tels par exemple le groupe Poulaille de Saint Denis. Nul doute qu’une assemblée plus nombreuse aurait été l’occasion de dévoiler plus de projets.

- L’AMAP de Saint Denis (93), mise en place parce qu’il n’y avait pas de producteurs de légumes sur le marché, seulement des revendeurs. Cette AMAP a permis à un maraîcher de s’installer sur les terres de son père, producteur de jus de pommes.
- Toujours à Saint Denis, une coopérative de distribution alimentaire auto-organisée selon les principes libertaires fonctionne de longue date pour le plus grand profit des familles qui en sont tout à la fois les acteurs et les bénéficiaires. Une seconde à émergé du succès de la première, séparée, afin de rester à taille humaine et peut-être prévenir l’émergence d’une bureaucratie. Le groupe à l’origine de ces initiatives s’est attaché à mettre en place un mode d’organisation et de prise de décision conforme aux principes anarchistes, puis à laisser les habitants s’approprier le fonctionnement.
- Les Radis&co sont un projet de production de légumes, de produits laitiers et de pain, à fonctionnement collectif.
- Une initiative d’un syndicat du bâtiment (SUB) qui a conduit des travailleurs du bâtiment à retaper ensemble une ferme, sur laquelle l’un d’entre eux produit des légumes qu’ils transforment en produits prêts à manger sur les chantiers, à prix libre. Ces légumes peuvent être également fournis gratuitement pendant des grèves ou des luttes.
- L’association « Terres de liens », qui soutient l’achat collectif de terres. Après-guerre, le général De Gaulle a pris la décision de réduire drastiquement le nombre d’agriculteurs afin de peupler les usines et forcer la mutation des paysans restants en « exploitants agricoles ». En conséquence, l’accès aux terres – le foncier – est devenu un problème majeur et récurrent. La mécanisation forcée et l’appétit des banques continuent de former une double incitation à la concentration de terres toujours plus vastes. Ce sujet fondamental à été repris plus tard lors des échanges.
- En Mayenne, on trouve nombre de projets liés à l’alimentation.
- Les écoles de la Via Campesina, l’organisation mondiale qui regroupe des syndicats paysans.
- Le livre « Paysan Résistant ! » de Benoît Biteau, paysan issu de paysans et agronome de formation, qui allie tradition et savoirs contemporains pour créer une agriculture durable, rentable et de qualité.
- Enfin, il nous faut citer le magnifique projet social, politique, agricole (et culinaire) de la « Ferme Intention » qui nous hébergeait !





Produire
On constate une importante et croissante pression sociale sur les producteurs d’alimentation à qui l’on demande de plus en plus de produire ‘proprement’. On compte en effet peu de professions auxquelles la « société civile » demande à ce point de rendre compte de ses activités. Comment faire alors pour que ces questions se posent et soient débattues ensemble, et non pas sous la forme d’un affrontement nécessairement stérile entre consommateurs et producteurs ? Dans le même esprit, comment traiter les questions économiques et sociales dès leur émergence, comment intégrer la société au débat sur la production afin de le soustraire aux seules perspectives capitalistes et corporatistes ? Réciproquement, comment impliquer les producteurs dans des réflexions et les pratiques de changement social ? L’état et les entreprises se sont appropriés les liens entre les travailleurs de la terre et ceux des autres secteurs de la production ou des services, créant une rupture factice entre des citadins hors-sol et des campagnes déconnectées. Il faut nous ressaisir de ces relations, les penser et les retisser à nouveaux frais, sur de nouvelles bases. Des communautés conscientes d’elles-mêmes, maîtrisant localement leurs choix politiques et économiques, incorporeront naturellement à leurs décisions l’ensemble des contraintes économiques, sanitaires, éthiques et écologiques. En revanche, lorsque production et consommation sont déconnectées, lorsque les décisions sont prises séparément, loin des problèmes et des acteurs, les antagonismes ne peuvent qu’apparaître. Et il ne fait aucun doute qu’une bureaucratie étatique ou européenne ne percevant les réalités de terrain qu’au travers des lignes et des colonnes des tableurs Excel, sera bien en peine de les résoudre a-posteriori, si tant qu’elle qu’elle en aurait l’intention.

Il faut donc penser le type de société et les produits et services dont nous voulons : en France, seuls 2-3 % de la population active produisent la nourriture pour les 97 % restants, qui doivent produire à leur tour d’autres « choses » pour avoir les moyens de se nourrir. C’est une des conséquences de la société capitaliste et de l’industrialisation de l’agriculture qui l’accompagne. Tout comme le processus des « enclosures » en Angleterre a contribué à fournir la main d’œuvre nécessaire à l’essor du premier capitalisme industriel, la mécanisation de l’agriculture a contribué après guerre à peupler les usines et rendre possible le capitalisme des services et sa cohorte de « boulots de merde ». La disparition des paysans fournit une force de travail disponible pour délivrer des services et créer quantités de produits peu utiles, inutiles, ou encore nuisibles. De surcroît, pour rendre désirables ces trompe-l’œil et les vendre à force de conditionnement, on observe une croissance apparemment sans limite de la publicité, entrée dans une spirale sans fin. Le coût prévu pour les dépenses de publicité et d’études de marché en France sera de 27 milliards de dollars pour l’année 2018, soit près du dixième – six semaines – des dépenses alimentaires. Au-delà de son coût, le parasite publicitaire marchandise, enlaidit et pollue progressivement nos espaces physiques, sonores et virtuels, allant depuis quelques mois, jusqu’à être légalisé par décret sur les trottoirs de certaines villes.

