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Chroniques du temps réel
par Andréa le 12 mai 2020

En squat

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Aux alentours de 21 h, avec mon ami Dan, on traverse le Pont Royal pour rentrer chez nous. Plusieurs personnes s’arrêtent et regardent dans la direction de l’île de la Cité. Ils regardent à travers leurs smartphones en zoomant pour prendre la meilleure photo d’une lune quasi-pleine et rougeâtre, une lune grande comme on n’a pas l’habitude d’en voir. Elle se dresse majestueuse entre les tours de la Sainte Chapelle et celles de Notre-Dame. Des fins nuages gris coupent des angles aigus à l’intérieur du cercle. On assiste à un spectacle majestueux.

Depuis peu de temps, ma vie oscille entre un luxe auquel je n’ai jamais rêvé et une pauvreté bancale. Depuis le début du mois de mars, j’habite en squat dans le 7e arrondissement, sur le quai Voltaire, dans les anciens locaux de la Documentation Française. Après avoir été obligée de quitter mon ancien logement le 7 mars, je me suis retrouvée, avec d’autres compères qui étaient dans la même situation que moi, notamment sans logement et sans travail, dans cet édifice historique. Ce bâtiment du 17ème siècle hébergeait à une époque Louis XV, qui venait rendre visite à ses maîtresses dans le Salon Doré.

Peu après mon emménagement dans ce bâtiment, qui demeurait vide depuis janvier 2018, une voix sortant des appareils portables annonçait le confinement, une période de distanciation sociale. On devait choisir dans les prochaines 48 heures où est ce qu’on voulait s’isoler. Je me trouvais déjà dans un espace d’environ 7 000 m2, en comptant les sous-sols et les combles. Un magnifique bâtiment qui fait face au Louvre et où certains étages atteignent presque 5 mètres de hauteur sous plafond. Un emplacement de rêve même pour les plus fortunés.

Les débuts dans le quartier étaient difficiles. Les supermarchés sont deux fois plus chers que ceux des quartiers populaires. Les consignes du Covid ne nous permettaient pas de nous déplacer trop loin pour faire des courses ailleurs. Pour récupérer nos affaires, restées dans les lieux d’où nous avons été expulsés, nous étions obligés de faire des allers-retours avec une seule petite voiture qu’on avait à disposition, en se tapant des amendes, car le déménagement suite à une expulsion n’est pas considéré comme motif impérieux de déplacement. Donc, très vite, on avait touché le fond de nos poches qui restent à ce jour vides. Pour les indépendants, les intermittents et les artistes, le chômage technique n’existe pas. On vivait un scénario post-apocalyptique.

Un Paris vide, un bâtiment monument historique vide, plus d’argent, des gens qui font la queue au supermarché portant des masques et des gants et nous, une trentaine de jeunes d’origines diverses (France, Belgique, Tunisie, Canada, Brésil, Chili, Corée, Roumanie, Serbie) qui cherchions un abri, qui cherchions des espaces de travail, d’expression, mais surtout, qui cherchions à continuer de vivre notre vie.

Le confinement nous a rapprochés. Ça nous a rendus plus solidaires, plus humains. Une bonne partie des résidents s’est retrouvée sans aucun revenu. Sans aucune possibilité de trouver du travail prochainement. Mais nous avons trouvé des solutions. Certains d’entre nous étions déjà initiés à la récup. Et très vite, dans le quartier, on a trouvé les bonnes adresses pour les invendus : des fruits et légumes bios qu’il est impossible garder longtemps en rayon étant donné qu’ils perdent l’aspect impeccable auquel la clientèle aisée aspire, des pavés de saumon qui finissent dans les poubelles des sushi shops puisqu’il n’y a plus de touristes dans le quartier, et puis beaucoup de pain et de viennoiseries. On récupère tant de nourriture qu’on a décidé de mettre en place des maraudes.

Ce soir, au coucher du soleil, Dan et moi traversons le Pont Royal pour distribuer des plats aux SDFs habitant sous le pont. Puis, on rentre chez nous, passant à côté d’un public fasciné par la lune montante. On s’arrête nous aussi pour prendre une photo puis on se dirige vers notre nouvelle maison, ce lieu récemment occupé par un groupe de jeunes rêvant d’un monde meilleur, ce lieu qu’on a appelé de façon suggestive : Le Miamour.
PAR : Andréa
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le 14 mai 2020 20:06:47 par Granottier Michele

Très heureuse pour vous tous Andrea.Et bravo pour vos maraudes..J espère vous revoir bientôt..Longue vie à vous tous ♥?