D’espoir et de raison, écrits d’une insoumise

mis en ligne le 14 janvier 2010
Voltairine de Cleyre (1866-1912) est peu connue en France et pourtant Emma Goldman la tenait pour « la plus douée et la plus brillante femme anarchiste qu’aient produit les États-Unis ». Deux ouvrages en français nous la font découvrir. En premier lieu, s’inspirant de l’ouvrage de Paul Avrich, An American Anarchist : The Life of Voltairine de Cleyre (Princeton University Press, 1978), Normand Baillargeon et Chantal Santerre ont rassemblé seize essais et quatorze poèmes dans Voltairine de Cleyre, D’espoir et de raison. écrits d’une insoumise. Cet ouvrage, paru fin 2008, couvre ainsi l’ensemble du parcours politique. Il est en outre agrémenté d’une présentation de la militante, d’une chronologie et d’une abondante bibliographie. En second lieu, un des essais est repris dans De l’action directe, présenté là encore par Normand Baillargeon (fin 2009). L’action directe apparaît ici dans son étonnante actualité au regard de divers événements récents tels les séquestrations de patron, les occupations d’usine, les grèves de 59 minutes, les blocages du système d’information informatisé, etc. : les mots de Voltairine nous rappellent l’inventivité des formes d’action directe.
Nous ne reprendrons pas ici les propos de Normand Baillargeon parus dans le Monde libertaire en mai et juin 2009, qui nous éclairent sur l’histoire de Voltairine et sur ses idées : nous conseillons de les relire en introduction aux deux ouvrages. Nous voudrions attirer ici l’attention sur les textes féministes et sur sa capacité d’expression poétique.
Parmi ses écrits, nous pouvons citer : « L’égalité politique de la femme » (1894) ; « Le mariage est une mauvaise action » (1907) ; « L’esclavage sexuel » (1895) ; « Les barrières de la liberté » (1891) ; « La question de la femme » (1913). Les titres de ces communications parlent d’eux-mêmes : le féminisme est en train de prendre consistance en cette fin du XIXe siècle et Voltairine développe au cours de conférences et dans des articles de journaux, comme Mother Earth ou Herald of Revolt, un certain nombre de thèmes qu’elle argumente avec ferveur.
Normand Baillargeon et Chantal Santerre adoptent la perspective d’un anarcha-féminisme chez Voltairine. Anarchiste et féministe tout à la fois, rejetant l’autorité et la domination, et montrant comment le sexisme et le patriarcat, au même titre que les rapports entre patrons et ouvriers, État et citoyens, sont inscrits au cœur même de ces relations hiérarchiques et autoritaires que la société entretient. À l’esclavage sexuel dans la vie privée, correspond l’esclavage salarial dans la sphère publique.
Voltairine exécrait le mariage : « L’esprit du mariage lui-même fabrique l’esclavage […]. Je recommanderais fortement à toutes les femmes qui soupèsent les différents types d’unions qui sont actuellement possibles, de ne jamais vivre sous le même toit que l’homme qu’elles aiment et de devenir sa bonne. » Aussi préconisait-elle que « pour que la vie puisse croître, il faut que les hommes et les femmes restent des personnalités séparées. […] Je crois que le mariage défraîchit l’amour, transforme le respect en mépris, souille l’intimité et limite l’évolution personnelle des deux partenaires ». Et c’est pourquoi elle pensait que le mariage était une mauvaise action. « Oui, maîtres ! La terre est une prison, le lit conjugal est une cellule, les femmes sont les prisonnières et vous êtes les gardiens ! » Et dans le mariage rôdent librement et à l’aise, l’adultère et le viol. « Oui, car c’est là un adultère lorsqu’une femme se soumet sexuellement à un homme sans le désirer, espérant le “garder vertueux”, le “garder à la maison”, se dit-elle. » « C’est un viol quand un homme s’impose sexuellement à une femme, qu’il ait l’autorisation de la loi sur le mariage ou non. »
Voltairine n’admet pas non plus que la question des femmes soit au second degré après les questions économiques : c’est une question politique de premier ordre car une question tant sociale qu’économique. « Qu’est-ce d’être une femme ? Être une propriété ! J’en conviens, vous êtes une propriété d’un genre un peu plus élevé que le reste des effets de l’homme ! » Aussi : « Jeunes filles ! Si quelqu’un d’entre vous envisage le mariage, rappelez-vous que c’est cela que veut dire le contrat. La vente du contrôle de votre personne en retour de “protection et de soutien” ».
Quant à la domination de la mode et à sa manière insidieuse de s’imposer autant aux femmes pour l’adopter qu’aux hommes pour contempler, Voltairine pose la question suivante : « Que penseriez-vous de la bassesse d’un homme qui habillerait son cheval d’une jupe et le forcerait ensuite à marcher ou courir avec une telle chose nuisant au mouvement de ses membres ? […] Et pourtant, messieurs, vous exigez que vos femmes, les créatures que vous dites respecter et aimer, portent les jupes les plus longues et les plus haut collets afin de cacher cet obscène corps humain. Il n’y a pas de Société pour la prévention de la cruauté envers les femmes. »
Une autre norme sociale répond à l’esclavage : « Les femmes qui se considèrent très pures et très morales vont grimacer en voyant les putains, mais elles continuent d’accueillir dans leur maison les hommes qui font de ces filles des victimes. Les hommes, à leur meilleur, vont avoir pitié des prostituées alors qu’ils sont eux-mêmes la pire espèce de prostituées. »
Dans les barrières de la liberté, Voltairine affirme haut et fort : « Aucun tyran n’a jamais renoncé à sa tyrannie à moins d’y être obligé. Mon espoir repose donc en la naissance d’une rébellion dans les rangs des femmes. » Des femmes dans le monde entier se sont ainsi rebellées et se rebellent encore.

Hélène, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste