Si Trouille m’était conté. Clovis Trouille (1889-1975)

mis en ligne le 25 février 2010
« Le grand maître du tout est permis », selon la formule d’André Breton, est découvert en 1930 par les surréalistes à l’exposition « Écrivains et artistes révolutionnaires » à Paris avec le tableau Remembrance.
« Cette œuvre est un exutoire personnel provenant du traumatisme de la guerre 14-18, qui m’a pris mes plus belles années. »
Cette toile fondatrice révèle tous les sujets et figures qui reviendront dans beaucoup de ses œuvres.
« Un tableau anti-tout. On y voit sous une pluie de décorations octroyées aux profiteurs, aux embusqués, les lauriers qu’ont gagnés ceux qui sont morts : deux soldats (un Allemand et un Français) qui se demandent, par-delà le tombeau, ce qu’ils sont allés foutre à la guerre. Eux aussi sont gratifiés d’une croix, mais c’est une croix de bois. Les lapins symbolisent le sacrifice obligatoire entériné par l’Église et l’Académie française. » Un cardinal, la robe entrouverte sur des jambes gainées de bas noirs, bénit un académicien dont le nez respire les flatulences d’un militaire au dos tatoué. Une contorsionniste passe dans le ciel et jette à poignée les décorations.
La guerre a fait de Trouille un anarchiste, il le revendiquera tout au long de sa vie. Elle lui a aussi appris l’absurde et désigné l’ennemi, le clergé, les militaires, les institutions, dont les thèmes, en des images lancinantes, réapparaîtront dans beaucoup de ses œuvres.
« Je suis pour l’art noir, pour le caractère maudit. Je rejette la morale de la société bourgeoise, l’imposture de sa religion, la morale de ses curés, son « patriocularisme » » déclare Clovis Trouille dans sa nombreuse correspondance avec le peintre Maurice Rapin (lettre du 13 août 1959).
Peintre du xxe siècle au parcours des plus personnel, il exalte surtout, au travers de ses œuvres, l’érotisme et la liberté des mœurs. Revendiquant l’héritage des grands peintres tels que Le Titien, Giorgione ou Watteau, subvertissant en s’inspirant des œuvres classiques, il réussit à s’imposer par sa fantaisie, sa puissance onirique et son chromatisme exceptionnel.
« Il est vrai que je n’ai jamais travaillé en vue d’obtenir un grand prix à une biennale de Venise quelconque, mais bien plutôt pour mériter dix ans de prison et c’est ce qui me paraît le plus intéressant. »
Une exposition intitulée « Voyous, voyants, voyeurs » autour de Clovis Trouille a lieu actuellement au Musée d’art et d’histoire de l’Isle-Adam (Val-d’Oise) jusqu’au 7 mars et s’installera ensuite au musée Rimbaud de Charleville-Mézières (mai-septembre 2010), puis au Musée d’art naïf de Laval (décembre-janvier 2011).
On découvre également dans cette exposition les amitiés artistiques de Clovis Trouille (Alfred Courmes, Maurice Rapin, Pierre Molinier, Gérard Lattier et Erro), et d’autres artistes contemporains qui témoignent une parenté iconoclaste revendiquée pour l’œuvre de Clovis Trouille : Jean-Pierre Nadau, Hervé Di Rosa, Anne Van der Linden (exposée en 2009 à la librairie Publico) ou encore Francis Marshall.
L’exposition s’ouvre sur un tableau particulièrement prémonitoire (daté de 1942-1963, il fallait tout ce temps au peintre pour peaufiner sa toile) intitulé Le Bateau ivre ou d’autres toiles, La Belle (Évasion des forçats), Naufrage, mon naufrage, sur l’effondrement de la société capitalisto-bourgeoise où les exploités (les bagnards et les soubrettes) reprennent les richesses et se sauvent du naufrage, grâce à une chaloupe sur laquelle est inscrite la superbe devise (dixit André Breton) : « Ni Dieu, ni maître » en hommage à Blanqui.
Que cette œuvre et toutes les autres soient accrochées aux cimaises de l’Isle-Adam, ville traditionnellement bourgeoise, peut apparaître comme un énorme camouflet balancé à la gueule des « puissants » imbus de toutes les tartuferies idéologiques et leurs traditions sociales.
Et puisque l’œuvre de Clovis Trouille est à découvrir ou redécouvrir, n’oublions pas sa fascination pour les calembours et les jeux de mots, souvent à l’origine de l’invention l’immenculée conception, « Oh, Calcutta ! Calcutta ».
Alors trouillez-vous d’aller voir l’expo où le visiteur voyeur peut en ressortir voyant de toutes les impostures si anarchistement débondées ou débandées par ce voyou de Clovis Trouille.

Gérard Jan

Exposition « Voyous, voyants, voyeurs », autour de Clovis Trouille jusqu’au 7 mars (gratuite le dimanche), Musée d’art et d’histoire Louis Senlecq, 31, Grande Rue, 95290 l’Isle-Adam.