A la lumière de ces constats, on peut donc envisager sans grande difficulté le bénéfice d’une réduction de la part inutile ou nuisible du travail, ainsi que la redéfinition des proportions de production primaire, secondaire et tertiaire. Des moyens simple à mobiliser et contribuant à remettre en question notre rapport à la production alimentaire et recouvrer une forme minimale, mais bien réelle, d’autonomie alimentaire à l’échelon local.

Cultiver, vivre
Dans moins de 10 ans, 50 % des agriculteurs atteindront l’âge de la retraite : comment prévenir l’absorption de leurs fermes par des exploitations toujours plus grosses ? Se pose alors la question de savoir qui, enfants de paysans ou néo-ruraux, seront celles et ceux prêts à reprendre ces activités et inverser la tendance à la concentration des terres. Entre transmission familiale, cursus scolaires, et diverses formes de « wwoofing », comment se fera la transmission des savoirs ? Faut-il envisager le travail agricole comme une activité que l’on pourrait ne pratiquer que pendant un certain temps, pour passer ensuite à autre chose, ou comme un métier très complexe nécessitant le temps long de l’apprentissage des connaissances, des compétences, puis de l’acquisition des savoir-faire spécifiques, engageant ainsi ou contraignant toute une vie. Vouloir le faire exercer à tout le monde reviendrait-il à le dévaloriser ? Et nombre de citadins n’ont ni « la main verte » ni le goût de l’acquérir. Peut-on envisager des tâches tournantes au sein d’une société, parmi lesquelles figureraient les activités agricoles, un « service agricole », un service public pour l’alimentation ? Quel peut-être le rôle de la permaculture ou celui d’une synthèse de la science et des traditions qui ne soit pas biaisée par les lobbies industriels ? Une perspective révolutionnaire intégrerait certainement, à la base, des agricultures locales où les décisions seraient prises en commun avec les producteurs organisés localement puis en fédérations, et grâce auxquelles chacun consommerait ce dont il a besoin, dans le cadre de ce qu’il y a. D’aucuns pensent également que pour formaliser un projet agro-politique qui réponde à nos besoins, il est utile de lire ou relire Kropotkine, mais sans toutefois – nous ne sommes pas les grands-prêtres auto-proclamés d’un néo-clergé voué à gloser sans fin nos textes sacrés – être hypnotisé par le texte et conserver à l’esprit que toute pensée est historique. Enfin, il nous faut garder à l’esprit qu’il y a un double rôle à jouer dans ces luttes : disposer à long terme des moyens de production pour répondre à nos besoins, tout en améliorant là où nous vivons, les conditions pratiques de notre alimentation.

D’autres questionnement bien sûr ont été abordés : faut-il réactualiser comme on l’entend souvent les Communs d’autrefois ? lesquels et pour quoi faire ? Qu’est-il nécessaire ou simplement possible de socialiser, sachant que s’installer en agriculture, « en campagne », c’est aussi bien, au-delà de la mise en place de nouveaux modes et moyens de production, une forme de socialisation, l’occasion de nouer des relations dans un milieu vivant ; une façon tout simplement de vivre.

Il nous a donc rapidement paru que l’autonomie alimentaire, son intégration à la société, et sa nécessaire libération d’une pression purement économique, posent très rapidement les questions du mode de vie, de la vie, avec de ses nombreuses dimensions et échelles d’agrégation – du simple individu jusqu’à la multitude de la métropole – et de leurs relations aux territoires. On peut constater par exemple que la propriété individuelle engendre un ‘mitage’ croissant de l’espace rural, inévitable lorsque chacun veut avoir une superficie vide autour de soi. Isolées les unes des autres, les maisons isolent leur propriétaires tout comme elles grignotent et perturbent les équilibres environnementaux. Certainement des sujets auxquels agronomes, sociologues et géographes anarchistes pourront très utilement contribuer lors de prochains échanges avec celles et ceux qui, la tête dans le ciel et les pieds dans la boue, expérimentent et se confrontent au quotidien à ces sujets vitaux.

De très nombreuses autres questions ont été évoquées, relatives au gaspillage ainsi qu’aux arts de la cuisine et de la table. Nous avons également traité de l’articulation entre le juste prix d’une alimentation saine et la juste rémunération des producteurs, de la pollution du Bio par les normes et la bureaucratie mortifère qui le parasitent. Enfin le sujet massif de la nourriture animale s’est vite imposé dans le débat, avec ses nombreuses dimensions, en particulier éthiques et écologiques. La suite l’année prochaine !

– Les débatteurs de Callac, saisis par Guillaume et réinterprétés par Nuage Fou.
PAR : Nuage fou
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