P'têt' ben qu'oui, p'têt' ben qu'non

mis en ligne le 27 décembre 2004

Les rendez-vous électoraux rythment désormais de plus en plus lourdement la vie politique : sitôt une élection passée, la multiplicité des candidatures, deux, trois, voire quatre ans en avance ainsi que les luttes fratricides dans les partis candidats au pouvoir achèvent de décrédibiliser une classe politique totalement coupée des préoccupations et des aspirations réelles des peuples et des individus.

La fébrilité s'est emparée de la classe politique, le référendum nous est présenté comme l'événement majeur des mois à venir : l'année politique 2005 sera l'année de la constitution européenne ou ne sera pas. Déjà, les organisations politiques de tout bord, de l'extrême-gauche jusqu'à certains libertaires s'empressent de se positionner dans un camp ou dans l'autre et de préparer les alliances.

À l'heure où le mouvement social et syndical piétine, il est important pour les anarchistes de ne pas se faire embarquer dans cette campagne politicienne, qui ne s'attaque en aucune façon aux problèmes réels et de laquelle rien de bon ne pourra sortir. Les lignes qui suivent entendent développer une analyse et des axes d'intervention des anarchistes pour (re) construire ce mouvement social et syndical sur des bases libertaires en dehors des considérations politiciennes et électoralistes, conditions indispensables pour faire naître ensemble une autre Europe pour un monde libertaire.

Non à l'Europe du Capital et du Vatican !

Cette fumeuse constitution européenne, que le gouvernement nous demande d'approuver sans jamais nous avoir associé à son élaboration est une étape majeure portée par un large consensus politico-économico-religieux réunissant le capitalisme libéral, la social-démocratie et les églises chrétiennes.

Cette constitution a fait l'objet d'une étude approfondie et d'un soin particulier avant de nous être soumise. Encore une fois, nous sommes appelés aux urnes pour juger un texte obscur (plus de 350 pages et des dizaines d'annexes dans un jargon de juriste incompréhensible à la majorité des individus ) rédigé par nos représentant-e-s autoproclamé-e-s de Bruxelles. Mais qu'importe le résultat, avec ou sans nous, avec ou sans notre accord, le projet sociétaire de la curaille et du patronat européen se poursuivra coûte que coûte.

Les accords de Schengen avaient déjà souligné le caractère répressif de cette Europe qui se construit sur le dos des peuples. Les structures d'une Europe policée et d'une Europe militarisée fonctionnent déjà largement. L'Europe de « paix » et « des peuples », qui suppose des améliorations qualitatives du cadre de vie et des améliorations fondamentales sur le plan social est en fait un leurre ne servant qu'à créer l'illusion du changement et cacher la réalité de l'accroissement des inégalités, la casse des services publics et la remise en cause des acquis sociaux.

L'Europe des religions se construit insidieusement, lentement, mais sûrement et efficacement. Le préambule du projet de constitution consacre la religion comme valeur fondatrice de l'Europe, l'article 53 annule la liberté de conscience et la remplace par la liberté de religion. Le principe de subsidiarité qui signifie, en gros : laisser la bride sur le cou aux hiérarchies locales, aux féodalités inférieures, tant que cela ne perturbe pas les hiérarchies supérieures et qui demeure la base de la doctrine politique européenne de l'Église Chrétienne depuis les années cinquante est reconnu et intégré dans le projet. La remise en cause de la laïcité et le retour d'un nouvel ordre moral constituent l'Europe de demain que les calotins nous préparent.

Le « oui » à la constitution européenne avaliserait la mise en place de cette politique chaotique tendant à favoriser le développement du capitalisme européen en renforçant les inégalités sociales, les injustices économiques et une nette tendance à une vision égoïste, renfermée et chrétienne de l'Europe.

Le « non » à la constitution européenne ne changerait rien à la volonté de nos dirigeants de nous imposer leurs diktats en matière économique, sociale et morale. D'ailleurs les précédents référendums sur Maastricht et sur l'Euro ont démontré que le « non » importait peu, on nous fera revoter jusqu'à ce qu'on dise « oui » ! Ainsi, même l'hypothèse d'un « non » massif ne pourrait inverser le processus de mutation capitaliste et sécuritaire de l'Europe.

Abstention révolutionnaire !

Le « oui » et le « non » à la constitution européenne nous renvoient dans tous les cas à des situations de dépendances politiques, sociales, économiques et culturelles.

Le « oui » et le « non » laissent en place les mêmes personnels politiques et les mêmes institutions d'oppression qui prétendent nous dicter le bien et le mal et maintiennent les peuples sous tutelle, au besoin par la force.

Peu importe de se faire exploiter par un patron français ou européen, peu importe un impérialisme français ou européen... c'est d'abord contre les oppressions de toutes natures que les anarchistes entendent lutter.

Dans ce cadre, les anarchistes ne peuvent se satisfaire du faux choix prononcé par les politiciens ni d'ailleurs de la pauvreté intellectuelle dans laquelle les hommes politiques de tout bord relayés par les médias serviles confinent les populations. Nous ne pouvons cautionner cette parodie de démocratie, ni nous polariser sur ce leurre que constitue ce référendum qui voudrait nous faire croire que nous sommes libres de choisir notre avenir en déposant un bulletin dans une urne. C'est dans nos luttes et par l'action directe que pourront apparaître et se développer seulement les véritables formes de démocratie qui nous permettront de transformer réellement et radicalement la société, pas dans une illusoire « manifestation de la volonté populaire » que les gouvernements européens voudraient nous faire gober !

Oui à une Europe libertaire et égalitaire !

Nous avons une vision universaliste d'un monde nouveau à construire et nous envisageons à l'échelle de l'Europe comme de la planète le fédéralisme des peuples, l'égalité sociale des individus, les échanges pluriculturels et l'abolition totale des institutions de répression politiques et religieuses ainsi que la disparition des frontières pour l'ensemble des citoyens du monde.

Le seul moyen de favoriser une Europe telle que nous la souhaitons, sans classes, ni Etats, ni frontières, basée sur l'entraide entre les peuples réside dans l'action directe individuelle et collective que l'on pourrait résumer par : agir au lieu d'élire qui se traduit pratiquement ici par l'abstention active et révolutionnaire. Finissons en avec l'aliénation politique des urnes, la délégation de pouvoir et les chèques en blanc aux politiciens. Développons et internationalisons les luttes sociales sur des bases d'autogestion, de fédéralisme et d'action directe. Construisons la convergence des luttes pour la grève générale expropriatrice et autogestionnaire !

L'esprit du congrès de St-Imier (1872), événement fondateur de l'anarchisme ouvrier et de l'internationalisme prolétarien reste plus que jamais d'actualité :

«... La destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat. »

« ...Repoussant tout compromis pour arriver à l'accomplissement de la révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l'action révolutionnaire. »

Julien - Groupe de Rouen de la Fédération anarchiste