Après la bataille… électorale

mis en ligne le 1 juin 1969
Nous laissons à d’autres le soin de se chatouiller pour découvrir une victoire dans le triomphe des « non ».
En vrai, le seul amusement que nous pouvons tirer est de voir le jocrisse, qui se déclarait la France, relégué sans que la terre eût cessé de tourner, malgré ce qu’en prétendaient certains.
Cependant, il y aurait quelque puérilité à prêter à la chute politique d’un homme le caractère d’une transformation sociale et moins encore d’une révolution.
Qui sait même, pour qui connaît le personnage trouble que fut de Gaulle, qui sait même pour qui n’oublie pas ses origines d’élève des jésuites, si lui-même n’a pas préparé sa défaite pour laisser à d’autres le règlement de dix ans de régime, et pour pouvoir parer sa vanité des déboires de ses successeurs.
D’autres facteurs interviennent sans doute et dans le bourbier politique, dont nous n’avons pas la prétention de connaître toutes les données et d’analyser toutes les combinaisons, il y a, certes, une multiplicité des causes suscitées par des appétits, des ambitions et des rancunes.
C’est beau, la politique !
Peu nous chaut que telle ou telle paire de fesses ait l’honneur de s’asseoir dans le fauteuil présidentiel.
Nous savons, par expérience, quel que soit l’élu, que rien ne sera changé, que l’électeur n’en sera pas moins trompé, que le contribuable n’en sera pas moins plumé et que la colère populaire, si elle se manifeste, n’en sera pas moins payée par des discours pleins de lointaines promesses, si ce n’est pas par des coups de pèlerine et de matraque.
Nous savons, par expérience, à quelle politique de droite aboutissent les gouvernements de gauche et, pris au piège du pouvoir, comment ils ne font rien de ce qu’ils avaient préconisé et comment ils font tout ce qu’ils avaient condamné.
Nous avons la faiblesse de garder le souvenir des « succès électoraux populaires », du cartel des gauches à l’avènement de M. Guy Mollet – en passant par le Front populaire – et d’avoir mémoire de la capitulation des uns et des autres.
Nous avons le tort de ressentir quelque malaise à voir les murs couverts du visage de requin souriant de M. Jacques Duclos invitant la jeunesse et les étudiants à le suivre, cet appel réveillant en nous des réminiscences d’un certain mai 1968 où le même Jacques Duclos et ses sbires n’avaient pas assez de qualificatifs dans leur arsenal grammatical pour vomir la révolte qui soulevait Paris.
Cependant, si nous ne gardons nulle illusion sur le sort qui nous attend, si nous n’éprouvons nulle préférence sur la sauce à laquelle nous serons mangés, il nous apparaît que le chambardement ministériel et présidentiel nous donne des possibilités que nous serions coupables de ne pas exploiter.
Nous sommes au temps des promesses, notre rôle est de poser nos revendications immédiates et d’en exiger l’immédiate satisfaction, sans nous en remettre à de lointains rendez-vous et d’hypothétiques échéances.
Nous n’avons pas la prétention de faire ici le tour de la question sociale et d’en examiner les détails.
Nous nous en tiendrons à l’essentiel.
Avant de disparaître, de Gaulle avait mis en chantier un projet de loi selon lequel serait avancé l'appel sous les drapeaux des mobilisables et réduits les sursis accordés.
Il importe aujourd'hui, au moment où les hommes au pouvoir, même ceux du gaullisme, sont pleins de bonnes intentions (ne l'est-on pas toujours à la veille des élections ?), d'exiger la mise à la poubelle de ce projet et, pendant qu'on y est, de réclamer la suppression même de l'armée qui ne correspond à rien pour un pays qui entend vivre en paix avec le monde.
En attendant cela, nous nous devons de nous élever contre la durée du service des objecteurs: le double de celle des autres soldats, ce qui constitue une inégalité flagrante devant la loi, ô vous qui en êtes si respectueux.
Il est aussi de notre devoir d'imposer la liberté d'expression, particulièrement à l'O.R.T.F. et la suppression d'un ministère de l'Information qui constitue la survie du fascisme et la honte de notre régime 1.
Il nous revient enfin de contraindre tous ces candidats, si désireux du bonheur des citoyens, si soucieux de leur dignité et de leur existence, d'ajuster le pouvoir d'achat de chacun aux prix en cours dont l'ascension se poursuit sans trêve et sans fin.
Mais il importe d'insister, ce n'est pas demain qu'il faudra revendiquer et agir.
À ce moment-là, il sera trop tard.
Il faut que le peuple se souvienne qu'on n'a que les libertés qu'on prend, il faut qu'il se souvienne que les lois ne sont que la ratification des usages et que ceux-ci progressent ou stagnent selon que les masses sont viriles ou lâches, actives ou passives, révolutionnaires ou ignorantes.
Que l'opinion se fasse entendre dès à présent et des victoires peuvent être obtenues, quel que soit l'élu.
Mais qu'elle laisse le pouvoir s'installer, le gouvernement se mettre en place, l'autorité s'affermir et c'en est fait du sort matériel et moral de l'homme et de ses espérances de mieux-être et de libération.
S'il est incapable par crédulité ou paresse de se désintéresser de ses intérêts propres, comment peut-il espérer que d'autres en prennent souci ?

1 Comment oublier qu'un pareil ministère n'existait pas avant la guerre, qu'il n'a été institué qu'à la faveur des hostilités, en alignement du régime français sur celui d'Hitler ?
Comment admettre une libre critique de ceux qui gouvernent quand les moyens de diffusion et de censure sont entre leurs mains ?
Un ministère de l'Information équivaut à accepter d'un accusé qu'il soit par surcroît juge et avocat.